Le 5 novembre dernier, la FIA (Fédération Internationale de l’Automobile) a annoncé que l’Arabie Saoudite organisera, dès l’année prochaine, un grand prix de Formule 1 : un projet de longue date et révélateur de l’orientation géopolitique prise par le pays depuis quelques années. Ce grand prix aura lieu à Djeddah, avant de migrer dans la ville de Qiddiya aux alentours de 2023.
De par son histoire, l’Arabie Saoudite dispose d’un soft-power puisqu’elle abrite les lieux saints de Médine et La Mecque qui lui permettent de rayonner à travers le monde musulman. Toutefois, le pays n’exploite pas assez son soft-power car on le connaît davantage pour ses réserves massives en pétrole et ses achats d’armes que pour son influence coercitive.
Pourquoi le pays mise-t-il désormais sur son soft-power ?
Parmi les pays du Golfe, l’Arabie Saoudite est sans doute le plus menacé par la baisse de la rente liée aux hydrocarbures car son budget est financé à 85% grâce à cette rente. Par exemple, en 2016, après avoir volontairement inondé le marché pour faire baisser les prix et concurrencer le pétrole de schiste américain, les conséquences économiques ont été désastreuses : une envolée du déficit budgétaire, une perte de plus de 75 milliards de dollars et une croissance de 0.1% en 2017, contre 2.2% en 2016.
Sur la scène internationale, le pays est aussi en difficulté. Sur le plan géopolitique, Mohammed Ben Salmane, dirigeant et prince d’Arabie Saoudite, n’a pas réussi à faire démissionner le premier ministre libanais, Saad Hariri, malgré un hard power développé. En effet, les investissements ne manquent pas : l’Arabie Saoudite est le premier acheteur d'armes au monde (7,8 milliards de dollars en 2018), et, selon le Stockholm International Peace Research Institute, possède le troisième budget militaire de la planète (67,7 milliards de dollars en 2019). Il est donc difficile pour Ryad d’investir plus d’argent dans le hard-power. Cette situation est problématique car l’Iran, grand adversaire de l’Arabie Saoudite, est en train de prendre du terrain en Syrie et au Liban.
De plus, Téhéran a porté une attaque redoutable en 2019 sur l’un des sites d’extraction d’Aramco, compagnie pétrolière nationale saoudienne. Une attaque qui a fait grand bruit, puisqu’avec un “simple” drone, l’Iran est parvenu à contourner la défense d’une entreprise derrière laquelle “se cache surtout un incroyable écosystème dans lequel grouillent l’US Air Force, la CIA et les expatriés des inévitables firmes américaines liées à l’industrie pétrolières”, selon le journaliste des Echos D. Fainsilber. A tel point que pour F. Heisbourg, conseiller spécial à l’ISS (International Institute for Strategic Studies) et conseiller spécial du président de la FRS (Fondation pour la recherche stratégique), “il est proprement ahurissant que l’Arabie Saoudite n’ait pas détecté ces attaques”. Mohammed Ben Salmane doit donc relever et donner une perspective à un pays affaibli et humilié, à savoir une nouvelle impulsion.
Le soft-power est donc une solution qui s’offre à l’Arabie Saoudite pour remplacer la rente pétrolière et gagner en influence. Il est donc un axe majeur du plan “horizon 2030” présenté par le jeune prince héritier. Les objectifs de cette stratégie ne sont pas directement liés à l’économie : l’Arabie Saoudite veut avant tout devenir attractive et être moins isolée au sein des relations internationales. Nous pourrions même parler de sportwashing, dans la mesure où Ryad veut améliorer son image, entachée notamment par l’assassinat de Jamal Khashoggi, par le sport. Ainsi cet État de la péninsule arabique pourrait à la fois devenir, comme les Emirats arabes unis ou le Bahreïn, une destination touristique appréciée et attirer des investisseurs étrangers. La localisation du Grand Prix n’a donc pas été choisie au hasard, puisque Qiddiya est une des villes que devraient mettre sur pied l’Arabie Saoudite afin d’accroître le nombre de touristes sur ses terres. (…)
Ce quele pays fait en termes de soft-power
L’Arabie Saoudite est traditionnellement liée à l’islam, plus précisément l’islam sunnite. Il en découle que son soft-power se basait exclusivement sur la religion. (…) cette diplomatie repose sur la création de diverses institutions comme l’ONG de la LIM (Ligue Islamique Mondiale), sur une assistance financière à certains imams, mais aussi sur l’offre de bourses à différents étudiants venus de pays sunnites, comme la Malaisie, pour venir étudier en Arabie Saoudite. Mais cette diplomatie, quoique très poussée, limite l’influence de l’Arabie Saoudite aux pays musulmans sunnites et n’a qu’une influence pour l’instant négligeable dans le reste du monde. Cela pourrait donc expliquer pourquoi elle s’est récemment tournée vers le sport pour accroître son influence. Avant d’être désignée organisatrice du grand prix de formule 1 l’année prochaine, l’Arabie Saoudite avait déjà organisé un grand nombre d’évènements sportifs. (…) L’Arabie Saoudite commence donc à prendre une place importante dans le monde du sport, une place qui pourrait encore grandir dans les années à venir puisque le pays vise désormais le sport le plus populaire du monde : le football. En effet, elle a publiquement évoqué la possibilité de racheter un club de football en Europe l’année dernière (…)
Le retard
Il semble que le pays ait raté le coche en termes d’investissements et d’évènements sportifs, si on le compare à ses voisins de la péninsule arabique.
