Sujet : montrez que les procès contre les criminels nazis après Nuremberg (1946) poursuivent un
objectif judiciaire, historique et mémoriel. Votre travail devra comporter une introduction, un développement et une conclusion.
Au brouillon, vous compléterez le tableau qui vous servira de coup de pouce.
Simone Veil est une ancienne déportée à Auschwitz et à Bergen-Belsen, ministre des Affaires sociales à cette époque.
J’ai toujours pensé que le travail des historiens apporterait plus que des procès tardifs […]. La dramatisation qui intervient lors d’un procès […] a sans doute un effet émotionnel plus grand. Mais en tant qu’ancien magistrat, je reste perplexe quant aux moyens et à la valeur d’exemplarité d’une justice qui intervient longtemps après les crimes, alors que les témoins n’ont plus toujours de souvenirs très précis, que les magistrats et les jurés ont du mal à comprendre le contexte des faits incriminés. Même Touvier a aujourd’hui l’air d’un homme âgé qui peut paraître pitoyable et qui fait oublier l’homme jeune et…impitoyable. Mais, dans ce cas, ce qui rend le personnage fidèle à ce qu’il était c’est qu’il a lui-même provoqué ce procès. […] Il recherchait une restitution de tous ses droits sans avoir jamais exprimé le moindre sentiment de culpabilité ou de repentir. Je reste cependant réservée quant à la notion d’imprescriptibilité, même pour des crimes contre l’humanité.
Entretien de Simone Veil accordé au Figaro, 25 mars 1994
Depuis 2009, les tribunaux allemands ont élargi aux simples gardiens de camps le chef d’accusation de complicité de meurtre. Des procédures ont ainsi été engagées contre des personnes très âgées. Serge Klarsfeld, avocat, qui avec sa femme a traqué de nombreux criminels nazis, donne ici son sentiment sur ces procès tardifs.
Question : Deux gardiens d’Auschwitz passent devant les tribunaux. A quoi sert-il de les juger après si longtemps ?
Serge Klarsfeld : Ceux qui restent à juger aujourd’hui avaient moins de 25 ans à l’époque, ils se trouvaient tout en bas de la hiérarchie. Les crimes qu’ils ont commis n’ont pas été documentés de la même manière que ceux des responsables. […]
Question : Mais ces procès n’ont-ils pas une valeur symbolique ?
Serge Klarsfeld : On ne juge pas les symboles, mais d’éventuels coupables. L’intérêt de ces procès est d’entretenir la mémoire de la Shoah. Mais ils n’ajoutent que peu de choses à la connaissance que nous avons de cette période de l’Histoire. Au contraire des procès que nous avons initiés et qui ont permis de dévoiler des pans entiers de l’entreprise génocidaire. Nuremberg a ouvert la voie, le procès Eichmann a suivi. Puis ceux auxquels nous avons contribué : celui de Maurice Papon, de René Bousquet, de Paul Touvier, chacun d’entre eux illustre une page de la Shoah. Ils ont permis de rassembler une documentation gigantesque. Les instructions ont duré des années pour établir les faits, pour dresser des rapports détaillés qui représentent une matière fantastique pour les historiens.
« Chaque procès a dévoilé une page de la Shoah », entretien avec Serge et Beate Klarsfeld, Le Temps, 9 mars 2016.
Il faut chercher la vérité judiciaire plutôt dans la distribution des rôles d’agresseur et d’agressé. Que raconte un procès pénal sinon les faits et les circonstances d’un acte criminel ? Vers quoi s’oriente-t-il, si ce n’est vers le jugement final des coupables […] ? Le bourreau disait à celui qu’il tient à sa merci : « Tu es coupable de vivre dans le même monde que moi, voilà pourquoi je dois t’anéantir. » Le juge répond au bourreau : « Tu es juridiquement le seul coupable et cet homme que tu voulais punir de mort est la victime. » Les procès restituent sa place à une victime que le crime désigne comme coupable et que le fait de survivre maintient dans la honte. En brisant l’enchainement bureaucratique du crime de masse, ils rendent lisibles les responsabilités morales de chacun. A partir du moment où les positions sont inversées par rapport au crime, les victimes accèdent à la vérité judiciaire. Chacun est replacé dans une communauté de destin : le bourreau devant son
châtiment ; la victime dans la perspective du deuil et de la mémoire. Le but est bien de pas laisser deux fois les morts sans sépulture : d’abord dans les charniers d’une mort anonyme et impie ; ensuite par l’oubli des victimes frappées de honte, d’indifférence et de silence.
Denis Salas, La Justice entre histoire et mémoire, Autrement, 2002.
Trailer de la série Hunters, David Weil.