En soutenant aujourd’hui l’Azerbaïdjan dans le conflit qui l’oppose à l’Arménie, le président turc entend montrer qu’il est “le patron” dans la région. “Ce n’est sûrement pas un hasard si Ankara se retrouve en première ligne de ce conflit à un moment où la Turquie est suractive dans son environnement régional, tentant de faire bouger les lignes partout en même temps”, écrit L’Orient-Le Jour en ouverture de ce dossier.
Le rêve d’Erdogan de “ressusciter l’Empire ottoman”, comme l’écrivait L’Orient-Le Jour dans un autre article, risque toutefois de se heurter aux intérêts russes dans le Caucase et de buter sur la situation intérieure même de la Turquie. “Militairement, le pays est peut-être plus fort que jamais, mais il ne s’agit là que d’un subterfuge pour surcompenser une société déchirée et désenchantée”, expliquait récemment le quotidien israélien Ha’Aretz.
Dossier spécial Courrier international, octobre 2015
Turquie : vers un statut de puissance mondiale
Le président Erdogan a une ambition, sans doute démesurée pour son pays, celui de faire de la Turquie une puissance mondiale.
Les différents conflits dans lesquels il a récemment engagé l'armée turque montre à l'évidence qu'il utilise trois vecteurs pour parvenir à ses fins :
Le premier de ces vecteurs est la fibre nationaliste turque (…)
Le deuxième vecteur utilisé par Erdogan est la religion (…)
Le troisième levier est l'industrie de l’armement et la puissance militaire turque. Les armes turques sont des « game changers » comme on dit. Les drones Bayraktar TB-2, par exemple, ont fait des ravages en Libye et matraquent aujourd’hui l’armée arménienne. Elles concurrencent même les armements israéliens au Haut-Karabakh aujourd’hui. Alors que l’Union européenne, bien qu’elle dispose d’une industrie d’armements extrêmement performante, n’est pas fiable, mélangeant « géopolitique » « clientélisme » et « droits de l’homme » au point de rendre aléatoire ses livraisons en cas de conflit. Idem pour les Etats Unis si prompts à décréter embargos et autres sanctions. Il n’en est pas de même pour la Turquie qui ne s’embarrasse pas de telles considérations. Un client est un client et celui-ci sera sûr d’être livré à temps et même de bénéficier de l’assistance technique chaque fois que cela sera nécessaire.
C’est la raison pour laquelle tant de pays africains ou d'Asie centrale sont de plus en plus intéressés par l’industrie d’armement turque. Et la Turquie en profite pour multiplier ses contacts et ses bases militaires. La Turquie est fortement implantée dans le nord de la Syrie. Elle dispose d’environ 30.000 soldats sur le territoire de la République turque de Chypre du Nord. Elle dispose d’une importante base militaire au Qatar, ce qui donne à ses troupes un pied dans le Golfe. Elle a établi une importante base militaire en Somalie, près de Mogadiscio. Elle a déployé des troupes au Soudan et en Libye, où ses troupes sont engagées aux côtés du Gouvernement d’Accord National dans les combats contre l’Armée Nationale Libyenne de Khalifa Haftar. Elle est en pourparlers avec Oman, le Niger et d’autres pays d’Afrique, sur les plates-bandes des Français, avec lesquels elle est engagée dans un vaste bras de fer. La Turquie est donc une puissance à considérer avec de plus en plus de sérieux. Elle sera certainement un acteur de la nouvelle carte des rapports de force à travers le monde, avec la Chine et l'Inde
Source : blog tenu par Jean-René Belliard, analyste et conseiller pour le Moyen-OrientSa situation géographique illustre bien l’importance de la Turquie au sein de la politique mondiale. Le pays est un carrefour du monde, et même de plusieurs mondes, qu’ils soient politiques, religieux, économiques, ou encore touristiques.
Cette situation de « hub » mondial permet également au pouvoir politique turc de rayonner au niveau international. Le pays bénéficie en effet d’une diaspora présente en Europe et dans le monde entier. Le poids de l’Histoire est également un véritable facteur d’influence car de nombreuses minorités d’Asie centrale et du Moyen-Orient sont turcophones. L’empire Ottoman a en effet permis d’unir différents peuples et ethnies autour d’une même langue. Celle-ci reste parlée dans de nombreux pays sous formes de dialectes. A l’instar de la politique française et de son investissement dans la francophonie, Ankara adopte une politique de rayonnement par la langue.
Actuellement, cinq pays indépendants sont turcophones : l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan. En revanche, il est notable de constater une perte de la pratique de ces langues turques en raison d’une « russophonisation » datant de l’époque soviétique (…) Environ 200 millions de personnes parleraient une langue turcique à travers le monde. (…).La Chine est également un territoire qui comprend environ 12 millions de locuteurs turcophones : les Ouïhgours (…)
Cette stratégie permet de tisser des liens politiques et stratégiques forts avec des voisins historiques. Le conseil turcique est un véritable exemple de relations établies entre la Turquie et certains locuteurs turcophones (Ouzbékistan, Kirghizistan, Kazakhstan et Azerbaïdjan). Cette organisation, qui fut fondée en 2009, permet une coopération étendue sur certains domaines. Ankara a ainsi pu tisser des liens économiques, politiques et sportifs particuliers avec les pays précédemment nommés.
La coopération du monde turcophone participe également à des objectifs de politique intérieure poursuivis par Ankara. Cela suscite en effet une nostalgie d’un empire Ottoman qui unissait les peuples par-delà les frontières actuelles de la Turquie.