Théories raciales et hiérarchisation des sociétés coloniales
1) Qu'appelle-t-on le « racisme scientifique » ?
2) Sur quels critères s'appuie la hiérarchisation des peuples ?
3) En quoi le racisme scientifique permet-il de cautionner le processus de colonisation ?
Colonisateurs, colonisés et métis en Indochine
De la part de l'homme, l'union avec l'Annamite provient de son désir de se procurer des plaisirs peu coûteux (…), une compagne ou plutôt une servante qui le soignera, ainsi que son intérieur, et s’il est colon (1) ou commerçant, une femme avisée qui lui sera très utile comme intermédiaire avec les indigènes (…). De la part de la femme, l'union vient du désir de se procurer une existence meilleure, avec un peu d'argent. Quelquefois, elle obéit à ses parents (…).
En général, les métis sont le produit d'une sélection du point de vue physique. Les pères sont dans la force de l'âge, exempts de tares physiques qui auraient rendu impossible leur entrée dans l'armée ou leur séjour dans la colonie. Comme on le pense bien, les femmes indigènes choisies comme compagnes sont en grande partie bien portantes, bien faites et agréables, sans cela le choix de l’Européen ne se serait pas porté sur elles (…).
Les métis élevés à la française, bien qu’habiles de leurs mains, ne veulent pas être ouvriers. Ils recherchent le fonctionnarisme et le travail de bureau.
(1) Exploitant agricole
Hiérarchisation et ségrégation
A l'époque [vers 1910] Bandiagara (1) était l'une des plus importantes villes. La ville abritait en effet une administration militaire comprenant 10 officiers et sous-officiers français, une administration civile comprenant un commandant de cercle, un adjoint et 6 ou 7 agents civils français. C’est dire l'importance de la présence française dans la ville (…). Les Blancs avaient leurs quartiers d'habitation sur la rive gauche du Yaamé, et les indigènes de Bandiagara sur la rive droite. [Dans] le quartier des Blancs, n'y vivaient que les Blancs eux-mêmes et leurs principaux auxiliaires indigènes : les gardes de cercle (agent chargé de la police) et les tirailleurs (militaires indigènes). Quant aux fonctionnaires civils indigènes et au personnel domestique des Blancs (boys, cuisiniers et autres), ils devaient impérativement regagner chaque soir la ville indigène sur la rive droite du Yaamé.
Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel, l'enfant peul, Acte Sud, 1991
(1) Ville au sud du Mali
(Cet article a été publié dans CNRS Le journal, n° 263, décembre 2011)
« Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il n’y a pas de théorisation ni de hiérarchisation de ce qu’on entend aujourd’hui par race », explique l’historien Éric Deroo, chercheur associé au laboratoire Anthropologie bioculturelle1. En fait, le concept de races est alors lié aux classes sociales : on parle de la pureté du sang bleu de la noblesse qui risquerait d’être contaminé par celui de la vulgaire roture. « Surtout, l’Occident est dominé par une construction religieuse du monde », poursuit le chercheur. Et elle offre une simplicité biblique : tous les individus ont été créés par Dieu et ils disposent par conséquent d’une âme, quelle que soit leur couleur, qui n’est en rien liée à une éventuelle infériorité.
Bien sûr, l’épisode des Amérindiens découverts avec stupéfaction en 1492 sème le doute : puisque ces êtres étranges ne sont pas mentionnés dans La Cité de Dieu de saint Augustin, sont-ils vraiment humains ? Mais la vision monogéniste, qui considère une origine commune à tous les hommes, tous descendants d’Adam et Ève, tient bon la rampe et exclut tout concept racial biologique. Du côté des savants, on acquiesce religieusement, mais on brûle de comprendre pourquoi l’espèce humaine présente des teintes si variées.
« Au milieu du XVIIIe siècle, Buffon avance, pour sa part, le concept de dégénération selon laquelle l’homme, d’un blanc originel, prend différentes couleurs en fonction du climat sous lequel il habite. Mais cette thèse, certes dépréciative, est exempte de connotation raciale, car le processus est jugé réversible : selon lui, des hommes à la peau noire deviendraient blancs en climat tempéré, précise l’historien Claude Blanckaert. Tout cela vole en éclats quand, lors des grandes expéditions du Pacifique, on découvre de sensibles variations physiques chez les hommes qui habitent une même latitude. » Le climat ou le genre de vie n’explique donc pas tout.
On passe alors à une conception qui dominera tout le XIXe siècle, le polygénisme, qui imagine plusieurs couples, et pas seulement Adam et Ève, à l’origine des hommes. « Dès lors, on peut concevoir l’existence de plusieurs humanités différentes », souligne Éric Deroo. La porte est donc ouverte pour que se mette lentement en place une hiérarchisation que l’on somme la biologie d’expliquer. « C’est le siècle de la mesure, rappelle Gilles Boëtsch, directeur du laboratoire Environnement, santé, sociétés2 du CNRS. Volumes des crânes, texture des cheveux, angle facial, tout y passe. Les typologies les plus folles se multiplient, avec parfois des centaines de critères. »
Cette obsession scientiste et rationaliste veut pallier le déclin de la vision religieuse et chrétienne du monde, sérieusement écornée depuis la Révolution française : après tout, le roi auquel on a coupé la tête n’était rien de moins que le représentant de Dieu sur Terre ! C’est dans ce contexte qu’émergent, au début du XIXe siècle, les prémices de la théorie de l’évolution, dans lesquelles l’Africain apparaît parfois comme le chaînon manquant idéal entre le primate et l’homme3.
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Sur le même sujet : « À l’époque des zoos humains »
Notes