La démocratie dans le monde en 2022 : quel état des lieux ?
THEME 1 : COMPRENDRE UN REGIME POLITIQUE : LA DEMOCRATIE

Chapitre introductif :
La démocratie, les démocraties : quelles caractéristiques aujourd'hui?

Au Nicaragua, le régime Ortega bâillonne l’opposition avant les élections

La police a investi les locaux de deux médias et réprimé plusieurs adversaires politiques, à moins de six mois de l’élection présidentielle, qui doit se tenir le 7 novembre.

« Ils ne nous feront pas taire ! », martèle Carlos Fernando Chamorro, directeur des médias indépendants nicaraguayens, El Confidencial et Esta Semana, après une nouvelle offensive contre l’opposition menée, jeudi 20 mai, par le régime du président Daniel Ortega. La police a perquisitionné leur siège à Managua, capitale du Nicaragua. Ce jour-là, plusieurs adversaires politiques étaient réprimés à leur tour. Le gouvernement de l’ancien guérillero sandiniste tente de bâillonner ses opposants en vue des élections de novembre.

C’est par la force que les policiers ont envahi, jeudi matin, les locaux du site Web d’investigation, Confidencial, et de la chaîne Esta Semana. Leur matériel a été saisi. Plusieurs journalistes qui couvraient la perquisition, dont un reporter de l’Agence France-Presse, ont subi des interpellations de courte durée, mais musclées. Un cameraman de Confidencial a, lui, été détenu durant plus de six heures.

Les autorités ont également annoncé, jeudi, l’ouverture d’une enquête judiciaire contre Cristiana Chamorro, la plus populaire des candidats potentiels de l’opposition au scrutin présidentiel et législatif du 7 novembre. Selon le bureau du procureur, les comptes de la fondation Violeta Barrios de Chamorro, longtemps dirigée par l’opposante, comporteraient de « clairs indices de blanchiment d’argent ». Mme Chamorro est la sœur du directeur de Confidencial et la fille de Violeta Barrios de Chamorro, ancienne présidente du Nicaragua (1990-1997), qui avait évincé par les urnes Daniel Ortega du pouvoir. A 75 ans, l’ancien héros révolutionnaire, qui a gouverné le pays de 1979 à 1990, puis de 2007 à aujourd’hui, se présentera quant à lui pour un quatrième mandat consécutif.

Un air de vendetta gouvernementale

A la sortie d’un interrogatoire judiciaire de trois heures, Cristiana Chamorro a déclaré que l’accusation qui la touche « est une monstruosité juridique, qui porte gravement atteinte à la démocratie ». La veille, deux autres postulants possibles à la présidentielle, Felix Maradiaga, de la Coalition nationale, et Juan Sebastian Chamorro, de l’Alliance civique pour la justice et la démocratie, ont été assignés à résidence. Ce dernier est un cousin de Mme Chamorro.

Autant de mesures répressives qui prennent des airs de vendetta gouvernementale contre la famille Chamorro, l’une des figures de la révolte populaire et pacifiste, née le 18 avril 2018, pour exiger la fin du régime « népotiste » et « corrompu » de M. Ortega. L’intéressé avait dénoncé, à l’époque, « une tentative de coup d’Etat ». La répression des manifestations avait alors fait 328 morts, 2 000 blessés et des centaines de détentions arbitraires. Depuis que la police interdit les rassemblements, le bras de fer se joue sur les terrains législatif et institutionnel.

Acquis au régime, le Conseil suprême électoral (CSE) a annulé, mardi 18 mai, le statut légal du Parti de la restauration démocratique (PRD), allié électoral de la Coalition nationale. Celle-ci forme l’un des deux blocs d’opposition qui rassemblent les mouvements issus de l’insurrection populaire de 2018. Perdant l’unique parti politique capable de la représenter dans les urnes, la Coalition nationale semble, pour l’instant, exclue du scrutin de novembre. Dans un communiqué, ses représentants ont dénoncé « une farce électorale dans laquelle Ortega veut choisir les participants ».

Opposition fragmentée

Fragilisée, l’opposition avance fragmentée. Le parti Citoyens pour la liberté (CxL) a ainsi refusé de s’unir au PRD, formant un autre bloc d’opposants, l’Alliance citoyenne. Une division risquée, alors que le régime mène une offensive législative contre ses adversaires. Majoritaire à l’Assemblée nationale, le parti du président, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), a voté, en décembre 2020, une loi électorale excluant de fait ses opposants politiques. Le texte empêche notamment les « traîtres à la patrie » de se présenter à un scrutin. L’initiative fait suite aux votes successifs de trois autres lois liberticides, qui ont renforcé le contrôle autoritaire du régime sur ses contradicteurs.

Cette stratégie, qui muselle l’opposition et les médias indépendants, a provoqué une vague d’indignations internationales : l’Organisation des Etats américains et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme ont exigé, jeudi, « le respect » de « la liberté d’expression » et de « la démocratie ». Quant à José Miguel Vivanco, directeur pour les Amériques de l’ONG Human Rights Watch, il a dénoncé « l’objectif clair [du régime] d’empêcher toute critique et de voler les élections de 2021 ».

A moins de six mois du scrutin, des voix se lèvent au sein de la Coalition nationale et de l’Alliance citoyenne pour appeler au « vote utile » derrière un seul candidat présidentiel. Selon les sondages, seule l’unité de l’opposition serait en mesure de menacer les aspirations de Daniel Ortega à garder coûte que coûte le pouvoir.

Article de Frédéric Saliba, paru dans Le Monde, 22 mai 2021