En 1998, l’accord du Vendredi saint mettait fin à trente ans de conflit en Irlande du Nord ; deux décennies plus tard, le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) réveille la question irlandaise. Si la dyade entre les deux Irlande sera bien là mais invisible et sans contrôle, une nouvelle frontière douanière devrait faire son apparition en mer d’Irlande. De son côté, l’Écosse réclame son indépendance avec un autre référendum après l’échec de celui de 2014.
L’Irlande du Nord est l’une des questions géopolitiques les plus épineuses qui soient pour le Royaume-Uni dans la mise en place effective de la sortie de l’UE. Comment ce territoire de 14 130 kilomètres carrés, soit 5 % de la superficie du pays et 3 % de la population avec 1,88 million d’habitants en 2019, a-t-il pu devenir un enjeu majeur du Brexit ? Cette situation s’explique par la présence d’une frontière terrestre de 499 kilomètres entre Irlande du Nord et République d’Irlande, née de l’indépendance en 1922 de l’État libre d’Irlande du Royaume-Uni dont elle faisait partie depuis 1801. L’adhésion simultanée des deux pays à la Communauté économique européenne en 1973 avait permis à l’ensemble de l’île d’intégrer le marché commun avec les mêmes normes et règles douanières.
Quitter l’UE : symptôme d’un royaume désuni
Le référendum sur le Brexit du 23 juin 2016 a perturbé ce fragile équilibre. Si, sur l’ensemble des Britanniques, une courte majorité (51,9 %) a opté pour une sortie de l’UE, ce vote a révélé une fracture entre les quatre nations constitutives du Royaume-Uni. L’Angleterre (53,4 %) et le Pays de Galles (52,5 %) ont choisi le « oui », alors que l’Écosse (62 %) et l’Irlande du Nord (55,8 %) ont dit « non ». Le poids de l’Angleterre (84 % de la population britannique) explique le résultat. Le choix des Nord-Irlandais est en partie lié aux changements permis par l’Europe sur l’« effacement » de la frontière, notamment avec les programmes « INTERREG » (810 millions d’euros pour 1991-2010), ainsi que sur la pacification avec l’initiative « PEACE » de la Commission européenne, finançant à hauteur de 1,6 milliard d’euros pour 1995-2020 divers projets pour rapprocher les différentes communautés.
Une analyse plus fine du vote en Irlande du Nord révèle d’autres fractures entre ses 18 circonscriptions. Celles qui ont majoritairement voté pour un maintien dans l’UE sont territorialement situées le long de la frontière avec la République d’Irlande et sont principalement catholiques et nationalistes (en faveur de la réunification et de l’indépendance de l’Irlande). Celles qui ont voté pour une sortie de l’UE sont les plus éloignées de cette frontière et sont principalement protestantes et unionistes (défendant l’appartenance de l’Ulster au Royaume-Uni).
Le casse-tête de la frontière
En cas de Brexit sans accord, des contrôles aux frontières seraient rétablis, remettant en question la libre circulation des citoyens britanniques et irlandais, soit environ 110 millions de passages de personnes et 72 millions de véhicules par an. En réinstaurant des taxes douanières et des contrôles, les échanges seront moins fluides et plus coûteux, impactant les économies irlandaise et britannique. Unionistes et nationalistes s’opposent au rétablissement d’une frontière « dure », car, symboliquement, elle remettrait en question les dispositions de l’accord du Vendredi saint.
Le « backstop » ou « filet de sécurité » proposé par l’UE en novembre 2018, avec comme solution provisoire le maintien du Royaume-Uni dans l’union douanière tant qu’aucun accord commercial n’a été adopté entre les deux Irlande, a été rejeté par les députés britanniques, provoquant la chute du gouvernement de Theresa May (2016-2019). L’accord conclu par le nouveau Premier ministre, Boris Johnson (depuis juillet 2019), le 17 octobre 2019, prévoit que les marchandises produites en Irlande du Nord puissent entrer dans l’UE sans contrôle, et que les produits provenant du reste du Royaume-Uni ou hors UE soient vérifiés en mer d’Irlande, sur tous les points d’entrée, créant de facto une nouvelle frontière maritime. Avec la victoire de Boris Johnson aux législatives du 12 décembre 2019, l’option la plus probable d’ici au 31 janvier 2020 est une sortie de l’UE dans les termes les plus durs.