En ce qui concerne les investissements, l’Arabie Saoudite a un retard énorme de 10 ans environ par rapport à ses voisins. En effet, dès 2011, le Qatar Investments Authority, fonds d’investissement de 265 milliards de dollars, devient actionnaire majoritaire du PSG. (...) Par ailleurs, le Qatar démontre aussi le retard qu’a pris l’Arabie Saoudite en termes d’organisation d'événements sportifs. En effet, il atteint le graal en 2010 en étant désigné hôte de la coupe du monde 2022 : une première au sein du Moyen Orient. Une organisation qui devait mettre le pays sur le devant de la scène (…)
Article de Baptiste de Maiolo, www.universal-neoma.com, février 2021
Le Royaume «continue de construire et de se développer, d'investir des ressources matérielles, financières et humaines pour stimuler le secteur privé»
L'Arabie saoudite a donné le feu vert à la construction de 115 nouvelles usines, d'une valeur combinée de 1,63 milliard de SAR (430 millions de dollars) en janvier 2021
Alors que certaines économies chancellent face à la pandémie du coronavirus à l’origine de la Covid-19, les permis accordés par l’Arabie saoudite à plus d'une centaine de nouvelles usines témoignent de son ambition de devenir «une puissance industrielle de premier plan» dans la région, ainsi que de l’importance croissante du secteur industriel au Royaume, déclarent des experts à Arab News.
L'Arabie saoudite a donné le feu vert à la construction de 115 nouvelles usines, d'une valeur combinée de 1,63 milliard de SAR (430 millions de dollars) en janvier 2021, selon les données publiées par le ministère de l'Industrie et des ressources minérales.
Au total, 66 nouvelles usines ont lancé leur ligne de production, portant à 9 783 le nombre d'usines existantes ou en construction dans le Royaume. Les nouvelles usines ont permis la création de 4099 nouveaux emplois.
«Le ministère de l'Industrie et des Ressources minérales, par le biais de ce permis, met en œuvre le programme national de développement industriel et de réalisation de la vision logistique, qui vise à transformer l'Arabie saoudite en une puissance industrielle de premier plan», affirme le Dr. Osama Ghanem Al-Obaidy, conseiller et expert en droit économique international, a déclaré Arab News.
Al-Obaidy explique que les nouvelles usines contribuent à la création d’opportunité «d'emploi pour les travailleurs saoudiens» et aident «à améliorer l'efficacité du secteur industriel saoudien». «Le développement de ce secteur est l'un des piliers de Vision 2030 vers une économie compétitive et un développement durable. L'Arabie saoudite compte développer les industries prometteuses de l'alimentation, la médecine et les fournitures médicales, ainsi que celle militaire, du pétrole, du gaz et de la pétrochimie», ajoute-t-il.
Le ministère incite les investisseurs locaux et étrangers à investir dans ce secteur pour aider à encourager la participation des petites et moyennes entreprises (PME) dans le secteur industriel, ainsi qu'à augmenter la production saoudienne locale, a déclaré Al-Obaidy, un autre écho à Vision 2030, qui veut diversifier l'économie du Royaume et baisser sa dépendance aux hydrocarbures.
Le Dr Majed Al-Hedayan, analyste financier, déclare à Arab News que si certaines usines dans d’autres marchés ont fermé ou licencié leur personnel, l'Arabie saoudite «continue de construire et de se développer, d'investir des ressources matérielles, financières et humaines pour stimuler le secteur privé».
