Exposition 1 :
Les années 90 : l'espoir d'un nouvel ordre mondial ?
THEME 3 :
LA GOUVERNANCE MONDIALE DANS UN MONDE MULTIPOLAIRE

Chapitre 7 :
Nouveaux rapports de puissance et enjeux mondiaux
Extrait de la charte des Nations unies
Article 1. Les buts des Nations unies sont les suivants :
  1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et, à cette fin, prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix, et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix […].
  2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect de l'égalité de droits des peuples et de leur droit de disposer d'eux-mêmes […].
  3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.
  4. Être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes.
Chapitre VII : action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression
Article 39. Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace
ontre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. […]
Article 41. Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner eet à ses décisions, et peut inviter les membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques.
Article 42. Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l’article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démons- trations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de membres des Nations unies.
ONU, 26 juin 1945
Les quatre types de missions de paix de l'ONU
À partir de l'Agenda de la paix initié par Boutros Ghali, l'ONU diversifie ses missions de maintien de la paix.
– Des opérations de maintien de la paix (peacekeeping). Elles consistent à déployer des troupes de l'ONU pour s'interposer quand un accord est défini entre les parties en conflit. L'objectif consiste à maintenir un cessez-le-feu, empêcher la reprise des hostilités, favoriser le rétablissement de la paix. […] ;
– Le rétablissement de la paix (peacemaking) consiste à employer des mesures de médiation et de négociation pour rapprocher les parties. […] Il tend à faciliter la résolution d'un conflit à la suite d'une demande du Conseil de sécurité de l'Assemblée générale de l'ONU ;
– L'imposition de la paix (peace enforcement) conduit à l'application d'actions coercitives en cas de menace à la paix, une violation de la paix ou un acte d'agression. Avec l'autorisation du Conseil de sécurité et en application du chapitre 7 de la Charte de l'ONU, ce type de missions suppose l'usage de la force militaire, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité inernationales ;
– La consolidation de la paix (peacebuilding) est une mission de reconstruction après les hostilités. Elle tend à réduire les risques de reprise d'un conflit et favoriser la reprise des activités politiques, économiques.
Philippe Boulanger, Géographie militaire et géostratégie. Enjeux et crises du monde contemporain, Armand Colin, 2015.
Un "nouvel ordre mondial"
Nos objectifs dans le golfe Persique sont clairs, précis et bien connus (...). Ces objectifs ne sont pas seulement les nôtres. Ils ont été approuvés par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (...). La plupart des pays partagent notre volonté de faire respecter les principes.
La crise dans le golfe Persique, malgré sa gravité, offre une occasion rare pour s'orienter vers une période historique de coopération. De cette période difficile, (...) un nouvel ordre mondial peut voir le jour : une nouvelle ère, moins menacée par la terreur, plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête de la paix. Une ère où tous les pays du monde, qu'ils soient à l'Est ou à l'Ouest, au Nord ou au Sud, peuvent prospérer et vivre en harmonie (...). Aujourd'hui, ce nouveau monde cherche à naître (...). Un monde où les Etats reconnaissent la responsabilité commune de garantir la liberté et la justice. Un monde où les forts respectent les droits des plus faibles.
(...) Les autres dirigeants d'Europe, ceux du Golfe et d'autres parties du monde comprennent que la façon dont nous résoudront cette crise aujourd'hui pourrait façonner l'avenir des futures générations. L'épreuve à laquelle nous faisons face est importante, comme le sont les enjeux (...). Si nous n'avions pas réagi de manière décisive à cette première provocation, si nous n'avions pas continué de faire preuve de fermeté, ce serait un signal donné aux tyrans actuels et potentiels du monde entier.
Les Etats-Unis et le monde doivent défendre leurs intérêts communs et vitaux. Et ils le feront.
Les Etats-Unis et le monde doivent soutenir la primauté du droit. Et ils le feront.
Les Etats-Unis et le monde doivent se dresser contre l'agression. Et ils le feront.
Et une dernière chose : dans la poursuite de ces objectifs, les Etats-Unis ne se laisseront pas intimider.
Discours du président américain George H. W. Bush devant le Congrès, 11 septembre 1990. Traduction Le Monde diplomatique

L’intervention de l’ONU en ex‑Yougoslavie

Le Conseil : 1. Donne son plein soutien aux efforts collectifs de paix et de dialogue en Yougoslavie déployés sous l’égide des États membres de la Communauté européenne, avec le soutien des États participant à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, conformément aux principes de cette Conférence. [...]
4. Demande instamment à toutes les parties d’appliquer strictement les accords de cessez-le-feu des 17 et 22 septembre 1991. [...]
5. Appelle instamment et encourage toutes les parties à régler leurs différends par la voie pacifique et la négociation à la conférence sur la Yougoslavie, y compris les mécanismes institués dans ce cadre.
6. Décide, en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies, que tous les États mettront immédiatement en œuvre, pour établir la paix et la stabilité en Yougoslavie, un embargo général et complet sur toutes les livraisons d’armements et d’équipements militaires à la Yougoslavie, et ce jusqu’à ce que le Conseil de sécurité en décide autrement, après que le secrétaire général aura consulté le gouvernement yougoslave.

