Exposition 1 :
Les années 90 : l'espoir d'un nouvel ordre mondial ?
THEME 3 :
LA GOUVERNANCE MONDIALE DANS UN MONDE MULTIPOLAIRE

Chapitre 7 :
Nouveaux rapports de puissance et enjeux mondiaux
Un monde unipolaire

En 1991, la disparition de l'Urss fait des Etats-Unis la seule superpuissance de la planète. Mais les conflits locaux et les génocides vont marquer les années 90.
 

Les visages de la puissance américaine

Si les Etats-Unis veulent rester forts, il leur faut aussi prêter attention à leur « puissance douce » (Soft Power). Qu’entends-je par-là exactement ? La puissance militaire et la puissance économique sont deux exemples de « puissance dure » (Hard Power) dont il est possible d'user pour amener les autres acteurs à modifier leur position : leur exercice repose alors soit sur l’incitation (carotte) soit sur la menace (bâton). Mais il existe aussi une manière indirecte d’exercer sa puissance : un pays peut obtenir les résultats souhaités sur la scène mondiale simplement parce que les autres pays veulent le suivre, qu'ils admirent ses valeurs, suivent son exemple, aspirent à son niveau de prospérité et d'ouverture (…). C'est cet aspect de la puissance - obtenir des autres qu'ils veuillent faire ce qu'on veut qu'ils fassent - que j'appelle puissance douce ; il s'agit de convaincre plutôt que de contraindre (…).

La puissance, au XXIème siècle, reposera sur un mélange de ressources dures et douces. Aucun pays n’est mieux doté que les Etats-Unis dans les 3 dimensions évoquées : puissance militaire, économique et douce

Joseph Nye, The Paradox of American Power, 2002, in Pierre Hassner et Justin Vaïsse, Washington et le monde. Dilemmes d'une superpuissance, Autrement, 2003
Les principales interventions militaires américaines dans les années 1990

1991
Opération "Tempête du désert" pour chasser les troupes irakiennes hors du Koweït
1993-1994
Opération "Restore HOpe" en Somalie pour soutenir les opérations de maintien de la paix
1995
Soutien aérien aux troupes de l'ONU et de l'OTAN en Bosnie-Herz&govine, qui précipite les accords de Dayton
1998
Bombardement de sites liés à Al-Qaïda au Soudan et en Afghanistan après les attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie
1999
Bombardement de l'OTAN dans la guerre du Kosovo et intervention pour y installer un gouvernement contrôlé par la communauté internationale
1999
Soutien aux forces de l'ONU lors de l'indépendance du Timor-Oriental

L’hyperpuissance et les autres

J’estime que depuis 1992, le terme de « superpuissance » ne suffit plus pour décrire les États-Unis. Terme trop connoté « Guerre froide », et trop exclusivement militaire, alors que la suprématie américaine d'aujourd’hui s’exerce aussi bien sur l'économie, la monnaie, la technologie, les domaines militaires que sur les modes de vie, la langue et les produits culturels de masse (…). C'est pourquoi j'emploie le terme d’ « hyperpuissance » que les médias américains jugent agressif alors qu'il n'est que descriptif.

La question pour cette hyperpuissance sans précédent est de savoir comment se comporter face à ses adversaires (…) mais surtout à l'égard de ses alliés et partenaires. Fidèles à ce que pense l'Amérique d'elle-même et du reste du monde depuis 2 siècles, la plupart des grands responsables ou des grands analystes américains ne doutent pas un instant que les États-Unis sont la « nation indispensable » et que celle-ci doit, dans l'intérêt de l'humanité, rester prépondérante (…). L'aptitude des États-Unis à accepter avec qui que ce soit et notamment avec l'Europe un partenariat autre que momentané ou partiel, et à passer de l'unilatéralisme au multilatéralisme, reste à démontrer.

Hubert Védrine, ministre français des Affaires étrangères de 1997 à 2002, L'hyperpuissance américaine, Fondation Jean Jaurès, 2000
F. Deligne, caricature parue dans La Croix, 11 octobre 2015
 

La place des États-Unis dans le nouvel ordre mondial

Les États-Unis occupent une position particulière en ce qui concerne les affaires internationales. Nous reconnaissons ce fait et nous nous en réjouissons. Néanmoins, maintenant que la Guerre froide est terminée, beaucoup de gens se demandent si les États-Unis ont l'intention de se retirer du monde ou de continuer à avoir un rôle actif et, dans l'affirmative, à quelle fin. Je vais répondre aussi simplement que je le peux. Les États-Unis ont l'intention de rester engagés, d'être les premiers. Les États-Unis ne peuvent pas résoudre tous les problèmes, mais ils devront être, et ils le seront, le pivot du changement et celui de la paix. Alors que de nouveaux périls et de nouvelles occasions se présentent, notre objectif suprême sera d'élargir et de renforcer les démocraties du monde fondées sur l'économie de marché.