Carto,n°57 janvier-février 2020 écrit par Laura Margueritte et Thibaut Courcelle
Depuis la fin de la période de transition, qui s'est achevée le 31 décembre 2020, l'Irlande du Nord bénéficie toujours du marché unique et de l'union douanière, dont elle doit suivre les règles bien qu'elle ne soit plus membre de l'Union européenne.
Ainsi, les marchandises produites en Irlande du Nord peuvent continuer d'entrer dans l'UE avec un minimum de contrôles douaniers. Les produits exportés vers l'Irlande du Nord depuis le reste du Royaume-Uni ou des pays tiers - et ayant vocation à être vendus sur le marché européen - sont quant à eux contrôlés aux points d'entrée du territoire (essentiellement les ports en mer d'Irlande, ainsi que les aéroports), et non pas à la frontière entre Irlande du Nord et République d'Irlande. La loi européenne sur la TVA continue également de s'y appliquer.
Par ailleurs, l'assemblée d'Irlande du Nord pourra décider de reconduire ou d'abandonner les règles européennes en 2025, quatre ans après la fin de la période de transition. Si cette dernière décide de les reconduire avec une majorité intercommunautaire simple, rassemblant unionistes et nationalistes, ou avec 60 % des voix mais au moins 40 % d'approbation des nationalistes et des unionistes, ces règles seront appliquées pendant huit autres années, avant un nouveau vote de l'assemblée sur la question. En cas d'approbation sans que l'une de ces deux conditions soit remplie, la reconduction aura lieu pour quatre ans, avant un nouveau vote. Si à l'inverse les membres de l'assemblée décident d'abandonner les règles européennes, celles-ci seront maintenues deux ans, le temps de trouver une solution alternative... ou non. Dans ce dernier cas de figure, un rétablissement de la frontière entre les deux Irlande ne serait plus exclu.
https://www.touteleurope.eu/actualite/brexit-quelles-consequences-pour-les-deux-irlande.html
04.01.2021Jules Lastennet, mis à jour par Vincent Lequeux
Qu’est-ce que le protocole sur l’Irlande du Nord, dont l’UE et la Grande-Bretagne viennent de signer une révision ?
Ce texte qui maintient de fait l’Irlande du Nord dans le marché unique européen, tout en prévoyant des contrôles pour les marchandises britanniques, avait été signé en même temps que le Brexit et provoquait, depuis, des tensions politiques et économiques.
Deux ans après le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), Londres et Bruxelles se sont entendus pour mettre fin à leurs différends sur les contrôles de marchandises post-Brexit en Irlande du Nord. Après plus d’une année de négociations marquées par des soubresauts et des tensions, le premier ministre britannique, Rishi Sunak, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sont arrivés, lundi 27 février, à « l’accord de Windsor » sur ce dossier qui suscitait de vives tensions.
Une première version intégrée au Brexit
Communément appelé « protocole sur l’Irlande du Nord », le protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord a été signé en même temps que l’accord sur le Brexit, le 24 janvier 2020. Pour l’Union européenne, ces deux traités ont été signés par le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Pour le Royaume-Uni, il a été signé par Boris Johnson, alors premier ministre. Le protocole est entré en vigueur le 1er janvier 2021.
Le protocole est censé prendre en compte la situation particulière de l’île d’Irlande : il a été convenu entre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (Royaume-Uni) et l’Union européenne une solution stable et durable destinée à protéger l’économie de l’ensemble de l’île ainsi que l’accord du Vendredi saint (ou accord de Belfast) dans toutes ses composantes, et à préserver l’intégrité du marché unique de l’UE.
L’Irlande du Nord, qui continue de faire partie du territoire douanier du Royaume-Uni, est soumise à un ensemble de règles de l’UE relatives au marché unique des marchandises et à l’union douanière. Le protocole pose pourtant un problème pratique : il introduit un système de vérifications et de contrôles aux points d’entrée sur les marchandises arrivant en Irlande du Nord depuis le reste du Royaume-Uni ou tout autre pays tiers. Ces marchandises sont soumises aux droits de douane de l’UE, à moins qu’il n’existe aucun risque qu’elles entrent dans l’UE.
