La guerre technologique entre les deux Grands
«Après l’échec du sommet de Reykjavik […] un accord1 sur le démantèlement des euromis-silesSS-20, Pershing-2 et missiles de croisière sol-sol Tomahawk était donc un choix rationnel pour l’Union soviétique et les États-Unis, si l’on admet que les deux superpuissances veulent toujours éviter de s’opposer directement. En acceptant de se priver de ces catégories d’armes, les responsables américains paraissent renoncer à deux “barreaux” de l’escalade théoriquement prévue par la stratégie de riposte flexible […] qui se limite à l’emploi, jugé approprié, des armes conventionnelles et des armes nucléaires susceptibles de les compléter.
Cette réflexion sur les nouvelles formes de guerre nucléaire a conduit, en 1976, à une directive qui introduit dans la doctrine américaine la notion de guerre nucléaire limitée. […] L’augmentation du nombre de charges nucléaires et la précision croissante de leurs missiles à longue portée permettaient, apparemment, aux États-Unis de s’engager dans cette voie. En 1980, une autre étape de l’évolution stratégique américaine fut franchie par l’administration Reagan. […] La progression numérique et qualitative de l’arsenal nucléaire soviétique a très naturellement provoqué une réflexion. Les Américains misèrent alors sur leur puissance industrielle et leur formidable capacité d’innovation scientifique et technique. D’où l’initiative de défense stratégique2, qui représente la tentative la plus spectaculaire de leur part pour sortir de la parité nucléaire avec l’URSS, grâce au déploiement d’un système spatial antimissiles.
Pour l’essentiel, on pourrait dire que les conceptions stratégiques américaines […] supposent que la “dissuasion” ne soit plus seulement nucléaire mais aussi conventionnelle. Les moyens pour revaloriser le rôle confié aux forces conventionnelles? Ce sont les nouvelles générations d’armes classiques, dites “intelligentes”, ce qui signifie, en pratique, qu’elles sont autoguidées et de très grande précision. Ainsi la logique des conceptions stratégiques américaines explique-t-elle en grande partie les choix de l’administration Reagan en matière de désarmement nucléaire. […] Peut-être faut-il y voir, pour une part, la réaction à l’affaire de Tchernobyl3 et la prise en compte plus précise des avantages psychologiques qui en résulteraient sur le comportement des populations, des troupes et, peut-être aussi, des gouvernements. »
Paul-Marie de La Gorce, « Des euromissiles aux armes “intelligentes”... », © Le Monde diplomatique, juillet 1987.
1. Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) signé en 1987 par R. Reagan et M. Gorbatchev.
2. Système de défense américain annoncé en 1983. Placée en orbite, cette technologie devait permettre d’intercepter des missiles soviétiques sol-sol et mer-sol.
3. Le 26 avril 1986, l’explosion du réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl (Ukraine) provoque la plus grave catastrophe nucléaire du XXe siècle