Alors que le règlement européen sur la protection des données (RGPD) vient d'entrer en vigueur, l'association la Quadrature du Net a déposé lundi cinq plaintes collectives contre Google, Apple, Facebook, Amazon et LinkedIn. Les plaignants accusent les GAFAM d'exploitation illégale de leurs données personnelles.
A peine entré en vigueur, le règlement européen sur la protection des données (RGPD) donne déjà du grain à moudre aux GAFAM sur le front judiciaire. L'association de défense des internautes la Quadrature du Net a déposé lundi 28 mai cinq plaintes collectives contre Google, Apple, Facebook, Amazon et LinkedIn (Microsoft), les accusant d'exploiter de manière illégale les données personnelles de leurs usagers, a-t-elle annoncé lundi dans un communiqué. Les plaintes qui rassemblent les noms de près de 12.000 personnes selon la Quadrature ont été déposées au siège de la Cnil (Commission nationale informatique et liberté), à Paris, qui a confirmé les avoir reçues.
La Quadrature et les plaignants profitent ainsi des nouvelles dispositions du règlement européen sur la protection des données (RGPD), qui prévoient cette possibilité d'action collective. Leurs recours viennent rejoindre ceux déposées dans plusieurs pays par le juriste Max Schrems, grand militant du respect de la vie privée, avec son ONG NOYB (None of your business).
Ces recours vont maintenant être transmis pour instruction aux autorités irlandaise de protection des données personnelles (pour Google, Facebook, Apple et Microsoft) et luxembourgeoise (Amazon), qui sont les autorités "chef de file" en Europe pour ces entreprises.
Entorses au RGPD
Un complexe processus de coopération entre ces autorités chefs de file et les autres autorités nationales va ensuite se mettre en place, pour arriver à une décision européenne unique pour chaque entreprise. Les plaintes déposées par la Quadrature demandent notamment "l'interdiction des traitements d'analyse comportementale et de ciblage publicitaire". Elles demandent également une amende administrative "la plus élevée possible".
Sur le fond, elles estiment que Google, Facebook et les autres ne respectent pas les règles du RGPD dans leur manière de recueillir le consentement des internautes. Elles attaquent notamment les cases pré-cochées, ou les clauses stipulant que la continuation de l'utilisation du service vaut acceptation.
Au total, 7 grands services sont visés par la Quadrature: Google Search, YouTube et Gmail (Google), le système d'exploitation IOS d'Apple, Facebook, Amazon, et LinkedIn (Microsoft). L'ONG française affirme vouloir "attendre un peu de voir" comment ces plaintes évoluent avant d'en déposer d'autres contre "Whatsapp, Instagram,Android, Outlook et Skype". "La procédure de coopération entre les Cnil européennes prendra de bien nombreux mois : inutile de se précipiter dès le début", a indiqué l'ONG dans son communiqué.
Article paru sur le site Challenges.fr, mai 2018lois ». (...)
Réciproquement, ils créent leurs propres normes...Du fait de leur caractère transnational, les conditions générales d'utilisation (CGU) de ces géants de la « tech » créent un droit applicable à leurs services qui, par une inversion de la hiérarchie des normes, se retrouve au-dessus de celui des États. Annie Blandin considère que les CGU « se présentent comme de véritables lois de l'internet ».
Or, ces « lois » sont des vecteurs de valeurs qui ne sont pas forcément les nôtres. Comme le relevait Pierre Bellanger dans son ouvrage sur la Souveraineté numérique, la nudité ou la violence sont traitées selon des référentiels culturels américains et non européens. Pendant longtemps, certains acteurs comme Facebook ont d'ailleurs maintenu des clauses attributives de compétence illégales en ce qu'elles octroyaient aux tribunaux américains la compétence pour trancher un litige.
On constate, par ailleurs, qu'invoquer une violation de ces conditions d'utilisation est parfois plus efficace qu'attendre le traitement d'une plainte par les autorités locales. La presse avait ainsi relayé l'étonnement du directeur général des douanes et des droits indirects sur la promptitude de Facebook à censurer le partage de « L'origine du monde » de Gustave Courbet, jugé non-conforme à ses règles d'utilisation, au regard du manque de diligence de la firme à retirer des annonces pour des ventes de produit de contrebande.
Comme l'a rappelé Pierre Bellanger devant votre commission d'enquête, parfois, l'État ne parvient pas à faire appliquer sa volonté : « à l'été 2016, quelques dizaines de Français ont été mis à mort sur une messagerie chiffrée. L'État français a tenté de faire interdire ce service, de faire retirer la liste, mais les plateformes ont refusé de fermer l'application. L'État s'est trouvé démuni face à la mise en danger de ses citoyens ».
Autre exemple : le 25 septembre dernier, Google a annoncé sa volonté de ne pas appliquer la loi sur les droits voisins des agences de presse et des éditeurs de presse votée en France à l'unanimité des deux assemblées en application d'une directive européenne.
