Après plus de 3 ans du jour où les Britanniques avaient décidé de quitter l'Union européenne, le Brexit n'a pu se concrétiser en réalité manifestant une crise de la démocratie parlementaire dans l'un des foyers les plus authentiques de la démocratie occidentale. Que nous révèle donc cette perplexité du Brexit ?
Cela fait maintenant plus de trois ans que le peuple britannique a choisi un destin hors de l’Union européenne suite à un référendum issu d’une décision téméraire du premier ministre du gouvernement conservateur de l’époque David Cameron. Contre toute attente, les Britanniques ont succombé à la tentation populiste, à l’instar des autres peuples d’Italie, d’Autriche, d’Hongrie et des Etats unis d’Amérique, exprimant ainsi une aspiration souverainiste de leur pays.
Cette crise n’est pas comme les autres, les Britanniques se trouvent d’ores et déjà dans un vacarme politique qui prolonge une crise institutionnelle sans précédent dans l’histoire de leur démocratie. Hélas, l’une des plus vieilles et des plus authentiques d’Europe.
En effet, la démocratie britannique est absolument parlementaire dans la mesure où le pouvoir exécutif émane directement de la majorité issue des élections législatives qui forment la chambre des Communes. Bien que la Grande-Bretagne soit une monarchie, la Couronne ne dispose que d’un pouvoir symbolique qui se limite à la désignation formelle du Premier ministre de manière protocolaire.
De l’autre côté, la vie politique du Royaume ressemble plus ou moins à celle des Etats-Unis. En effet, elle demeure vivement bipolaire sous la domination du clivage entre les conservateurs de droite et les libéraux de gauche. Ceci se manifeste dans une rivalité entre le parti conservateur traditionnel (parti historique de Winston Churchill) et le parti du Labour (Parti travailliste) qui défend les droits de travailleurs avec une tendance progressiste.
Le Brexit fut une véritable épreuve de la solidité de cette démocratie si classique qui se déroule à Westminster dans les mêmes palais du XVIème siècle. En effet, le référendum populaire de 2016 a opposé deux catégories de la population : une moitié nationaliste, souverainiste conservatrice qui veut rétablir son contrôle sur son territoire et s’émanciper de l’Union européenne ; une moitié de tendance mondialiste, pro-européenne et progressiste qui se veut plus européenne que britannique et veut conserver son appartenance à l’Europe.
Politiquement, le gouvernement conservateur, que ce soit celui de Theresa May ou de Boris Johnson, n’a pas encore pu appliquer le Brexit bien qu’il soit parvenu à trouver deux accords avec la Commission européenne. La question qui se pose : Pourquoi la sortie dure jusqu’à présent après trois ans d’attente ?
Le Brexit révèle une crise de la démocratie représentative au Royaume-Uni, celle-ci se manifeste dans la distance qui sépare la volonté générale exprimée lors du référendum et celle du Parlement de Westminster. Ce dernier s’obstine opiniâtrement à approuver les accords de sortie à plusieurs reprises. Ceci revient en effet à la position fragile du gouvernement au sein du Parlement qui ne dispose que d’une majorité faible de 301 députés contre 300 députés d’opposition, sachant que le Premier ministre actuel a même perdu sa majorité récemment.
Le problème c’est qu’il existe même des députés conservateurs réfractaires qui votent parfois contre l’accord de leur propre gouvernement ce qui fragilise ce dernier.
Dans ce sens, on peut déduire de cette situation si particulière que les élections législatives de 2017 vont à l’encontre du référendum en donnant une majorité insuffisante au parti sensé exécuter le Brexit. Ainsi, l’opposition entre un referendum populaire plébiscitant le Brexit et un parlement tiraillé entre plusieurs tendances contradictoires ne fait qu’illustrer l’échec de la démocratie représentative dans ce cas-là.
Ainsi, il devient difficile de trancher une décision aussi fatidique que le Brexit qui déterminera le destin du peuple britannique. Ce marasme parlementaire ne se posera pas dans un système présidentiel par exemple dans la mesure où l’autorité présidentielle détentrice du pouvoir prendra directement acte du choix de référendum pour l’appliquer sitôt que possible.
Dans une autre perspective, le Brexit manifeste une fatigue démocratique qui traverse l’ensemble des démocraties occidentales y compris en Amérique du Nord. Les inégalités économiques galopantes et l’injustice de la mondialisation ont creusé un fossé abyssal entre les classes populaires qui vivent de leur travail et les élites mondialisées qui détiennent le capital transnational et contrôlent l’opinion publique par les médias et la classe politique partout dans le monde occidental créant ainsi une idéologie dominante qu’on définit par le politiquement correct. Cette crise de la mondialisation concerne tous les pays occidentaux mais elle s’incarne différemment selon les pays et leur culture. On peut la sentir dans le Brexit au Royaume-Uni comme dans la crise des gilets jaunes en France ou bien encore comme dans la montée des partis populistes en Italie, en Autriche et en Hongrie.
Tout cela façonne les conditions qui précipitent le monde vers l’ère du peuple, c’est-à-dire l’époque où les classes populaires majoritaires dans tous les pays du monde vont contester l’injustice de la mondialisation économique et se révolteront contre les élites qui en bénéficient.
C’est dans ces perspectives qu’on peut appréhender le choix du Brexit par le peuple britannique et la perplexité qu’il suscite chez la classe politique fortement divisée entre souverainistes et mondialistes.
En définitive, le Brexit est un cas si particulier sur la scène politique internationale et nous présente en effet une situation intéressante pour appréhender la crise des démocraties occidentales qui se convertissent désormais au populisme et à la contestation de la mondialisation.
ANASS MACHLOUKH (étudiant chercheur en relations internationales, membre d'Amnesty International, billet de blog paru sur le site Le blog de Médiapart, novembre 2019