Un régime modernisateur
THEME 2 :
LES TRANSFORMATIONS POLITIQUES ET SOCIALES DE LA FRANCE DE 1848 A 1870
Des logements insalubres
Cette cave était si basse qu'il n'y avait qu'un seul endroit où l'on pût s'y tenir debout […]. Au fond il y avait deux lits […]. Je m'approchai d'un de ces lits, et j'y distinguai dans l'obscurité un être vivant. C'était une petite fille d'environ six ans qui gisait là, malade de la rougeole, toute tremblante de fièvre, presque nue, à peine couverte d'un vieux haillon de laine […]. La vieille femme, qui était la grand‑mère, nous dit qu'elle demeurait là avec sa fille qui est veuve et deux autres enfants qui reviennent à la nuit ; qu'elle et sa fille étaient dentellières ; qu'elles payaient dix‑huit sous de loyer par semaine, qu'elles recevaient de la ville tous les cinq jours un pain, et qu'à elles deux elles gagnaient dix sous par jour.
Victor Hugo, Les Caves de Lille, rédigé en mars 1851 à l'attention de l'Assemblée.
Un outil de surveillance
Livret ouvrier de Gustave Flanet, patissier à Paris, 1868
Document officiel délivré par les maires ou les commissaires de police, qui doivent le viser à chaque changement de résidence, le livret ouvrier identifie le travailleur et lui sert de passeport intérieur
 

Les revendications ouvrières en 1864

A son retour de l'Exposition universelle de Londres (1862), Tolain signe avec d'autres ouvriers « le manifeste des 60 »

Nous dont les enfants passent souvent leur plus jeune âge dans le milieu démoralisant et malsain des fabriques, ou dans l'apprentissage, qui n'est guère encore aujourd'hui qu'un état voisin de la domesticité ; nous dont les femmes désertent forcément le foyer pour un travail excessif, contraire à leur nature, et détruisant la famille ; nous qui n'avons pas le droit de nous entendre pour défendre pacifiquement notre salaire, pour nous assurer contre le chômage, nous affirmons que l'égalité écrite dans la loi n'est pas dans les mœurs, et qu'elle est encore à réaliser dans les faits (…). Nous marcherons à la conquête de nos droits, pacifiquement, légalement, mais avec énergie et persistance. Notre affranchissement montrerait bientôt les progrès réalisés dans l'esprit des classes laborieuses, de l'immense multitude qui végète dans ce que l'on appelle le prolétariat.

Manifeste des 60, publiée dans l'Opinion nationale, 17 février 1864

Un nouveau droit sous conditions

En abolissant le délit de délit de coalition, Napoléon III veut renforcer le lien entre le régime et les ouvriers. Mais ces derniers ne bénéficient toujours pas des droits d'association et de réunion.

Les articles 414,415 et 416 du Code pénal [de 1810] sont abrogés et sont remplacés par les articles suivants :

Art. 414. Sera puni d'un emprisonnement de 6 jours à 3 ans et d'une amende de 16 francs à 3 000 francs, ou de l'une de ces 2 peines seulement, quiconque, à l'aide de violences, voies de fait, menaces ou manœuvres frauduleuses, aura amené ou maintenu, tenté d'amener ou de maintenir, une cessation concertée de travail dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l'industrie ou du travail.

Art. 415. Lorsque les faits punis par l'article précédent ont été commis par suite d'un plan concerté, les coupables pourront être mis, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant 2 ans au moins ou 5 ans au plus.

Art. 416. Seront punis d'un emprisonnement de 6 jours à 3 mois et d'une amende de 16francs à 3 000 francs, ou de l'une des 2 peines seulement, tous ouvriers, patrons et entrepreneurs d'ouvrages qui, à l'aide d'amendes, défenses, proscriptions, interdictions prononcées par la suite d'un plan concerté, auront porté atteinte au libre exercice de l'industrie du travail.

Loi du 25 mai 1864

Émile Ollivier explique sa loi (du 25 mai 1864)

On aura beau tourner et retourner la question des grèves, elle n'a que 2 solutions : ou leur interdiction radicale, comme dans les lois de la Révolution et le Code pénal de 1810, ou leur liberté complète, comme dans la loi de 1864. On ne peut songer à l'interdiction ; il ne reste qu’à se confier à la liberté. Là, comme partout, elle fera son œuvre bienfaisante (…), à la seule condition qu'on ne permette pas à la liberté des uns de supprimer celle des autres, et que la liberté de tous soit énergiquement sauvegardée. Laissons la coalition libre, pourvu qu'elle soit volontaire (…) et [qu'on] empêche les grévistes de se poster à l'entrée des ateliers désertés (…) pour en fermer l'accès, par l'intimidation, à leurs camarades disposés à continuer le travail.

Émile Ollivier, La loi des coalitions, Mémoires publiées dans la revue des Deux Mondes, 1901

La grève au Creusot en janvier 1870
Gravure de 1870
Le 19 janvier 1870, Eugène Schneider licencie trois ouvriers de ses usines du Creusot, provoquant l’arrêt de travail des métallurgistes rapidement rejoints par les mineurs. Les grévistes revendiquent un salaire de 5 francs la journée de 8 heures pour les mineurs et de 2,25 francs la journée de 8 heures pour les enfants. Schneider (aussi maire du Creusot et président du Corps législatif) fait appel à 3000 hommes de la troupe pour restaurer l’ordre et un procès de 25 grévistes est organisé. Le travail reprend après 23 jours de grève sans amélioration des conditions de travail.