En somme, on rappellera les termes utilisés par Pauline Türk, qui résumait la situation devant votre commission de la façon suivante : « Les multinationales américaines (...) disposent de facto du pouvoir d'imposer des règles. Elles bénéficient d'une suprématie grâce à leur position dominante sur le marché, et sont les véritables pouvoirs souverains dans le cyberespace. Qui fixe les conditions générales d'utilisation ? Qui est en situation de monopole pour la fourniture de services devenus indispensables ? Qui a le pouvoir de se faire obéir ? Qui peut décider de supprimer des contenus, de censurer un tableau, de fermer le profil d'un utilisateur - cela équivaut à une mort sociale, notamment pour la jeune génération -, de vendre des données personnelles, de ne pas rendre des données stockées sur un cloud ? Ce sont toujours les mêmes : Google, Amazon, Facebook, Apple, etc ».
...et entendent influencer la décision publiqueDotés d'importants moyens financiers, ils entendent peser sur la prise de décision publique comme aux États-Unis, en Europe. Lors des débats sur la directive dite « droits d'auteur », imposant aux géants du numérique de verser de tels droits aux créateurs de contenus diffusés sur des plateformes numériques telles que Google Actualité ou encore YouTube, le lobbying fut particulièrement intense et agressif. Lors de son audition, Benoît Thieulin a ainsi affirmé : « Par leur activisme contre la directive sur le droit d'auteur, les plateformes m'ont profondément choqué : elles ont utilisé leur propre force de frappe à des fins de propagande. Il s'agit là d'un véritable problème démocratique ».
Ce phénomène va croissant. Entre 2011 et 2017, les dépenses de lobbying de Google auprès des instances de l'Union européenne sont passées d'un à six millions d'euros.
Rapport n° 7 (2019-2020) de M. Gérard LONGUET, fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 1er octobre 2019Malgré son adoption à l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel a largement censuré, jeudi 18 juin, la loi contre la haine en ligne portée par la députée La République en Marche Laetitia Avia. Une victoire pour la liberté d’expression mais un coup dur pour le gouvernement, analyse la presse étrangère.
L’Assemblée nationale l’avait adoptée, le Conseil constitutionnel l’a retoquée. Jeudi 18 juin, l’institution française chargée de la régulation des lois a décidé de censurer l’essentiel de la loi controversée sur la haine en ligne, “portant un coup sévère aux efforts du gouvernement pour contrôler les contenus diffusés sur Internet”, juge The New York Times.
Le texte, porté par Laetitia Avia, députée La République en marche et soutenu par le président français Emmanuel Macron, “exige des plateformes en ligne qu’elles retirent sous vingt-quatre heures les contenus ‘manifestement’ illicites qui leur ont été signalés, et sous une heure les contenus signalés [par les autorités] comme relevant du terrorisme ou d’abus sur mineurs, sous peine d’amendes”, explique Politico.
Seules quelques mesures sont conservées, à l’instar de la création d’un parquet spécialisé dans la lutte contre la haine en ligne afin d’enquêter sur des messages postés sur Internet. Le ministère de la Justice a déclaré que le gouvernement français pourrait retravailler le dispositif en prenant acte de la décision du Conseil constitutionnel.
Pour The Wall Street Journal, la décision est un camouflet pour le président français Emmanuel Macron, qui avait pour ambition de placer la France à l’avant-garde d’un mouvement plus large visant à obliger les entreprises de hautes technologies à se montrer plus responsables dans la manière dont elles contrôlent leurs contenus.”
Depuis les années 1990, la législation, en Europe ou aux États-Unis, protège les géants du numérique contre toute responsabilité vis-à-vis de l’activité de leurs utilisateurs sur leurs plateformes, rappelle le journal américain, bible des milieux d’affaires.
Mais les législateurs ont proposé de revenir sur ces mesures de protection. Ils reprochent en effet aux plateformes Internet de ne pas en faire assez pour stopper la diffusion de contenus relevant par exemple de la propagande terroriste ou de la désinformation électorale.”
Avec la loi Avia, le gouvernement français espérait servir de modèle à la Commission européenne et à son “Digital Services Act (loi sur les services numériques), un ensemble de règles visant à modérer les contenus ; ce projet doit être présenté d’ici à la fin de l’année et concernera les sociétés du numérique”, note Politico.
Cependant, “la décision [du Conseil constitutionnel] pourrait également avoir des conséquences sur cette future législation sur les services numériques(Digital Services Act), car elle montre clairement les limites de ce que la France peut promouvoir au niveau européen, tout en fournissant des orientations sur ce qui est acceptable – et ce qui ne l’est pas – en termes de modération des contenus.”
Article de Valentin Scholz paru dans Courrier International, 19 juin 2020