Sujet : montrez que les procès contre les criminels nazis après Nuremberg (1946) poursuivent un
objectif judiciaire, historique et mémoriel. Votre travail devra comporter une introduction, un développement et une conclusion.
Au brouillon, vous compléterez le tableau qui vous servira de coup de pouce.
Biographie :
Haut fonctionnaire, secrétaire général de la préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944, il se rapproche de la Résistance à la fin de la guerre. Préfet en Algérie, puis à Paris, (1958-1967), il porte la responsabilité policière de la répression des manifestations du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962. Le Canard Enchainé révèle en 1981 sa responsabilité dans la déportation des Juifs bordelais. Accusé de crimes contre l’humanité, il est condamné en 1998 à dix ans de prison et libéré en 2002 pour raisons de santé.
Jusqu’en 1969, [la mémoire de la Seconde Guerre mondiale] se focalisait sur la vision d’une France glorieuse, exaltant les résistants, niant l’incidence de Vichy et la spécificité de la Shoah. Désormais, elle agrège de plus sombres réalités, rappelant la réalité et la popularité de l’Etat français, découvrant le sort que le nazisme et son allié vichyste réservèrent aux juifs vivant dans l’Hexagone entre 1940 et 1944 (…).
La figure du héros s’efface devant celle de la victime : Buchenwald (1) symbolisait la réalité concentrationnaire ; Auschwitz l’incarne dorénavant. La Résistance passionnait l’opinion ; c’est aujourd'hui Vichy qui l’intrigue. Les Français communiaient volontiers dans la légende ; maintenant, ils réclament la vérité et se muent en procureurs. Les pouvoirs publics avaient, jusqu’alors, adopté une vision plutôt syncrétique du passé, défendant (…) une conception extensive de la Résistance, confondant dans la barbarie nazie les destins tragiques du déporté, du prisonnier, voire du requis. Les temps nouveaux invitent à la distinction.
O. Wieviorka, La mémoire désunie. Le souvenir politique des années sombres
de la Libération à nos jours, éditions Seuil, 2010
(1). Camp de concentration vers lequel ont été déporté de nombreux résistants français.
L’Etat français a mis en fiches, retranché de la société, dépouillé de leurs biens les Juifs, ressortissants étrangers ou nationaux, vivant en France entre 1940 et 1944. Il a procédé à l’arrestation et à l’internement de plusieurs dizaines de milliers d’entre eux, avant de les livrer aux convois nazis en route vers les camps d’extermination. Il aura fallu cinquante ans pour qu’un président de la République reconnaisse officiellement cette évidence, lors de la commémoration de la Rafle du Vel’ d’Hiv’ en juillet 1995. Il aura fallu plus de deux ans encore après ce discours de Jacques Chirac pour que s’ouvre le procès de Papon, haut fonctionnaire qui organisa les arrestations de Juifs à Bordeaux et leur transfert à Drancy, antichambre des camps de la mort. Il est juste qu’un homme soupçonné d’avoir été l’un des auxiliaires français de «la solution finale » soit traduit devant une cour d’assises. […]
Au-delà de la sanction qui sera appliquée à Papon, c’est une dernière fois, la réalité du régime de Vichy qui sera passée au crible des témoignages et des documents sur l’action d’un secrétaire général de préfecture, à Bordeaux, de 1942 à 1944.
Editorial du journal Le Monde, 8 octobre, 1997.
Les historiens doivent-ils témoigner lors du procès Papon ?
a. Jean-Noël Jeanneney souligne l’utilité de ces témoignages Se dégage la seule véritable responsabilité de notre profession dans le prétoire : aider ceux qui en ont la tâche, magistrats ou jurés, à mieux rendre la justice. A si grande distance de temps entre les faits et la sentence (imaginons Dreyfus, Esterhazy ou Zola dans les années 50), il s’agit au premier chef de lutter contre l’anachronisme (…) tout en résumant ceque la connaissance acquise dans l’intervalle par un labeur collectif a établi
quant au contexte dans lequel les actes en cause ont été accomplis. (…). Ce qu’on a pu connaitre des dépositions des universitaires français et étrangers à Bordeaux – Jean-Pierre Azéma, Marc-Olivier Baruch, Philippe Burrin, Robert Paxton, René Rémond -, et des questions qu’on leur a posées, allant des plus élémentaires aux plus pointues, me parait démontrer qu’ils ont été plus qu’utiles, indispensables, pour aider les jurés et les juges à se prononcer à meilleur escient, en restituant pour eux, parmi la multiplicité des possibles disparus, ce que furent la liberté de l’homme impliqué, sa connaissance des conséquences de ses actes, la chronologie précise de ses choix. Ils me paraissent donc avoir été bien inspirés en répondant à la convocation du peuple français.
Jean-NoëlJeanneney, « A quoi servent les historiens ? », L’Histoire, n°222, 1998
b. Henry Rousso explique son refus de témoigner
Etrange situation quand on y songe : les historiens n’ont pas été sollicités durant la phase d’instruction (…) tandis que l’on réunissait les pièces, qu’on en faisait le tri, la critique : bref, une démarche qui présente des analogies avec l’enquête historique. En revanche, les voilà cités, à grand renfort de tambours, au moment où la procédure judiciaire est la plus éloignée de leur pratique, à savoir l’oralité des débats d’une cour d’assises, au sein de laquelle le poids de la rhétorique judiciaire est considérable, une rhétorique qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne maitrisent pas. Supposés informer les jurés d’événements que ceux-ci n’avaient pas connus, les historiens étaient en fait dans la même situation que leurs élèves d’un jour : non seulement ils n’avaient pas non plus connu cette époque pour la majorité d’entre eux, mais de surcroît, comme les jurés, ils étaient les seuls à ne pas connaitre le dossier puisque celui-ci n’était accessible qu’aux magistrats, aux parties civiles et à l’accusé.
Henry Rousso, La hantise du passé, entretien avec Philippe Petit, Textuel, 1998