Les géants du numérique
THEME 2 : ANALYSER LES DYNAMIQUES DES PUISSANCES INTERNATIONALES
Axe 2: Formes indirectes de la puissance : une approche géopolitique
Jalon 2 : Les nouvelles technologies : puissance des géants du numérique, impuissances des Etats et des organisations internationales?
Guerre froide d'un nouveau genre

Voilà huit ans, un ingénieur chinois lançait une bombe dans la galaxie des réseaux sociaux. TikTok, une appli qui rend accrocs les ados et fait trembler la Silicon Valley. Depuis 2019, la bataille fait rage entre Pékin et Washington. Qui va remporter la précieuse banque de données ?

2012 : alors que Facebook franchit au pas de charge le cap du milliard d'utilisateurs, une idée frémit à 10 000 km de là. A Pékin, Zhang Yiming, un jeune ingénieur en informatique chinois de 29 ans, fonde sa petite entreprise ambitieuse, ByteDance. Huit ans plus tard, si la maison mère est encore peu connue sous nos latitudes occidentales, l'une de ses émanations a fait irruption dans le quotidien des adolescents du monde entier. Son nom ? TikTok. Téléchargée plus d'un milliard de fois sur l'année écoulée (un record), l'application permet de partager de courtes vidéos montées en quelques instants. (...) Valorisé à 70 milliards d'euros (un autre record), TikTok est désormais le sixième réseau social de la planète, sur les talons d'Instagram, filiale de Facebook. On estime que la moitié de ses utilisateurs ont moins de 24 ans. On pourrait s'en tenir à ce phénomène viral aux chiffres stratosphériques. (...) Mais une autre histoire, bien moins ludique, s'écrit dans la trame de son algorithme. Une histoire de pouvoir et de suprématie, mettant aux prises les deux principales puissances de la planète.

Dans la bataille pour capter l'attention des internautes, ByteDance est la première entreprise chinoise à prendre à ce point pied à l'étranger, venant concurrencer l'hégémonie des grandes plateformes de la Silicon Valley. Contrairement à elles, qui rassemblent leurs services sous une seule appellation, le trublion asiatique possède de nombreuses branches autonomes, fruit d'une jeune histoire mouvementée. Dès les premières heures de son aventure entrepreneuriale, constatant l'incroyable dissémination de l'information permise par les smartphone, son fondateur, diplômé en microélectronique, croit au pouvoir quasi civilisationnel de l'intelligence artificielle. Les géants du numérique chinois (nommés BATX pour Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ont, pour la majorité vu le jour entre 1998 et 2000. Issue d'une deuxième génération d'entreprises, ByteDance a fait irruption au moment providentiel. "Il y a dix ans, les grands groupes ont compris qu'en exploitant les données ils pouvaient devenir bien plus qu'un moteur de recherche ou qu'une plateforme de commerce en ligne" explique Séverine Arsène, chercheuse associée au Médialab de Sciences Po, professeure à l'université chinoise de Hong Kong. Le nouveau venu s'est donc spécialisé dans les algorithmes de recommandation (...), tournés vers une seule mission, résumée par Zhang Yiming lui-même : "Equiper les humains avec des super intelligences ubiquitaires pour créer, découvrir, utiliser et interagir avec l'infirmation". Un programme qui peut être inquiétant : Marc Faddoul, chercheur en IA à l'université de Berkeley, a ainsi découvert il y a quelques mois que l'application recommande des utilisateurs qui ressemblent à ceux que vous suivez déjà, favorisant une forme d'enfermement. (...)

Ambitieux, influent, ByteDance est aussi tenu d'être coopératif avec le pouvoir. En 2018, l'entreprise a dû fermer l'une de ses applications, Neihan Duanzi, les autorités (chinoises) punissant son contenu "vulgaire" (elle permettait de partager des photos humoristiques). Dans une lettre publique, le grand patron a battu sa coulpe, regretté d'avoir failli "aux valeurs socialistes", et promis d'embaucher des modérateurs encartés au parti communiste. Comme le précise Julien Nocetti, professeur à Saint-Cyr et chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri), "le lien entre les entreprises chinoises et l'appareil d'Etat est organique : depuis 2017, uen loi sur la cybersécurité les oblige à collaborer, et en cas de manquement, elles risquent de perdre des financements à taux très avantageux". La compétitivité contre la docilité donc.

