La démocratie dans le monde en 2022 : quel état des lieux ?
THEME 1 : COMPRENDRE UN REGIME POLITIQUE : LA DEMOCRATIE

Chapitre introductif :
La démocratie, les démocraties : quelles caractéristiques aujourd'hui?

Tunisie : la démocratie ébranlée

SEMONCE. Sur fond de manifestations, le président de la République s’est octroyé le pouvoir exécutif et a gelé les travaux du Parlement. Ennahdha dénonce un « coup d’État ».

« Selon la Constitution, j’ai pris des décisions que nécessite la situation afin de sauver la Tunisie, l’État et le peuple tunisien », a déclaré le président de la République tunisienne à l’issue d’une réunion d’urgence au palais de Carthage avec des responsables des forces de sécurité. « Nous traversons des moments très délicats dans l’histoire de la Tunisie », a ajouté Kaïs Saïed, engagé depuis des mois dans un bras de fer avec le principal parti parlementaire, Ennahdha. « Ce n’est ni une suspension de la Constitution ni une sortie de la légitimité constitutionnelle, nous travaillons dans le cadre de la loi », a-t-il assuré.

Le président s’octroie l’exécutif et gèle le Parlement

Voilà un événement majeur qui vient s’inviter dans la révolution tunisienne. Concrètement, le président Kaïs Saïed a décidé ce 25 juillet de geler les travaux du Parlement pour 30 jours et de s’octroyer le pouvoir exécutif. Des Tunisiens, exaspérés par les luttes de pouvoir et la gestion contestée de la crise sociale et sanitaire par le gouvernement, sont sortis dans la rue en dépit du couvre-feu, tirant des feux d’artifice et klaxonnant avec enthousiasme à Tunis et dans plusieurs autres villes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce coup de théâtre ébranle la jeune démocratie tunisienne sortie des soubresauts du Printemps arabe.

Depuis l’adoption en 2014 d’une Constitution de compromis, celle-ci fonctionne selon un système parlementaire mixte dans lequel le président a comme prérogatives la diplomatie et la sécurité. Cette décision, intervenue à l’issue d’une journée de manifestations, est loin d’être du goût du principal parti au pouvoir, Ennahdha.

Ennahdha qualifie la décision présidentielle de « coup d’État »

En effet, en réaction, la partie islamiste Ennahdha a fustigé « un coup d’État contre la révolution et contre la Constitution », dans un communiqué publié sur sa page Facebook. La formation dirigée par Rached Ghannouchi, le président du Parlement, a souligné que ses « partisans […] ainsi que le peuple tunisien défendront la révolution ». « La Constitution ne permet pas la dissolution du Parlement, mais elle permet le gel de ses activités », avait auparavant déclaré Kaïs Saïed anticipant les critiques et s’appuyant sur l’article 80 qui permet, à ses yeux, ce type de mesure en cas de « péril imminent ». Une chose est sûre : la situation était plus que tendue pour ne pas dire explosive à travers le pays depuis déjà un petit moment.


Une décision sur fond de manifestations

Cette annonce fait en effet suite à des manifestations dans de nombreuses villes du pays ce dimanche 25 juillet, en dépit d’un important déploiement policier pour limiter les déplacements. Les milliers de protestataires ont notamment réclamé la « dissolution du Parlement » dans un contexte où l’opinion publique tunisienne est exaspérée par les conflits entre partis au Parlement, et par le bras de fer entre le chef du Parlement Rached Ghannouchi – aussi chef de file d’Ennahdha – et le président Kaïs Saïed, qui paralyse les pouvoirs publics. Elle dénonce aussi le manque d’anticipation du gouvernement face à la crise sanitaire, laissant la Tunisie à court d’oxygène. Avec ses près de 18 000 morts pour 12 millions d’habitants, le pays a l’un des pires taux de mortalité officiels au monde dans cette pandémie. Les protestataires ont crié des slogans hostiles à Ennahdha et au Premier ministre qu’elle soutient, Hichem Mechichi, scandant « le peuple veut la dissolution du Parlement ». « Changement de régime », était-il également inscrit sur des pancartes. Des locaux et symboles d’Ennahdha ont été pris pour cible.

Des appels à manifester le 25 juillet, jour de la fête de la République, circulaient depuis plusieurs jours sur Facebook, émanant de groupes non identifiés. Ils réclamaient entre autres un changement de Constitution et une période transitoire laissant une large place à l’armée, tout en maintenant le président Saïed à la tête de l’État. De quoi rappeler les manifestations de la révolution de 2011 qui a chassé du pouvoir l’autocrate Zine el Abidine Ben Ali, mettant la Tunisie sur la voie d’une démocratisation qu’elle a continué à suivre depuis, en dépit des défis sociaux et sécuritaires.


… et d’une crise qui dure depuis 2019

Mais depuis l’arrivée au pouvoir en 2019 d’une Assemblée fragmentée et d’un président farouchement indépendant des partis, élu sur fond de ras-le-bol envers la classe politique au pouvoir depuis 2011, le pays s’est enfoncé dans des crises politiques quasi insolubles. Kaïs Saïed, qui prônait pendant sa campagne électorale une révolution par le droit et un changement radical de régime, a donc finalement annoncé qu’il gelait les activités du Parlement, levait l’immunité parlementaire des députés et démettait de ses fonctions le chef du gouvernement Hichem Mechichi. Le président de la République « se chargera du pouvoir exécutif avec l’aide d’un gouvernement dont le président sera désigné par le chef de l’État », a-t-il ajouté. Ce 26 juillet, la Tunisie se réveille dans un climat incertain.

Article réalisé par Le Point Afrique pour Le Point, 26 juillet 2021