L'industrialisation et l'accélération des transformations économiques et sociales
THEME 2 :
LA FRANCE DANS L'EUROPE DES NATIONALITES : POLITIQUE ET SOCIETE (1848-1870)
A l'aide des corpus documentaires suivants :
- Répondez aux questions de votre groupe
- Réalisez une carte mentale pour présenter les conclusions de votre travail

Louis-Napoléon Bonaparte redessine Paris

Les personnes admises auprès de [Louis Napoléon] le voyaient souvent couvrir le plan de Paris de coups de crayons et de lignes diversement orientées. Au.de départ de ce qu'il y avait à faire, il considérait d'abord que les gares de chemin de fer étaient désormais les véritables portes de la ville, au lieu des anciennes barrières par lesquelles débouchaient les routes nationales, qui allaient descendre au rang de voies de communication de second ordre. Il fallait relier ses portes nouvelles afin que le passage de l'une à l'autre, c'est-à-dire d'une région de la France à une autre région, fût commode et rapide à travers le centre commun. Il fallait, de ces points principaux d'arrivée projeter jusqu'au cœur de la grande cité de larges artères.
Le Président voulait aussi unir, par de grandes voies, les édifices sièges des services publics (…).
Il fallait encore pratiquer, au moyen d’avenues et de rues importantes, des brèches au milieu des quartiers jusqu’alors fermés comme des citadelles d'insurrection, tels que les environs de l'Hôtel de ville, le faubourg Saint-Antoine, les deux versants de la montagne Sainte-Geneviève. Il y avait lieu de choisir sur le plan les points où seraient établis de fortes casernes (…). Enfin, se souvenant de Londres, Louis-Napoléon se proposait de créer des places plantées, de dessiner des parcs et des jardins publics, de bâtir des marchés et des halles.
Charles Merruau, Souvenirs de l'Hôtel de ville de Paris, 1848-1852
Une capitale profondément réaménagée
 
Travaux sur l'île de la Cité (1862)
Félix Thorigny, Embellissement de Paris - Démolition dans l'île de la Cité, 1862, gravure sur bois, 22x32, BNF, Paris
 

Le nouveau Paris d'Haussmann

De profondes tranchées dont plusieurs sont déjà de magnifiques rues, sillonnent la ville en tous sens, les îlots de maison disparaissent comme par enchantement, des perspectives nouvelles s'ouvrent. La physionomie de Paris est à beaucoup d'endroits changée de fond en comble. Des monuments, dégagés des hideuses masures qui les masquaient, se montrent pour la première fois dans leur beauté complète ; d'autres sortent de la ruine, inachevés et se terminent enfin. Dans cette ville centre de l'univers, le genre humain, apporté et remporté par les veines et les artères des railways, comme le sang dans le cœur, circulera désormais sans embarras et sans confusion ; la ville aussi s’aère, se nettoie, s’assainit : plus de quartiers lépreux, plus de ruelles miasmatiques, plus de masures humides où la misère s'accouple avec l'épidémie. Les murailles pourries s'effondrent pour laisser surgir de leurs décombres des habitations dignes de l'homme, dans lesquelles la santé descend avec l’air, et la pensée sereine avec la lumière et le soleil.
Théophile Gautier, préface de Paris démoli d'Emile Fournier, Aubry, 1855
Une ancienne rue parisienne
Charles Marville, Rue du Chat-qui-pêche, 1868, photographie, 36x27, Metropolitan Museum of Art, New York

Photographe officiel, Charles Marville témoigne ici du pittoresque des rues anciennes du Paris pré-haussmannien
 

