Présidentielle 2022: «Assistons-nous au crash de la démocratie française ?»
Crise de confiance entre les Français et leurs représentants politiques, taux d'abstention records, abandon du référendum... Les causes du mal dont souffre la démocratie sont nombreuses, analyse l'essayiste Maxime Tandonnet.
Le rendez-vous démocratique de 2022 aura-t-il lieu ? La fracture démocratique, c'est-à-dire l'impression d'une rupture entre le peuple et ses dirigeants, ne cesse de s'aggraver. D'après l'enquête annuelle Cevipof sur la «confiance», 57% des Français estiment, en ce début d'année, que la démocratie ne fonctionne pas bien (+8% en un an) et 77% que «les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens comme eux». Lors des élections régionales de juin dernier, le taux d'abstention atteignait un record de 65% (contre 41% en 2015).
D'une part la démocratie directe, l'un des fondements de la Ve République, semble être en voie d'extinction. Depuis le rejet populaire de la Constitution européenne à 54% en 2005, en dix-sept ans, aucun gouvernement n'a plus recouru au référendum. Pire : à tort ou à raison, une partie de l'opinion estime que l'adoption par la voie parlementaire du traité de Lisbonne, reprenant certaines dispositions de la Constitution européenne, a foulé aux pieds une volonté exprimée par le peuple.
D'autre part, la démocratie représentative est à son tour en pleine crise : la soumission totale de l'Assemblée nationale à l'Élysée, le recours systématique aux ordonnances et le prolongement indéfini de l'État d'urgence sanitaire ont gravement affaibli la souveraineté parlementaire. Et même la démocratie de proximité est affaiblie par les coupes sombres qui affectent depuis dix ans le budget des collectivités territoriales.
Restait l'élection présidentielle comme ultime moment démocratique, celui où une fois tous les cinq ans, la nation sanctionne un bilan et se prononce sur un projet à travers une femme ou un homme. Or, le phénomène auquel assistent en ce moment les Français est celui de la neutralisation de l'élection présidentielle en tant qu'échéance démocratique. Certes le déroulement de l'élection présidentielle de 2017 avait été écrasé par le scandale autour de François Fillon. Mais 2022 se présente à son tour dans les pires conditions.
En refusant d'annoncer sa candidature un mois et demi avant le scrutin, le favori des sondages, Emmanuel Macron, esquive habilement le débat sur le bilan de son quinquennat et sur le sens d'une nouvelle candidature. Cette fausse non-candidature d'un chef de l'État, à quelques semaines du vote, n'est certes pas une première mais elle contribue fortement à la pauvreté d'une campagne.
Par ailleurs, la prolifération sondagière soulève de légitimes questions. Plus que jamais, les sondages remplissent un vide engendré par l'absence des débats de fond. Au rythme jamais atteint, semble-t-il, d'une dizaine chaque semaine, ils se contentent pour l'essentiel de répéter inlassablement la même information : le vrai/faux non-candidat présidentiel poursuit sa course en tête avec un quart de l'électorat au premier tour et la quasi-certitude sondagière de sa réélection au second. Comment un tel martèlement quotidien pourrait-il ne pas influer sur les comportements en imposant l'idée d'une réélection inéluctable ?
Le contexte de crise aiguë permanente éloigne encore le pays d'un climat de raison et de sérénité sans lequel la démocratie n'est qu'une illusion – tout en favorisant le statu quo. Deux années de crise sanitaire due à l'épidémie de Covid-19, dominées par une grande peur collective, ont engendré un climat d'asservissement peu propice à la liberté de pensée et au débat d'idées. La tension internationale suscitée par l'invasion russe de l'Ukraine, les menaces qui pèsent sur la paix, achèvent d'annihiler la campagne des présidentielles en éloignant les esprits des sujets de politique intérieure.
Enfin, cette période préélectorale fait à nouveau naufrage dans la polémique stérile et mesquine. Cette campagne, plus qu'aucune autre, est dominée jusqu'à la nausée par la litanie des trahisons ou des ralliements opportunistes, de la droite ou de la gauche vers le camp du président Emmanuel Macron, ou entre les candidats Marine Le Pen et Éric Zemmour. De même le scandale est de retour, touchant par exemple Fabien Roussel, le candidat communiste châtié sans doute pour avoir tenu des propos «politiquement incorrects» – favorables à la gastronomie française…
Comme en 2017, mais de manière plus diffuse et plus sournoise, la candidature de droite – la seule susceptible de contester réellement la certitude d'une réélection de l'actuel occupant de l'Élysée – fait l'objet d'une intense mobilisation médiatique de dénigrement à l'image des accusations aussi mensongères que méprisantes de «nullité» qui se répandent comme une traînée de poudre ou de moqueries dérisoires autour du «chien Douglas» dont le vote aurait favorisé Valérie Pécresse lors des primaires.
Sur les ruines de la démocratie française, la réélection du président Emmanuel Macron – non par adhésion mais par résignation – est généralement présentée comme une quasi-certitude de même que la réélection d'une assemblée «godillot» dans la foulée. Ces élections présidentielles et législatives paraissent donc vouées à faire l'impasse sur le bilan d'un quinquennat et sur les sujets fondamentaux pour le pays : le défi de la dette publique, le redressement de l'école, la lutte contre le chômage et la pauvreté, la réindustrialisation, la maîtrise des migrations et l'intégration, la politique étrangère, etc… 2022 sera aussi l'occasion perdue d'une réflexion et d'un débat sur l'avenir de la démocratie française. Mais cette crise de la démocratie – quand tout indique que le destin de la nation ne se joue plus vraiment dans les urnes – prépare le chaos et la violence de demain.
Article de Maxime Tandonnet, publié dans le Figaro, 03 mars 2022
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