Aujourd’hui, Alessio Marie a la main bandée. « Je me suis blessé à cause du grillage et je saignais beaucoup. La Croix-Rouge m’a emmené à l’hôpital, raconte le jeune homme. Le voyage a été extrêmement dur, nous avons passé beaucoup de temps dans la forêt marocaine. Pour les femmes, c’est encore pire, la plupart restent en Algérie ou au Maroc, très peu arrivent à Ceuta. »
Quelques jeunes, logés eux aussi au Ceti (en français : le Centre de séjour temporaire pour immigrés), sont venus à pied jusqu’à la plage du Chorrillo, à la frontière du Tarajal, là où l’on a retrouvé les corps des noyés. Les responsables disposent sur le sable quinze photos. Cinq sont accompagnées d’un point d’interrogation, pour ceux qui n’ont pu être identifiés. « Nous voulons provoquer une prise de conscience, on criminalise trop les immigrés à Ceuta, ils sont rejetés », plaide Mohamed Faitah, le porte-parole de l’association. L’ambiance est lourde, l’émotion palpable.
Certes, le Ceti est surchargé : il héberge actuellement 566 personnes, alors qu’il ne peut en théorie en accueillir que 512. Et les contrôles policiers ont été dernièrement renforcés. Mais on ne constate chez les locaux que très peu de manifestations de racisme ou de rejet. Il faut dire que plus de 50 % de la population est arabe. « Nous avons plutôt mal vécu le traitement infligé par la Garde civile aux clandestins, confirme Mercedes, native de Ceuta. La Croix-Rouge espagnole, dont les bureaux sont à quelques centaines de mètres du port, reflète d’ailleurs bien le multiculturalisme de la ville. Les volontaires sont indifféremment chrétiens, musulmans, juifs, blancs, arabes ou noirs. » « Pour nous, l’immigration n’est pas un problème. On nous parle de pression migratoire, mais on oublie l’essentiel : ce sont des êtres humains qui cherchent une vie meilleure », s’indigne Germinal Castilló, professeur de français et porte-parole de l’organisation humanitaire.
Aller sans retour
Doucoure est malien. Il a fui la guerre de son pays pour essayer de gagner de l’argent en Europe et aider sa femme et ses trois enfants. Il est arrivé à Ceuta le 19 février, sur un Zodiac avec huit autres passagers. Rencontré sur la plage où il se prend en photo avec son ami Ibrahim, grâce à un portable « donné au Ceti », il affiche un sourire confiant. « J’attends le laissez-passer des autorités pour passer le détroit », explique-t-il. Comme lui, beaucoup sont convaincus que l’Espagne est à portée de main. Ils se trompent. Le rêve européen s’arrête à Ceuta. Cette enclave de 19 km2 est une prison sans barreaux. Sans papiers, impossible de franchir la Méditerranée. Pourtant, après avoir atteint l’enclave, les migrants savent qu’ils ne peuvent être renvoyés chez eux
.Extrait d'un article paru dans la revue Jeune Afrique en 2018