Berlin, parmi les villes allemandes, c’était le Pays imaginaire. Celles et ceux qui s’y sont rendus après la chute du mur pouvaient se prendre pour Peter Pan. Être comme bon leur semblait. Lancer des idées en l’air et les expérimenter. Sans aucun engagement. Il y avait alors encore des terrains vagues, des espaces ouverts et la Love Parade. La ville plaisait parce qu’elle était imparfaite et se prêtait aux vies approximatives. Pauvre mais sexy [selon la formule de Klaus Wowereit, maire de 2001 à 2014]. C’était ça, Berlin.
En 2008, des publicitaires ont imaginé un slogan à la demande du sénat de Berlin [le gouvernement de la ville-Land] : “Be Berlin.” “Sois Berlin.” Mais, contrairement au Pays imaginaire, le temps ne s’est pas arrêté dans la vraie vie. La ville a continué à se développer. Elle s’est étalée, densifiée, est devenue plus bruyante. “Grandir apporte tellement d’inconvénients”, disait le Capitaine Crochet, l’ennemi juré de Peter Pan.
En avril 2018, le Sénat berlinois s’est donc autoprescrit une phase d’introspection. Pendant un an, on a fait des recherches, sillonné les Kiez [quartiers de Berlin], interrogé les habitants, interviewé les pros de la communication et les acteurs de la ville. Découvrez l’ADN de Berlin ! Telle était leur mission. Trouver ce qui fait la substantifique moelle de Berlin – à l’heure où la ville semble s’étioler, comme si la dynamique actuelle n’était plus acceptable.
Dans le tableau qu’il brosse, le Sénat constate : “On assiste à beaucoup de changements, mais on ne voit pas d’évolution.” La ville croît, et avec elle la pression concurrentielle dans tous les domaines. Le fossé entre le Berlin intra-muros et la périphérie se creuse, entre riches et pauvres – et même des voisins immédiats que seul sépare un palier vivent dans deux mondes diamétralement opposés. Mais alors comment le trouver, ce nouveau slogan punchy, à nul autre pareil, qui résumera à merveille ce qu’est la ville ? Un slogan auquel tous les habitants pourraient s’identifier, qui fédérerait tout le monde : le vendeur de kebabs de Prenzlauer Berg, le trader en costard de Neukölln, le hipster de Charlottenburg, etc., etc. etc.
Il existe d’ores et déjà un modèle pour la nouvelle image de Berlin. Ce n’est pas vraiment un document d’orientation politique, mais plutôt un concept marketing. Il a été publié [en avril 2019]. “Berlin reste une ville à part”, annonce le titre. Dans sa présentation Powerpoint de 86 pages et sa feuille de route en 37 pages, le Sénat écrit que Berlin ne saurait se résumer à la capitale des hipsters, des bobos buveurs de latte macchiato, des excès du Berghain [club techno] et des crottes de chien. Elle ne saurait se résumer au cliché qu’on fait d’elle. Berlin est une ville attirante, au rayonnement puissant. La ville idéale pour monter une start-up. Une destination unique pour les vacanciers. Mais, surtout, Berlin évolue. Une évolution qu’il s’agit d’orienter dans le bon sens.
Muer, la ville l’a toujours fait. En l’espace de cent ans, elle a été ville impériale, métropole moderne, capitale mégalomane du Reich, ville du front pendant la guerre froide, lieu de prédilection des sous-cultures, capitale réunifiée. Berlin, c’était le mouvement, l’inachevé. Quelle sera la prochaine étape ? Pour l’heure, ça part dans tous les sens. Peter Pan n’a pas de projet fixe. On a mille idées dans la tête – on verra bien ce qu’il en ressortira. Ça va bien se passer.
Berlin est à part. “À part” – la formule est suffisamment vague pour être acceptée par tous. Peut-être n’est-ce là d’ailleurs que la seule constante berlinoise. Le plus petit dénominateur commun. Les experts qui ont participé à l’enquête du Sénat mettent en garde : “La qualité de vie est gravement menacée.” Ces dernières années montrent que le “haut lieu de la diversité” et la “ville des possibles” ne coulent plus de source. La grande promesse de Berlin est remise en question, menacée, cernée de toutes parts. L’époque des verts paradis de l’enfance au Pays imaginaire est révolue.
Pour la moitié des personnes interrogées par le Sénat, Berlin est une ville dure dans laquelle il faut s’affirmer. Même si cette dureté participe aussi de cette imperfection qui fait son charme. On s’y fait. Ceux qui s’en sortent à Berlin s’en sortiront partout. À la mode new-yorkaise : “If I can make it here…” Mais petit à petit se rajoute une autre dureté qui va au-delà de la Berliner Schnauze [le franc-parler berlinois]. Une dureté qui ne fait pas plaisir. Qui est à part. Dans le mauvais sens du terme.
