Les expériences de la démocratie

EMC – LA DEMOCRATIE, LES DEMOCRATIES

Axe 1 : Fondements et expériences de la démocratie

Au XXe siècle, la démocratie libérale est souvent remise en question. La démocratie chilienne d’Allende chute ainsi, en1973, à la suite du coup d’État du dictateur Pinochet. Mais des processus inverses se produisent aussi dans la seconde moitié du XXe siècle. Les transitions démocratiques imposent une libéralisation, plus ou moins progressive, des régime autoritaires (les dictatures en Espagne et Portugal dans les années1970), totalitaires (la fin de l’URSS à la fin des années1980) ou racistes (le régime de l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1990).
Objectif de la séance : Comprendre le caractère instable des régimes démocratiques à travers le monde à travers des exemples de renversement ou de restauration de la démocratie
La révolution des œillets (vidéo)

La "Révolution des oeillets", au soir du 25 avril 1974, a renversé en un jour le régime salazariste. Cette dictature contrôlait le pays depuis plus de trente ans, d'abord sous la férule d'Oliveira Salazar jusqu'à sa mort en 1968, puis de Marcelo Caetano. Le mécontentement avait grandi au sein de la population et dans l'armée, notamment à cause d'une politique coloniale coûteuse en hommes et en matériel.

Depuis le milieu des années 60 en effet, le Portugal devait envoyer en masse des troupes pour rétablir l'ordre face aux révoltes des peuples colonisés. Initié par une poignée de jeunes capitaines, le coup d'état largement improvisé du 25 avril est porté par un mouvement populaire inattendu. Sur les ondes, les putschistes donnent le signal de l'insurrection militaire. En occupant les points stratégiques de la capitale, les capitaines contraignent le président du Conseil en exercice, Marcelo Caetano, à la démission. Loin de rester à l'écart des événements, la population lisboète se presse dans les rues et pactise avec les soldats mutins en accrochant au bout de leurs fusils des oeillets rouges et blancs, fleurs de saison qui deviennent le symbole de l'événement.

La singularité de cette Révolution tient au fait que, bien qu'initiée par des militaires, elle reste pacifique ( 6 morts seulement parmi les manifestants) et contribue à restaurer la démocratie au Portugal. Dès le 26 avril, le général Spinola, devenu chef d'une Junte de Salut National, proclame la restauration des libertés publiques. Les prisonniers politiques sont libérés et les exilés rentrent au pays, notamment Mario Soarès, opposant socialiste au régime salazariste. Le général Spinola nommé président de la République participe à la constitution d'un gouvernement pluraliste au sein duquel Soarès, ministre des Affaires étrangères, entame le processus de décolonisation des possessions portugaises en Afrique (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Sao-Tomé et Principe), achevé à la fin de l'année 1975.


Ce reportage cherche d'abord à faire ressentir au spectateur l'effervescence et la liesse qui règne au sein de la population lisboète, dans l'attente du retour de Mario Soarès, 3 jours seulement après le début de la Révolution des oeillets. Ainsi, la caméra est placée au milieu de la foule et les slogans scandés rythment le reportage jusqu'à l'apparition au balcon du leader socialiste. Le commentaire très construit ajouté au montage ne décrit pas l'action ; les images à elles seules suffisent à traduire l'atmosphère de liesse : nombreuses mains levées en signe de victoire, oeillets brandis par la foule, concert de klaxons.

Le journaliste cherche plutôt à décrypter les dessous de la rencontre entre Mario Soarès et Spinola, qu'il suit en coulisses. On remarque sur les images la présence de nombreuses caméras venues immortaliser l'accolade de circonstance entre les deux hommes. Ce geste repose donc sur une mise en scène très médiatique visant à affirmer l'union des forces politiques du pays afin de consolider le retour à la démocratie. Le journaliste veut, par le ton employé dans son commentaire mais aussi par ses questions à Mario Soarès, souligner les difficultés futures que ce mouvement d'union nationale risque de rencontrer : difficile cohabitation entre civils et militaires, exigences politiques divergentes... Par ses réponses, l'ancien opposant socialiste montre que pour lui, il s'agit avant tout de ne pas créer de divisions qui pourraient entraver le changement radical à l'oeuvre dans le pays. Le ton du reportage paraît ici très juste : il ne se contente pas de faire entendre les cris d'une joie d'une foule libérée de plus de 40 années de dictature mais amène à réfléchir sur les obstacles éventuels auxquels la jeune démocratie va se trouver confrontée. Cette analyse est d'ailleurs confortée par les événements des mois suivants : Spinola démissionne du poste de Président en septembre après la formation d'un gouvernement dirigé par un communiste et échoue dans sa tentative de coup d'état moins d'un an plus tard.

