Le qatar est bel et bien la démonstration d’une évolution des facteurs de puissance : Hans J. Morgenthau ou Nicholas J.Spykman doivent se retourner dans leur tombe, eux qui érigeaient comme premiers facteurs de puissance la taille des territoires et la population ! Voilà un État de 11 500 km2, à peine supérieur au département français de la Gironde, fort de 1,7 million d’habitants (le plus petit État arabe) qui part à la conquête du monde (...)
Ce nouveau « géant » économique dispose d’une partie du plus grand gisement gazier du monde (South Pars en Iran et North Dome en territoire qatari) et détient la 3e réserve de la planète (après l’Iran et la Russie). Ses revenus gaziers de 60 milliards de dollars par an en moyenne… alimentent pour 25 à 33 % régulièrement le QIA — Qatar Investment Authority, un fonds d’investissement doté de 110 milliards de dollars à ce jour. En toute quiétude, le Qatar entre au hit-parade des pays les plus riches (91 700 dollars/hab soit le 2e rang mondial en 2011) …
La première préoccupation de l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani, au pouvoir depuis 1995, le « Kissinger arabe » pour The Economist, est d’occuper le devant de la scène régionale, seul moyen de se poser face à l’Arabie Saoudite et, surtout, à son compétiteur l’Iran. Comme tout petit État très riche, aux potentiels convoités sans capacité de projection militaire importante, le Qatar sait que « se protéger, c’est se rendre indispensable à beaucoup d’interlocuteurs quels qu’ils soient » (Laurence Louër). Cette stratégie est codifiée autour de quelques règles :
- ménager les susceptibilités et concilier les extrêmes pour mieux les réconcilier (…) ;
- multiplier les fronts d’intervention : l’Afrique donne une image de l’activisme de Doha : négociations avec le Polisario en 2004 pour libérer 100 prisonniers marocains, bons offices entre le Soudan et le Tchad, médiation au Darfour… succès opportunément relayés par Al-Jazira en Kiswahili dans l’Est africain ;
- surprendre dans la plupart des domaines et si possible être partout présent : le slogan d’Al-Jazira, « we have no limits », est celui de tout un État. L’audace architecturale de Pearl Island accueillant 35 000 résidents, ou la ville nouvelle de Lusail City dotée de 5 stades et 34 mosquées, sont toutes deux vitrines du savoir-faire qatari (…); - diversifier les vecteurs d’influence, afin de répondre à l’amenuisement, à terme, des revenus des hydrocarbures (80 % des recettes extérieures et 60 % des revenus de l’État). Le programme stratégique Vision 2030, amorcé en 2011, se décline autour d’une spécialisation tertiaire renforcée : un hub de transport aérien, passage obligé des touristes occidentaux et africains se rendant en Extrême-Orient via la Qatar Airways (un centre financier régional et un tourisme ciblant les séjours d’affaires et des conférences internationales) et des « knowledge hubs ». Deux domaines sont particulièrement valorisés :
- l’excellence universitaire avec la construction de la Cité de l’éducation qui doit attirer des universités américaines, de grandes écoles telles HEC, accompagnée d’un pôle de recherche technologique pour le gotha des grandes compagnies (Total, Exxon Mobil Eads, Apple) ;
- le « sport power » :. Rien n’est négligé pour le couronnement en 2022 : être le premier pays arabe à organiser la Coupe du monde de football !
- investir… partout, toujours et le faire savoir : une véritable stratégie de marketing diplomatique se met en place avec la finance comme levier d’influence et les ondes comme vecteur d’image. Al-Jazira, inaugurée en 1996, est le porte-voix de la « marque Qatar », un instrument d’influence dans la diplomatie arabe, bravant les chasses gardées, débusquant les marchés juteux (football européen…).
Alain Nonjon, article paru sur Diploweb.com, mai 2012
Le Qatar, un petit Etat en quête de puissance
Le Qatar (…) cherche aujourd'hui à diversifier son économie qui repose en grande partie sur les hydrocarbures (…). Jouissant de la 3ème réserve mondiale de gaz, le Qatar se positionne comme le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (…). Le royaume du Qatar a pour ambition de faire de son territoire un haut lieu touristique et culturel (…). Le Qatar poursuit en parallèle une politique de développement d'infrastructures de transports, stimulée par l'approche de la Coupe du monde 2022 (…).
L'éducation, les technologies, les arts et les médias figurent parmi les leviers de puissance que le pays souhaite activer. Doha s'est ainsi doté d'une Cité de l'éducation, accueillant plus de 3000 étudiants (…). La capitale se rêve également pionnière dans l'intégration des TIC [technologies de l'information et de la communication]. Doha s’ouvre aux investisseurs étrangers, en adoptant une loi permettant la détention d'une entreprise à 100% par un acteur étranger, contre 49% auparavant, et espère (…) accélérer le développement de sa place financière (…). Le fonds souverain du Qatar (QIA) continue d’investir massivement en Europe et aux Etats-Unis dans des secteurs aussi variés que l'immobilier, la bourse, les clubs sportifs ou encore la télévision (…).
Cherchant à élargir sa zone d'influence, Doha lorgne désormais sur le potentiel du continent africain (…). La QIA a dernièrement œuvré à (…) financer l'ouverture d'une quarantaine d'établissements hôteliers en Afrique subsaharienne (…). Le Qatar s'est donné les moyens de ses ambitions pour étendre son influence et diversifier ses revenus. C’est (…) la condition sine qua non pour conserver son statut de puissance régionale en dépit de l'isolement politique imposé par le voisin saoudien.
Fabien Giuliani », Le Qatar, une diversification économique à marche forcée », www.lesechos.fr, 24 août 2018