Rien ne veut marcher dans cette ville ! Berlin est bondée – et débordée. Les actes de naissance arrivent en retard. Les enfants ne trouvent pas de places en crèche. Les écoles manquent d’enseignants. Les chantiers à rallonge et les dysfonctionnements divers sapent le sentiment de fierté des habitants. La pagaille dans les gares. L’aéroport de Berlin-Brandebourg [dont le chantier s’éternise]. La crise du logement ! L’époque où l’on pouvait vivre où bon nous semblait est aujourd’hui révolue. Comme celle où l’on pouvait vivre de l’air du temps dans un appartement de 100 mètres carrés. Les petits clubs sympas et les boutiques de quartier ont baissé le rideau à cause de la hausse des loyers. L’encadrement des loyers ne fonctionne pas. Bye bye Tacheles [squat célèbre du centre de Berlin], Rosi’s [discothèque underground], la supérette Aldi du marché couvert de Kreuzberg ! Bonjour Google et Zalando ! Les investisseurs sont dans la place. Seuls restent libres comme l’air celles et ceux qui peuvent encore se le permettre. Comment résister à ce changement ?
Il serait grand temps de prendre ses responsabilités. De mûrir. Plus il y a de diversité, plus il y a de monde, moins il y a d’espaces libres. Quand chacun fait ce qu’il veut, le vivre-ensemble en pâtit, lit-on dans l’analyse du Sénat. Le droit à la liberté (individuelle) doit donc s’accompagner d’un devoir d’ouverture d’esprit (à l’égard de la liberté d’autrui). Ce dont nous avons besoin, c’est d’une ville qui conçoive la liberté comme une forme d’épanouissement collectif. Une ville qui fasse de l’intérêt général une priorité.
Au Pays imaginaire, il suffit de croire à quelque chose pour que la chose se produise. Dans le monde des adultes, ça ne suffit pas. Pour rester “à part” dans le bon sens du terme, il faut une vision. Une vision qui corresponde à la façon qu’ont les Berlinois d’aborder l’existence.
Peu d'autres pays disposent de métropoles animées comme Berlin. On ne trouve pas partout une telle scène créative. Et peu d'autres villes ont une histoire aussi mouvementée. Dans l'ancienne ville divisée de Berlin se reflète toute l'histoire de la guerre froide et de la réunification. Dans la belle Berlin, ce sont justement les contrastes qui font la particularité de cette ville. Les quartiers les plus divers s'y côtoient dans une capitale très particulière.
De nombreuses personnes de tous les pays du monde visitent chaque année la belle ville de Berlin pour s'en faire une idée sur place. Les Allemands n'ont pas besoin d'aller loin pour cela. Ils ont cette métropole particulière directement dans leur propre pays. Certaines nouvelles idées naissent ici. Berlin dispose d'une riche scène de création d'entreprises. De nombreuses start-ups y ont déjà lancé des idées révolutionnaires. Ceux qui veulent passer d'un petit projet à une grande entreprise trouveront à Berlin les bons contacts. Les personnes qui ont beaucoup d'argent rencontrent dans la capitale des personnes qui ont de bonnes idées pour un projet ou une création d'entreprise. À cela s'ajoutent les nombreux contacts à l'étranger. Il n'y a guère d'autre endroit qui concentre exactement ces conditions. Même les start-ups disposant de peu d'argent peuvent trouver à Berlin des espaces de coworking ou des locaux à louer à des prix avantageux.
Certains espaces peuvent ainsi prendre leurs quartiers dans un bel immeuble ancien et placer l'idée utile au cœur de la grande ville. Les possibilités de financement sont également nombreuses dans la capitale. Le lien direct avec la grande politique permet de donner un coup de pouce à certaines créations. Il existe également de nombreux projets dans le domaine de la charité ou des ONG à Berlin. Il suffit de nouer les bons contacts pour que les affaires prospèrent. De nombreuses petites entreprises se transforment en très peu de temps en grands projets. La carrière de certains artistes ou managers a également débuté à Berlin. Dans la belle capitale, chacun peut se lancer rapidement avec son projet. Les équipes diversifiées dotées de compétences interculturelles ou les personnes originaires d'autres pays sont également très demandées ici.
Dans la métropole, on sait utiliser à bon escient les énergies de chaque groupe hétéroclite. Ici, personne ne se voit refuser le chemin du succès. Mais même ceux qui souhaitent simplement profiter des nombreuses offres culturelles ne se trompent jamais à Berlin. Peu d'autres villes proposent autant de musées. De l'Antiquité à l'art contemporain, tout y est représenté. Le théâtre et le sport ne sont pas en reste. Tous ces domaines sont largement encouragés et soutenus par le Sénat de Berlin.
Les Berlinois savent eux-mêmes qu'ils ont une offre aussi large et en sont fiers. Le caractère ouvert et direct des Berlinois les fait connaître dans toute la République. Cela ne plaît pas à tout le monde. Mais ceux qui apprécient Berlin l'aimeront vraiment et ne trouveront pas de ville plus belle dans le monde entier. De plus en plus d'habitants font partie du cercle de ces personnes. La métropole ne cesse de grandir et offre malgré tout, ou justement à cause de cela, une qualité de vie très particulière à tous. C'est aussi pour cette raison que certaines personnes venant de l'extérieur sont toujours attirées par la belle ville de Berlin.
Sanjay Sauldie, article pulbié en aout 2023