La France et le monde : une puissance déclassée ?
Entre le 1er janvier et le 30 juin 2022, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE) est assurée par la France. Dans un monde en transition, traversé par une crise sanitaire planétaire, il s’agit d’une opportunité pour Paris de réaffirmer son leadership. Mais face aux nouveaux rapports de force internationaux, à la concurrence des États-Unis, de la Russie ou de la Chine, la France en a-t-elle les moyens ?
Forte de son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) de la planète, de forces armée capables d’intervenir sur tous les théâtres d’opérations, la France demeure une puissance militaire qui dispose de la dissuasion nucléaire. Elle a toutefois connu en septembre 2021 un recul de son influence en Indo-Pacifique : la rupture du contrat de livraison de sous-marins conventionnels à l’Australie (signé en 2016), décrétée par Canberra, au profit de sous-marins à propulsion nucléaire américains et britanniques, a consacré la mise à l’écart de Paris dans une région où la conflictualité croissante avec la Chine constitue un point chaud d’envergure.
Une influence en recul
Dans une Europe affaiblie par le Brexit, le président Emmanuel Macron (depuis 2017), partisan d’une France forte au sein d’une UE solidaire, souhaite faire entendre la voix européenne face à la menace russe en Ukraine. Mais les marges de manœuvre sont limitées, car il s’agit de trouver le juste positionnement entre affirmation de la puissance française, respect des engagements atlantistes et construction de l’autonomie stratégique de l’Europe face aux États-Unis ou à la Russie. Certes, en s’appuyant sur la solidité du couple franco-allemand, la France a pu adopter une attitude combative ces dernières années face aux régimes illibéraux et aux dérives xénophobes dans certains pays d’Europe orientale (Hongrie, Pologne) en affirmant les valeurs de l’Europe que sont l’État de droit, la justice indépendante, la paix entre les nations. Emmanuel Macron souhaite, à l’occasion de la présidence française du Conseil, faire inscrire l’environnement et le droit à l’avortement dans la charte des droits fondamentaux de l’UE et défendre ses projets en matière de contrôle des frontières extérieures de l’Union, d’indépendance énergétique et de diplomatie environnementale afin de redonner de la vitalité aux ambitions européennes. Mais dans le cadre d’une crise majeure comme celle de la souveraineté de l’Ukraine, la France et l’UE doivent s’effacer face à l’imperium américain et à l’irrédentisme russe.En Afrique de l’Ouest, l’échec (relatif) de l’opération « Barkhane » (2014-2022) et l’incapacité à anéantir la menace terroriste dans cette région confirment ce recul, et ce, malgré l’aide de plusieurs pays de l’UE au sein de l’opération « Takuba » (créée en 2020). Si l’ère de la « Françafrique » apparaît révolue, le sentiment anti-français semble n’avoir jamais été aussi important, alors que la Russie impose son leadership. La présence des mercenaires russes du groupe Wagner au Mali et en Centrafrique consacre ce basculement géopolitique majeur. En Afrique du Nord, le constat est identique avec la crispation franco-algérienne sur les questions mémorielles et les tensions diplomatiques franco-marocaines qui confirment le recul de l’influence de la France au profit de la Turquie, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.Les actions diplomatiques de la France se heurtent à la réticence d’États qu’elle soutient pourtant et à l’entremise des autres puissances mondiales ou régionales. C’est le cas au Liban où, dans un pays meurtri par l’explosion d’août 2020 dans le port de Beyrouth, par l’expansion de la pauvreté et les fractures intercommunautaires, la politique de la main tendue d’Emmanuel Macron s’est heurtée à la fois au rejet des factions les plus radicales de la société libanaise (Hezbollah) et aux imprécations des puissances régionales voisines (Turquie, Arabie saoudite). En Syrie et en Irak, la diplomatie française a dû également composer avec les actions américaines, russes, turques, saoudiennes et émiriennes. La voix de la France semble peu compter au Moyen-Orient, y compris face aux positions de l’Iran sur l’épineux dossier du nucléaire.
Un rayonnement qui résiste
La France n’est pas marginalisée et peut s’appuyer sur deux vecteurs solides : l’armement et la culture. En 2021, la France a signé d’importants contrats de vente avec la Grèce (18 Rafale et trois frégates), les Émirats arabes unis (80 Rafale) et la République tchèque (canons d’artillerie). La France demeure au cinquième rang mondial des ventes d’armes dans le monde, mais a dû composer ces dernières années avec la montée en puissance de la Chine.Dans le domaine culturel, la « marque France » continue de rayonner et de constituer un levier à la fois économique et politique. La francophonie opère une belle résistance avec près de 300 millions de locuteurs. Les lycées français de l’étranger sont toujours aussi recherchés par les élites locales.Le Louvre Abou Dhabi et l’installation d’une antenne de la Sorbonne attestent de l’internationalisation des « labels » culturels français. La France est un acteur majeur de la mondialisation des études supérieures et est devenue l’un des leaders de l’offshorisation des grandes écoles (implantation d’antennes à l’étranger), notamment dans les monarchies du Golfe et en Asie. Dans le domaine diplomatique, avec 160 ambassades, la France dispose du troisième réseau au monde après les États-Unis (168) et la Chine (164), et la « diaspora » des Français de l’étranger (officiellement 1,7 million de personnes ; plutôt autour de 3,4 millions) contribue à véhiculer l’image d’un pays développé et intégré dans la communauté des nations.Quelques réussites économiques sur le marché mondial, dans l’aéronautique (Airbus), la chimie (Sanofi), le luxe (LVMH), l’agroalimentaire, le nucléaire, les vins et les spiritueux accompagnent le succès des « licornes » françaises et participent du rayonnement planétaire de la France, tout comme le sport power, le pays accueillant la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques d’été en 2024 à Paris.Face à la rivalité États-Unis/Chine, au néo-impérialisme russe et à l’émergence de nouveaux acteurs géopolitiques dans un monde concurrentiel multipolaire, la France apparaît comme une puissance « moyenne » de plus en plus contrariée.
Article paru dans la revue Carto, septembre 2022