Ce système garantit néanmoins l’absence de vérifications et de contrôles entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, évitant ainsi la mise en place d’une frontière physique et assurant la libre circulation des marchandises en vertu des règles de l’union douanière de l’UE.
Difficultés d’application et tensions politiques
Le protocole n’a toutefois jamais été mis complètement en œuvre car des « périodes de grâce » sur les contrôles ont été instaurées et prolongées pour des produits, comme la viande non surgelée et les médicaments. Certaines entreprises ont dénoncé des formalités trop lourdes, notamment dans le domaine des produits pharmaceutiques, comme le notait la Chambre des lords.
A peine entré en vigueur, le protocole, tenu depuis pour responsable de difficultés d’approvisionnement en Irlande du Nord, a par ailleurs donné lieu à des tensions entre l’Union européenne et Londres. Après le lancement d’une révision unilatérale du statut post-Brexit de l’Irlande du Nord, l’exécutif européen avait lancé une série de procédures contre Londres.
Le protocole est surtout devenu un problème interne pour l’autorité de Rishi Sunak confronté à l’opposition des durs du Brexit et à celle des unionistes du Democratic Unionist Party (DUP), farouchement opposés à toute remise en cause de l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni.
L’Irlande du Nord n’a pas de gouvernement depuis février 2022. Malgré des ultimatums successifs et des apparents progrès dans les négociations entre Londres et Bruxelles à ce sujet, Londres n’a pas réussi à convaincre le DUP de participer à un exécutif. Après l’annonce de l’accord entre Londres et Bruxelles, le chef du DUP a annoncé qu’il « prendra le temps pour étudier les détails et évaluer l’accord ». Prudent, le gouvernement britannique avait annoncé, début février, avoir reporté à janvier 2024 la date limite pour la tenue d’élections en Irlande du Nord.
Le nouveau « cadre de Windsor »
En réponse à ces tensions politiques, l’accord de Windsor du 27 février vise à réduire considérablement les contrôles douaniers nécessaires sur les marchandises en provenance de Grande-Bretagne et arrivant en Irlande du Nord. Il doit aussi, s’il est approuvé par les parlementaires britanniques, réduire l’application de réglementations de l’UE dans la province britannique.
Concrètement, les produits arrivant de Grande-Bretagne en Irlande du Nord pour y rester ne seront plus soumis aux mêmes contrôles que ceux voués à être ensuite exportés vers la République d’Irlande, c’est-à-dire vers l’Union européenne. Cela vaudra pour les échanges commerciaux, comme pour l’envoi de colis par des particuliers. Les autorités britanniques, et non plus l’Agence européenne du médicament, délivreront les autorisations de mise sur le marché des médicaments.
Le maintien de certaines lois européennes et de la compétence de la Cour de justice européenne en Irlande du Nord était l’un des points de blocage principaux du protocole pour les unionistes. Le « cadre de Windsor » prévoit la création d’un « frein » à disposition du Parlement nord-irlandais. Si trente députés de plusieurs partis s’opposent à l’application dans la province d’une nouvelle loi européenne sur les biens et marchandises, ils pourront convoquer un vote pour la bloquer, sur le modèle d’une disposition existant déjà dans l’accord de paix de 1998.
Ce « mécanisme d’urgence » n’enlèvera toutefois par à la Cour de justice européenne « le dernier mot » en ce qui concerne les règles régissant le marché unique toujours en vigueur dans la province, a insisté la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Finalement « moins de 3 % » des lois européennes continueront de s’appliquer en Irlande du Nord, fait valoir Londres.
De son côté, Londres renonce à un projet de loi grâce auquel le gouvernement britannique voulait s’arroger unilatéralement la faculté de passer outre certaines dispositions du protocole nord-irlandais. Une concession qui pourrait raviver la fronde des partisans d’un Brexit dur au sein du Parti conservateur.
Le Monde avec AFP et Reuters, 27 février 2023