Discours de Bill Clinton, président des États-Unis, devant l'Assemblée générale des Nations unies, le 27 septembre 1993

Charging Bull, emblème de la puissance financière américaine
Arturo du Modica, sculpture en bronze, 1989. Bowling Green Park, New York, Etats-Unis
 
La domination cuturelle des Etats-Unis
Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale du président des Etats-Unis Jimmy Carter de 1977 à 1981, livre sa vision du rôle de son pays dans le monde.
Quoi que l'on pense de ses qualités esthétiques, la culture de masse américaine exerce, sur la jeunesse en particulier, une séduction irrrésistible. Malgré l'hédonisme superficiel et les styes de vie stéréotypés qu'elle vante, son attrait n'en demeure pas moins irréfutable. Les programmes américains alimentent les trois quarts du marché mondial de la télévision et du cinéma. Cette domination est tout aussi marquée dans le domaine des musiques populaires, et, de plus en plus, des phénomènes de mode - vestimentaires, alimentaires ou autres - nés aux Etats-Unis se diffusent par imitation dans le monde entier.
Sur internet, l'anglais sert de lingua franca (1) et une majorité écrasante des services en ligne, sur les réseaux informatiques, sont localisés aux Etats-Unis, ce qui a une influence décisive sur le contenu des communications.
Les Etats-Unis attirent, dans une proportion de plus en plus grande, les individus qui souhaitent approfondir leur formation ou se spécialiser. On estime à un demi-million les entrées annuelles sur le territoire de nouveaux étudiants étrangers. Parmi les meilleurs d'entre eux, bon nombre ne retourneront jamais dans leur pays d'origine. On trouve des diplomés des universités américaines dans les cabinets gouvernementaux sur tous les continents.
Zbigniew Brzezinski, Le Grand échiquier : l'Amérique et le reste du monde, Bayard, 1997
(1) Langue emploée comme moyen de communication par des populations différentes
Le Moyen-Orient en 1990-1991
 
Un "nouvel ordre mondial"
Nos objectifs dans le golfe Persique sont clairs, précis et bien connus (...). Ces objectifs ne sont pas seulement les nôtres. Ils ont été approuvés par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (...). La plupart des pays partagent notre volonté de faire respecter les principes.
La crise dans le golfe Persique, malgré sa gravité, offre une occasion rare pour s'orienter vers une période historique de coopération. De cette période difficile, (...) un nouvel ordre mondial peut voir le jour : une nouvelle ère, moins menacée par la terreur, plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête de la paix. Une ère où tous les pays du monde, qu'ils soient à l'Est ou à l'Ouest, au Nord ou au Sud, peuvent prospérer et vivre en harmonie (...). Aujourd'hui, ce nouveau monde cherche à naître (...). Un monde où les Etats reconnaissent la responsabilité commune de garantir la liberté et la justice. Un monde où les forts respectent les droits des plus faibles.
(...) Les autres dirigeants d'Europe, ceux du Golfe et d'autres parties du monde comprennent que la façon dont nous résoudront cette crise aujourd'hui pourrait façonner l'avenir des futures générations. L'épreuve à laquelle nous faisons face est importante, comme le sont les enjeux (...). Si nous n'avions pas réagi de manière décisive à cette première provocation, si nous n'avions pas continué de faire preuve de fermeté, ce serait un signal donné aux tyrans actuels et potentiels du monde entier.
Les Etats-Unis et le monde doivent défendre leurs intérêts communs et vitaux. Et ils le feront.
Les Etats-Unis et le monde doivent soutenir la primauté du droit. Et ils le feront.
Les Etats-Unis et le monde doivent se dresser contre l'agression. Et ils le feront.
Et une dernière chose : dans la poursuite de ces objectifs, les Etats-Unis ne se laisseront pas intimider.
Discours du président américain George H. W. Bush devant le Congrès, 11 septembre 1990. Traduction Le Monde diplomatique

La Première Guerre du Golfe et le « nouvel ordre mondial »

Le 2 août 1990, l'invasion et l'annexion du Koweït conduisent le gouvernement américain à intervenir à la fois pour réagir devant une agression caractérisée et pour empêcher Saddam Hussein de contrôler les prix du pétrole. De plus, les États-Unis redoutent que l'Irak ne soit sur le point de posséder l'arme nucléaire.