Résolution 713 du Conseil de sécurité des Nations unies, 25 septembre 1991.
Le nouvel ordre mondial selon George H. W. Bush
La guerre (1) est finie. C'est une victoire pour tous les pays de la coalition, pour les Nations unies (...). C'est une victoire de la loi et du droit (...). Saddam Hussein était l'agresseur, le Koweït la victime. Sont venues à l'aide de ce petit pays des nations de l'Amérique du Nord et de l'Europe, de l'Asie et de l'Amérique du Sud, de l'Afrique et du monde arabe, tous unis face à cette agression. Notre coalition hors du commun doit travailler maintenant dans un même but : préparer l'avenir (...)
Ce soir, laissez-moi définir 4 objectifs clés.
Premièrement, nous devons travailler ensemble à mettre sur pied des accords de sécurité mutuelle dans la région (...). Que nos amis et nos alliés sachent (...) que l'Amérique se tient prête à assurer la paix à leurs côtés (...). Que ce soit clair : nos intérêts nationaux dépendent d'un Golfe stable et sûr.
Deuxièmement, nous devons agir pour contrôler la prolifération des armes de destruction massive et les missiles utilisés pour les envoyer (...). L'Irak requiert une vigilance particulière (...).
Troisièmement, nous devons travailler à créer de nouvelles occasions pour assurer la paix et la stabilité au Moyen-Orient (...). Une paix globale doit être fondée sur les résolutions (2) 242 et 338 des Nations unies sur le principe de l'échange du territoire contre la paix (...).
Quatrièmement, nous devons favoriser le développement économique pour le bien de la paix et du progrès. Le golfe Persique et le Moyen-Orient forment une région riche en ressources naturelles avec un potentiel humain riche mais inexploité (...)
En atteignant ces 4 objectifs nous pouvons bâtir un cadre pour la paix (...). Jusqu'alors le monde que nous connaissions était un monde divisé par des barbelés et des murs de béton, un monde de conflit et de guerre froide. Maintenant nous pouvons voir venir un nouveau monde. Un monde dans lequel il existe une véritable perspective de nouvel ordre mondial (...). Selon les morts de Churchill, un "ordre mondial" dans lesquels les principes de justice et de loyauté "protègent les plus faibles contre les plus forts" . Un monde dans lequel les Nations unies, libérées de l'impasse de la guerre froide, sont en mesure de réaliser la vision historique de leurs fondateurs. Un monde dans lequel la liberté et les droits de l'homme sont respectés par tous les nations.
Discours du président américain George H. W. Bush devant le Congrès (extraits), 6 mars 1991
(1) la guerre du Golfe
(2) ces résolutions concernent le conflit israélo-arabe

Agenda pour la paix de 1992

Texte rédigé par le secrétaire général de l'ONU M Boutros Boutros-Ghali

Ces dernières années ont vu s'effondrer la barrière idéologique quasiment insurmontable qui, pendant des décennies, avait nourri la suspicion et l’hostilité ainsi qu'un effroyable amoncellement de moyens de destruction (…). L'amélioration des relations entre l'est et l'ouest offre de nouvelles possibilités, dont certaines ont déjà été mises à profit, de lever les menaces pesant sur la sécurité commune (…). Les principales puissances nucléaires ont commencé à négocier des accords de réduction des armements (…). Depuis la création de l'Organisation des Nations unies en 1945, plus d'une centaine de conflits majeurs ont éclaté de par le monde, qui ont provoqué la mort de 2 millions d'êtres humains environs. L'ONU est restée impuissante devant nombre de ces crises en raison des vétos - au nombre de 279 - mis à l'action du Conseil de sécurité, qui illustrent bien les divisions de l'époque. La guerre froide s'est achevée, les vétos ont pris fin le 31 mai 1990, et les demandes adressées à l'organisation se sont multipliées. Impuissant, naguère, devant des situations qu'il n'avait pas été créé ni équipé pour maîtriser, le Conseil de sécurité est devenu un instrument central dans la prévention et le règlement des conflits aussi bien que dans la préservation de la paix. Nos buts doivent être désormais les suivants : (…) :

- Lorsqu'un conflit éclate, d'entreprendre de rétablir la paix en réglant les différends qui le sous-tendent ;

- De maintenir la paix, aussi précaire soit elle, lorsque cesse le combat et de contribuer à la mise en œuvre des accords auxquels sont parvenus les médiateurs ;

- De nous tenir prêts à prendre part au rétablissement de la paix sous ses diverses formes : reconstruire les institutions et les infrastructures des nations déchirées par la guerre civile et les conflits internes ; créé entre les nations précédemment en guerre des liens fondés sur l'avantage mutuel

http://www.un.org/french/docs/sgf/agendaf2.htm

L'implication croissante de l'ONU
 

Le rôle de l'ONU en question durant la guerre en ex-Yougoslavie

Bihac est une ville du nord-ouest de la Bosnie, peuplée de Bosniaques musulmans. Elle est décrétée zone de sécurité de l'ONU (1249 casques Bleus) mais attaquée par les Serbes en 1994.