Ce texte est la traduction d’un article de Rashid Hassan paru sur Arabnews.com en février 2021
Le tourisme, soft power en germe de l’Arabie
La transformation du site d’AlUla en une destination touristique mondiale est l’un des projets phares du plan de modernisation de Mohammed Ben Salman.
A côté de ses volets diplomatiques et commerciaux, le déplacement d’Emmanuel Macron en Arabie saoudite, samedi 4 décembre, comportait une petite dimension touristique et patrimoniale. Depuis la signature en avril 2018 d’un accord intergouvernemental avec Riyad, l’Etat français est coresponsable de la mise en valeur du site antique d’AlUla, une nécropole nabatéenne (civilisation qui prospéra entre le Ier siècle av. J.-C. et le IIe siècle ap. J.-C. et dont la capitale fut Petra, en Jordanie) dans les sables du nord-ouest du royaume.
Ce chantier est piloté côté français par l’Agence pour le développement d’AlUla (Afalula), conjointement avec la Commission royale pour AlUla, côté saoudien. La transformation de ces majestueux tombeaux taillés dans la pierre en une destination touristique mondiale est l’un des projets phares de Vision 2030, le plan de modernisation du prince héritier Mohammed Ben Salman, le roi bis d’Arabie.
A Djedda, le grand port de l’Ouest saoudien, où il a rencontré celui que l’on surnomme « MBS », M. Macron était notamment accompagné de Gérard Mestrallet, le président de l’Afalula. La visite du président français dans le royaume survient alors que le site, en rodage pendant deux ans, a passé la vitesse supérieure. En décembre 2020, le « master plan » a été officiellement validé par le dauphin et, mi-novembre, l’aéroport aménagé au sud de l’oasis a accueilli son premier vol international.
Stratégie de diversification
Alors que le site n’était accessible ces dernières années que sur invitations, distribuées à des VIP et à des influenceurs, durant des week-ends de test, il est désormais ouvert à tous et toute l’année – pour autant que la pandémie de Covid-19 n’oblige pas l’Arabie saoudite à refermer ses frontières. Entre décembre et février, les concrétions aux formes spectaculaires qui parsèment AlUla sont le théâtre de multiples spectacles : concerts, courses d’endurance de chevaux, matchs de polo, etc.
Pour Mohammed Ben Salman, ce projet est l’occasion de mettre en valeur un aspect méconnu de l’Arabie, évidemment plus porteur que les violations des droits de l’homme auxquelles le pays est fréquemment associé dans l’opinion publique occidentale. Longtemps tabou dans le royaume, accusé de souiller le berceau de l’islam, le tourisme est désormais considéré par la couronne comme un levier de soft power, de rayonnement international, au même titre que le Grand Prix de Formule 1, qui a été organisé dimanche à Djedda.
L’exploitation des paysages saoudiens, qu’il s’agisse du désert ou du littoral de la mer Rouge – où des stations balnéaires haut de gamme sont en préparation –, fait aussi partie de la stratégie de diversification post-pétrole du pays. Et, par l’entremise de l’Afalula, la France s’est positionnée pour en profiter. Après l’architecte Jean Nouvel, choisi pour créer un hôtel haut de gamme dans les canyons de roche ocre d’AlUla, plusieurs entreprises tricolores ont décroché des contrats liés au développement de ce trésor archéologique, comme Thales et le consortium d’ingénierie Egis-Assystem-Setec. Le tandem franco-saoudien table sur 2 millions de visiteurs par an à l’horizon 2035.
Article de Benjamin Parthe, paru dans Le Monde, 06 décembre 2021
Traduction ;
"Diplomatie saoudienne"
"Scie à os"
Donald Trump: "Comment je peux en avoir une comme ça?"
Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi (opposant du régime et exilé aux États-Unis depuis 2017 où il travaillait pour le journal The Washington Post) est porté disparu depuis le 2 octobre, après s’être rendu au consulat de son pays à Istanbul pour des démarches administratives.
L’enquête révèle que le journaliste opposant aurait été sordidement dépecé à la tronçonneuse, et semble placer Mohammed Ben Salman, le prince héritier saoudien, au coeur de tous les soupçons.
Ce fait sinistre et révoltant met au grand jour deux choses : d’une part, l’hypocrisie diplomatique qui entoure l’Arabie saoudite, premier pays producteur de pétrole et championne dans l’achat d’armes, est-il besoin de le rappeler… D’autre part la schizophrénie d’un régime qui, sous l’apparence de récentes réformes de libéralisation (notamment des femmes), cache en réalité un autoritarisme plus qu’inquiétant…