Craignant de voir le réseau social à l'expansion planétaire siphonner des informations personnelles à des fins d'espionnage, les services de renseignement américains surveillaient déjà TikTok depuis 2019. Mais l'affaire a pris une tout autre dimension en juillet, lorsque Donald Trump a décidé d'en faire l'étendard de sa guerre commerciale avec Pékin. Bien décidé à faire passer la licorne chinoise sous pavillon américain, le locataire de la Maison-Blanche l'a menacé d'interdiction peure et simple afin de forcer la décision. Après de longs mois de négociations houleuses, Oracle, l'entreprise américaine de gestion des bases de données, doit entrer au capital (de TikTok) et héberger les précieuses données. Mais (...) l'entourage du président Xi Jinping semble déterminé à ne pas céder une once de terrain. Dans une guerre froide d'un nouveau genre, c'est le titre de superpuissance technologique qui se joue actuellement. (...)

Olivier Tesquet, Télérama, 16 décembre 2020.
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Qui sont les GAFA chinois ? - Citéco Vidéo Challenge
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Alibaba et les 40 décideurs

Le 11 novembre 2016, lors d'un événement organisé par l'entreprise, 657 millions de commandes ont été réalisées en une journée, pour un chiffre d'affaires supérieur au PIB du Sénégal.
En janvier 2017, Jack Ma (fondateur de l'entreprise du numérique Alibaba spécialisée dans le commerce électronique) était le premier businessman chinois à s'afficher aux côtés du président américain fraîchement élu, Donald Trump, grillant ainsi la priorité au président chinois lui-même. Et contre toute attente (Trump ayant fustigé la Chine tout au long de sa campagne), les échanges furent plus que cordiaux. (...)
Porte-drapeau de l'ouverture de son pays au monde, Jack Ma multiplie les poignées de mains de haute volée et les sommets internationaux. Argentine, Australie, Israël, Malaisie, Pakistan, France... Jack Ma n'hésite pas à traverser les frontières pour aller à la rencontre des preneurs de décision. (...)
Dans la même veine, Jack Ma souhaite qu'Alibaba, à l’image d'un État, ait sa propre Nasa et veut créer une Organisation mondiale du commerce électronique. Son ambition, et pas des moindres : sauver l'économie mondiale.

Marion Robert, "Face aux GAFA, l'affirmation des BATX : Alibaba, le rêve chinois", Décideurs magazine, août 2017.
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Les BATX et le pouvoir politique chinois

Pony Ma, le patron du géant de la tech Tencent et troisième fortune de Chine, n'en dort plus la nuit. Pékin voudrait s'inviter au capital de son empire, qui détient le réseau social ultra-dominant WeChat. (...)
C'était une question de temps : les entreprises de technologie chinoise, Alibaba et Tencent, en s'infiltrant dans tous les aspects de la vie quotidienne des habitants, ne pouvaient pas rester indépendantes. (...)
Jack Ma, le patron d'Alibaba, raconte ainsi que son groupe a reçu environ 40 000 visites d'officiels chinois pour la seule année 2015. Il est aussi en train de mettre sur pied une fondation qui espère lever 100 milliards du yuans (12,8 millions d'euros) pour soutenir les plus défavorisés en Chine, l'un des principaux chantiers du président XI Jinping. Mais jusqu'ici, l'astucieux patron disait : "Tombez amoureux du gouvernement, mais ne vous mariez pas avec!" (...)
Le risque, en faisant entrer l’État au capital des entreprises les plus performantes de Chine, est que celles-ci perdent leur capacité à innover. D’après un proche de Pony Ma cité par le Wall Street Journal, c'est justement ce qui donne des insomnies au patron de Tencent.

Simon Leplâtre, "Les autorités chinoises s'invitent au capital des géants de la tech", www.lemonde.fr, 14 octobre 2017.
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