Quand on est dans un pays en guerre, armés, et qu'on a pour ordre de ne pas utiliser ses armes, on est de fait du côté de l'agresseur, de celui qui essaie de conquérir du terrain. A Bihac, cela signifiait indéniablement être du côté des Serbes. J'ai menti à un certain nombre de gens à qui on avait dit « mais oui, on va vous aider, si la guerre arrive, vous n'aurez qu'à venir nous rejoindre dans le poste d'observation ». (…). Et le jour où la guerre arrivait, on n'était même plus dans le poste d'observation parce qu'on avait déménagé 2 jours avant.

François Crémieux, appelé du contingent en mission volontaire par l'ONU, en 1994 cité dans l'Histoire, n°460, juin 2019

Le nouveau rôle de l'ONU : le droit d'ingérence humanitaire
1992 aura enregistré un développement sans précédent des opérations d'aide humanitaire et la mise au rancart, déjà amorcée l'année précédente au bénéfice des kurdes d’Irak du dogme de la « non-ingérence » (1) (…). « La conscience de l'humanité, désormais soutenue par les dispositions du droit international, demande, a pu dire le pape, que soit rendu obligatoire l'ingérence humanitaire dans les situations qui compromettent gravement la survie des peuples et de groupes ethniques entiers. C'est un devoir pour les nations et pour la communauté internationale ». (…). Jamais, jusqu'à l'envoi en Somalie, en décembre, avec la bénédiction de l'ONU, de plus de 30 000 militaires venus des Etats-Unis, de France et d'une dizaine d'autres pays dans le cadre de l'opération Restore Hope, une telle unanimité ne s'était manifestée pour assister une nation en péril (…).Ne pas faire protéger par la force la distribution de l'aide alimentaire aux Somaliens serait revenu à l'abandonner aux gangs et à condamner des dizaines de milliers
de malheureux à mourir de faim (…). L'ampleur de l'opération met en évidence le rôle croissant joué par l'ONU que De Gaulle appelait dédaigneusement le « machin ». Si celui-ci était voué, de son temps, à une quasi-impuissance, c'est parce que, URSS en tête, les 5 membres permanents du Conseil de sécurité usaient et abusaient du droit de veto à eux reconnu par la Charte de San Francisco. Depuis que la guerre froide a pris fin, il n'a pratiquement plus été utilisé. De sorte que, même si l'invocation du droit, ou du devoir d'ingérence constitue à n'en pas douter une nouveauté, l'intervention en Somalie qui s'inscrit dans une liste, qui ne cesse de s'allonger, d'actions dites de « maintien de la paix ». Lorsqu'un accord de cessez-le-feu a été conclu entre Etats ou à l'intérieur d'un Etat, c'est presque automatiquement désormais qu'il est fait appel aux Casques Bleus pour en superviser l'application
André Fontaine, « 1992, l'année du désordre et de l'ingérence », Le Monde, 5 janvier 1993
(1) Non-intervention dans les affaires intérieures d'un Etat

Les faiblesses de l'ONU

Devant la multiplication des conflits régionaux, les Nations unies éprouvent de plus en plus de difficultés à se montrer efficaces. Au Rwanda, l'ONU est incapable de prévenir le génocide. En Sierra Léone et au Congo, les Casques Bleus sont impuissants. Au Kosovo, l'organisation n'est pas consultée quand les États-Unis décident de bombarder Milosevic (…). « Tout le monde avait oublié une chose, explique John Steinburner, un expert du Brookings Institute à Washington, c'est que l'ONU n'est pas une entité indépendante. Dans l'euphorie de la fin de la Guerre froide, certains ont fait semblant de croire que toutes les puissances allaient collaborer comme par magie sous l'égide onusienne. C'était une illusion. Il a fallu que l'ONU bataille au cas par cas, prêche une solution pacifique à chaque nouvelle crise (…).

Reste le rôle des États-Unis. S’imposant de facto comme la dernière grande puissance, l'Amérique a été tentée à de nombreuses reprises de jouer le rôle du « gendarme mondial », avec ou sans l'aval des Nations unies (…). « On peut tourner le problème dans tous les sens, le seul moyen d'améliorer le mode de fonctionnement de l'ONU, c'est que chaque pays coopère mieux avec son voisin au sein de l'institution », assure John Steinburner.

Libération ,9 novembre 1999