La transformation sociale de Paris

Le premier et inévitable effet de vos percements a été de jeter la plus profonde perturbation, souvent la ruine et la misère, dans l'existence de milliers et des milliers de petits fabricants, d'artisans, d’ouvriers, chassés sans retour (…). L'immense majorité de ces expulsés était installée de père en fils dans ce quartier ; (…) Le fabricant s'y trouvait au milieu des ouvriers qu’il occupe (…), des marchands qui débitent ses produits. Un beau matin, le marteau des démolisseurs abat et disperse tout cela (…).
Les terrains et, partant, les loyers ayant partout renchéri, on voit se rebâtir dans les parties les plus reculées de la capitale, les ruelles, les passages, es cours, les masures que vous abattez si impitoyablement au centre (…).Tandis que nos édiles font pénétrer l'air et la lumière dans le vieux Paris en ouvrant de larges boulevards (…), on voit se former, aux extrémités de la ville des groupes de maisons étroites et malsaines, dans lesquelles une déplorable spéculation entasse nos ouvriers (…).
Voilà comment M. Haussmann prodigue l'air et la lumière dans les quartiers excentriques à ces centaines de milliers d'ouvriers qu’il expulse du centre sous prétexte de salubrité !
J. Édouard Horn, Les Finances de l'hôtel de ville, 1868-1869

Les critiques d'un opposant

Jeune avocat hostile à l'Empire, Jules Ferry publie un virulent pamphlet contre Haussmann.
Nous n'avons garde de dire que tout soit absolument mauvais dans ses innombrables trouées qui, déplaçant obliquement et dans tous les sens la vieille capitale, donnent à la nouvelle l'aspect déplaisant d'un casse-tête chinois. Nous le trouvons laid, pour notre compte (…). Nous sentons aussi que c'est peine perdue de regretter l'ancien Paris, le Paris historique et penseur, dont nous recueillons aujourd'hui les derniers soupirs ; (…) où l'expropriation ne troublait pas à tout instant les relations anciennes, les plus chères habitudes ; où l'artisan, qu'un système impitoyable chasse aujourd'hui du centre, habitait côte-à-côte avec le financier (…). Ce vieux Paris, (…) nous le pleurons de toutes les larmes de nos yeux, en voyant la magnifique et intolérable hôtellerie, la coûteuse cohue, la triomphante vulgarité, le matérialisme épouvantable que nousléguons à nos neveux (…). Nous (…) accusons [le préfet] d'avoir englouti, dans des œuvres d'une utilité douteuse ou passagère, le patrimoine des générations futures ; nous l'accusons de nous mener, au triple galop, sur la pente des catastrophes.
Jules Ferry, Les comptes fantastiques d'Haussmann, Paris, 1868
Une rue de Paris après les travaux
Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie, 1877, 212x276, Art Institute, Chicago
 
Un bilan de l’œuvre d'Haussmann
Nous manquions d'eau, de marchés, de lumière, dans ces temps reculés, qui ne sont pas encore à 30 ans de nous (…). Les chemins de fer existaient cependant ; ils versaient tous les jours, dans Paris, des torrents de voyageurs, qui ne pouvaient ni se loger dans nos maisons, ni circuler dans nos rues tortueuses. Un des prédécesseurs de M. Haussmann s'est illustré pour avoir percé la rue Rambuteau. Pour lui, il fit, en 10 ans plus qu'on avait fait en un demi-siècle. Il démolit des quartiers ; on pourrait dire : des villes entières. On criait qu'il nous donnerait la peste ; il laissait crier et nous donnait, au contraire, par ses intelligentes percées, l'air, la santé et la vie. Tantôt c'était une rue qu’il créait ; tantôt une avenue ou un boulevard ; tantôt, une place, un square, une promenade. Il fondait des hôpitaux, des écoles, des groupes d’écoles. Il creusait des égouts magnifiques ; élevait des casernes, des théâtres. Il tirait de leur néant les Champs Elysées, le bois de Boulogne, le bois de Vincennes. Il achevait les Halles centrales. Il généralisait l'usage du gaz ; il multipliait les lignes d'omnibus ; il jetait sur la Seine les bateaux qui l'animent, et qui facilitent la circulation. Il introduisait dans la belle capitale, les arbres et les fleurs. Il la peuplait de statues.
Article de Jules Simon, ancien opposant républicain à Napoléon III, publié dans Le Gaulois en 1882