La démocratie dans le monde en 2022 : quel état des lieux ?
THEME 1 : COMPRENDRE UN REGIME POLITIQUE : LA DEMOCRATIE

Chapitre introductif :
La démocratie, les démocraties : quelles caractéristiques aujourd'hui?

Les coalitions comme garant de la démocratie parlementaire allemande

C'est sur la base de compromis entre trois partis que sera formé le prochain gouvernement allemand. Interview explicative de ce système de coalition avec le Prof. Rainer Hudemann.

Un mot est au cœur de la vie politique allemande depuis les législatives de dimanche : coalition. Les résultats du scrutin étaient serrés au point qu'aucune force politique n'a obtenu de majorité suffisante au Bundestag pour gouverner seule. Or en Allemagne, le gouvernement doit être issu d'un consensus qui réunit une majorité de députés. Les partis ont donc commencé leurs tractations en vue de former des alliances. C'est sur la base de ces accords de compromis que sera formé le prochain gouvernement.

Pour en savoir plus sur ce système de coalition et pourquoi il est considéré en Allemagne comme le garant de la démocratie parlementaire, Sandrine Blanchard a joint un professeur émérite en histoire contemporaine allemande de l'université de la Sorbonne : Rainer Hudemann.

Rainer Hudemann : Ce régime des coalitions a toujours existé en Allemagne et à la fondation de la République fédérale en 1949, on a approfondi le caractère parlementaire de cette République. C'était une réaction contre la dictature du IIIe Reich, à la différence de la tradition française ou britannique qu'on appelle un régime majoritaire.

En Allemagne, on essaye de donner un poids politique correspondant à peu près à la force dans la société à chaque parti, et donc les partis plus petits sont également représentés au Parlement.

DW : C'est le principe du scrutin proportionnel.

R.H. : Contrairement à ce qui existe dans d'autres pays de scrutin majoritaire, c'est le scrutin proportionnel, mais encore affiné. C'est un système très compliqué d'élection pour équilibrer au maximum le poids de toutes les sensibilités politiques et sociales dans la société.

DW : Et donc il y a beaucoup de partis qui sont représentés au Bundestag et il est nécessaire de constituer des alliances. Et c'est là que les francophones ont un peu de mal à comprendre comment ça marche. Quand on entend, par exemple, que des écologistes peuvent négocier avec le parti libéral alors que pendant la campagne, ils se sont attaqués. Est-ce que n'importe quel parti peut faire alliance avec n'importe quel autre ?

R.H. : Chaque parti peut faire une alliance avec n'importe quel autre mais évidemment, on essaye de trouver des partenaires qui soient relativement proches de son propre programme.

DW : Mais ce qui est étonnant quand même, c'est que pour faire une coalition gouvernementale, il faut être d'accord sur les réponses qu'on apporte aux problèmes, sur les mesures concrètes dans la politique sociale, la politique économique, la politique étrangère etc… Est-ce qu'on ne risque pas d'avoir toujours un gouvernement ultra modéré voire ultra mou à cause de tous ces compromis que tous les partis ont dû faire pour pouvoir trouver un terrain d'entente ?

R.H. : Ultra mou et ultra modéré ne sont absolument pas la même chose. Ultra mou, cela veut dire on n'a pas de programme. Modéré, cela veut dire qu'on essaye de trouver des alliés pour résoudre les grands problèmes qui se posent, c'est-à-dire de fixer des points communs sur lesquels on peut être proche et non pas opposé, concernant les moyens pour y remédier et pour trouver des solutions d'avenir.

DW : Cette concertation, c'est donc un garant de la démocratie allemande et non pas un gage d'instabilité possible ?

R.H : C'est un garant de la stabilité de la République fédérale parce que c'est toute une culture politique. Si quelqu'un a un avis différent pour résoudre telle ou telle ou telle question, ce n'est pas nécessairement un criminel ou un imbécile. C'est quelqu'un qui peut avoir des valeurs différentes et qu'on respecte et avec lequel il est utile de trouver un chemin commun, précisément pour pouvoir agir de manière forte, pour pouvoir décider des grands aiguillages, en quelque sorte, au Parlement. Cela peut être extrêmement difficile. A la base de ce système parlementaire, il y a un respect et une tolérance pour ceux qui ont des idées différentes. C'est une tradition qu'on appelle la "démocratie qui se défend". Les forces politiques qui refusent le parlementarisme sont exclues de ces possibilités de coalition.

Article de Sandrine Blanchard, publié sur le site du journal allemand Deutsche Welle, septembre 2021