En avril 1990, le conseiller du président Bush pour les affaires de sécurité, Brent Scowcroft, lance l'idée d'un nouvel ordre mondial au lendemain de l'invasion irakienne du Koweït. Au nom de cet ordre, l'Amérique ne pouvait laisser sans réponse l'agression irakienne (…).

Les États-Unis étaient la seule puissance mondiale capable de projeter à l'autre bout du monde une force militaire supérieure à celle de la puissance moyenne que constituait l'Irak. Toutefois, ce monopole de la superpuissance américaine s'est révélé avoir des limites. En effet, l'intervention américaine a été soumise à une double contrainte : l'obligation morale d'un large soutien international et la possibilité de trouver la plus grande partie du financement chez ses alliés arabes.

Yves-Henri Nouilhat, Les États-Unis le monde au XXème siècle, Armand Colin, 1997

Le nouvel ordre mondial selon George H. W. Bush
La guerre (1) est finie. C'est une victoire pour tous les pays de la coalition, pour les Nations unies (...). C'est une victoire de la loi et du droit (...). Saddam Hussein était l'agresseur, le Koweït la victime. Sont venues à l'aide de ce petit pays des nations de l'Amérique du Nord et de l'Europe, de l'Asie et de l'Amérique du Sud, de l'Afrique et du monde arabe, tous unis face à cette agression. Notre coalition hors du commun doit travailler maintenant dans un même but : préparer l'avenir (...)
Ce soir, laissez-moi définir 4 objectifs clés.
Premièrement, nous devons travailler ensemble à mettre sur pied des accords de sécurité mutuelle dans la région (...). Que nos amis et nos alliés sachent (...) que l'Amérique se tient prête à assurer la paix à leurs côtés (...). Que ce soit clair : nos intérêts nationaux dépendent d'un Golfe stable et sûr.
Deuxièmement, nous devons agir pour contrôler la prolifération des armes de destruction massive et les missiles utilisés pour les envoyer (...). L'Irak requiert une vigilance particulière (...).
Troisièmement, nous devons travailler à créer de nouvelles occasions pour assurer la paix et la stabilité au Moyen-Orient (...). Une paix globale doit être fondée sur les résolutions (2) 242 et 338 des Nations unies sur le principe de l'échange du territoire contre la paix (...).
Quatrièmement, nous devons favoriser le développement économique pour le bien de la paix et du progrès. Le golfe Persique et le Moyen-Orient forment une région riche en ressources naturelles avec un potentiel humain riche mais inexploité (...)
En atteignant ces 4 objectifs nous pouvons bâtir un cadre pour la paix (...). Maintenant nous pouvons voir venir un nouveau monde. Un monde dans lequel il existe une véritable perspective de nouvel ordre mondial (...). Un monde dans lequel les Nations unies, libérées de l'impasse de la guerre froide, sont en mesure de réaliser la vision historique de leurs fondateurs. Un monde dans lequel la liberté et les droits de l'homme sont respectés par tous les nations.
Discours du président américain George H. W. Bush devant le Congrès (extraits), 6 mars 1991
(1) la guerre du Golfe
(2) ces résolutions concernent le conflit israélo-arabe
La guerre du Golfe justifiée par le président américain
À la suite de l'invasion du Koweït, le 2 août 1990, le Conseil de sécurité de l'ONU fixe un ultimatum à l'Irak, au terme duquel une coalition internationale menée par les États-Unis lance une offensive aérienne, le 16 janvier, puis terrestre, le 23 février.
« Cette action militaire, engagée en accord avec les résolutions de l'Organisation des Nations unies et avec le consentement du Congrès américain, est le résultat de plusieurs mois de tentatives diplomatiques constantes. […]
À l'heure actuelle, les 28 pays ayant des forces dans le Golfe […] n'ont d'autre choix que de chasser Saddam du Koweït par la force. […]
Saddam Hussein a systématiquement violé, volé et pillé une minuscule nation qui ne constituait pas une menace pour la sienne. […] Saddam a cherché à ajouter à l'arsenal d'armes chimiques qu'il possède, une arme de destruction massive infiniment plus dangereuse – l'arme nucléaire. […]
C'est un moment historique. Nous avons fait au cours de l'année écoulée de grands progrès pour mettre fin à la longue période conflictuelle de la guerre froide. […] Nous avons une occasion réelle d'instaurer ce nouvel ordre mondial, un ordre dans lequel une ONU crédible peut jouer son rôle de maintien de la paix et tenir la promesse visionnaire de ses fondateurs. »
George H. Bush, président des États-Unis, adresse à la nation, 16 janvier 1991 (trad. N. Davieau).
Troupes américaines dans le Koweït en feu
En se retirant du Koweït en février 1991, les troupes irakiennes incendient les installations pétrolières, désorganisant la production.