Quant à Soarès, cette alliance politique de circonstance lui permet de sortir de l'opposition pour endosser son costume de futur homme d'état ( nommé ministre des Affaires Etrangères puis Premier Ministre, il sera réélu deux fois à la présidence de la République en 1986 et 1991).

Emeline Vanthuyne
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Un coup d’État militaire en chanson
Le 25 avril 1974 à l’aube, 150 officiers et 2 000 soldats s’emparent d’objectifs stratégiques. Le soutien du général Spinola permet d’éviter les affrontements. Le président du Conseil, Marcelo Caetano, se rend avant d’être exfiltré au Brésil.
Le 25 avril 1974, peu après minuit, les auditeurs de l’émission « Limite », sur les ondes de Radio Renascença, n’en crurent pas leurs oreilles : c’est Grândola Vila Morena, une chanson interdite, que diffusait la station de l’Église catholique portugaise. Dans les casernes, quelques centaines de militants du MFA (Mouvement des forces armées) attendaient ce signal pour grimper sur les jeeps et dans les chars d’assaut et rouler vers le centre de Lisbonne. Quand le jour s’est levé, quarante et un ans de dictature avaient pris fin : les Lisboètes dansaient dans les rues, embrassaient les militaires démocrates et leur tendaient des œillets rouges.
François-Xavier Gomez, « Au Portugal, quand une chanson fit la révolution », Libération, 25 avril 2017.

Les objectifs du nouveau régime

Si la population est dans son ensemble joyeuse, si les manifestations du 1er mai ont marqué dans la fête l'écroulement du régime, il faut dire que le changement politique n'est pas allé très loin. En réalité, le pouvoir a changé de main, mais il ne semble pas avoir beaucoup changé de nature. Les mesures prises sont importantes, mais elles sont loin d'être suffisantes (…). Le Portugal est donc engagé sur plusieurs voies : la conservation des « acquis », qui semble satisfaire une partie considérable du nouveau personnel politique ; la liquidation de la guerre coloniale, à laquelle tient avant tout le Parti socialiste, qui a délégué un de ses dirigeants les plus prestigieux ; la transformation de l'appareil économique, amenant le Portugal à renforcer ses liens avec l'Europe, surtout le Marché commun ; enfin la préparation des élections, qui donneront aux partis la possibilité de se substituer aux militaires sans trop de secousses.

Alfredo Margarido, « Le Portugal entre la continuité et la révolution », Esprit, juillet août 1974

La Révolution des œillets au Portugal (1974)
La dictature de l’Estado Novo, instaurée en 1933, s’achève par la journée révolutionnaire du 25 avril 1974 sous l’impulsion d’une partie de l’armée. À Lisbonne, les œillets offerts aux soldats qui participent à la révolution témoignent du soutien de la population.
 

La fin de la dictature au Portugal (1974)

Le 25 avril 1974, sur fond de guerre coloniale, un coup d'Etat renverse la dictature en place depuis 1933. Une constitution démocratique est adoptée en 1976.

Pour la première fois depuis 48 ans, les journaux de Lisbonne sont sortis jeudi soir sans être soumis à la censure. Ils célébraient tous avec d'énormes manchettes la victoire totale du Mouvement des forces armées (…). Un demi-siècle de dictature cruelle et sournoise, la mise à l'écart de tous les courants libéraux, une répression impitoyable, soutenue par une police sans visage et pratiquant des tortures raffinées, (…) des élections préfabriquées (…), une nation saignée à blanc depuis plus de 10 ans par des guerres coloniales (1) : voilà ce qu’a abattu en un instant un soulèvement militaire qui ne ressemble à aucun autre (…). L'armée portugaise, reflet des angoisses de la nation, a trouvé un élan et un symbole lui permettant de passer outre aux prudences et aux atermoiements de la très grande majorité des généraux (…). Le symbole, le général Spinola (2), suscite encore des réserves dans les milieux politiques de l'opposition démocratique et libérale au régime déchu (…). Ils attendent avec une prudence compréhensible et souhaitent juger la junte à ses actes. Les premières décisions sont encourageantes. Le général Spinola a décidé vendredi 26 avril la libération de tous les prisonniers politiques (…) et la suppression totale de la censure de presse.

“Et maintenant… », Le Monde, 27 avril 1974

(1) Guerres de décolonisation en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau

(2) Nommé président de la République en mai 1974

File d’attente devant le bureau de vote pour les élections législatives d’avril 1976