L'affirmation de l'Etat dans le royaume de France
THEME 3 :
L'Etat à l'époque moderne : France et Angleterre
L'autorité royale en France du XV au XVIIIème siècle
 
 

François Ier et l'exercice du pouvoir

L’ambassadeur vénitien Marino Cavalli séjourne à la cour de François Ier de 1544 à 1546
Autant ce roi supporte bien les fatigues corporelles et les endure sans jamais plier sous le fardeau, autant les soucis de l'esprit lui pèsent, et il s'en décharge presque entièrement sur le cardinal de Tournon (1) et sur l'amiral (2). Il ne prend aucune décision, il ne fait aucune réponse, qu'il n'ait écouté leur conseil ; en toute chose, il s'en tient à leur avis ; et si jamais (ce qui est fort rare), on donne une réponse à quelques ambassadeurs, ou si l'on fait une concession qui ne soit pas approuvée par ces deux conseillers, il la révoque ou la modifie. Mais pour ce qui est des grandes affaires de l'Etat, de la paix ou de la guerre, sa majesté, docile en tout le reste, veut que les autres obéissent à sa volonté. Dans ce cas-là, il n'est personne à la cour, quelque autorité qu'il possède, qui ose en remontrer à sa majesté.

Niccolo Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de la France au XVIème siècle, « Relation de Marino Cavalli », imprimerie royale, Paris, 1838

(1) Le cardinal de Tournon, archevêque, diplomate et homme d'Etat

(2) Claude d’Annebault, chef militaire qui dirige les affaires du royaume de 1543 à 1547
Les Lois fondamentales
L’héréditéLa loi de primogéniture : le successeur est le plus âgé des fils ou ses descendants survivants, voire le frère cadet du roi défunt. Dès la mort du roi, son successeur est automatiquement roi, le sacre n’intervient qu’ensuite pour ajouter un caractère religieux au pouvoir royal
La masculinité La loi salique : les filles de roi et leurs descendants n’ont pas de droit sur la couronne
La distinction du roi et de l’État Le domaine royal est inaliénable, les biens personnels du roi sont distincts des biens de la Couronne
La catholicité du roi Au moment du sacre, le roi jure de conserver les privilèges du clergé catholique du royaume, de défendre le catholicisme et de maintenir la paix et la justice dans le royaume Le roi doit être de confession catholique
La majorité du roiLe roi est majeur quand il a 13 ans. S’il est mineur, la régence est confiée à la reine mère ou au premier prince du sang

Les officiers : les fonctionnaires de l’Etat royal

« Pour administrer le pays, la monarchie dispose,au début du XVIème siècle, d’un ensemble de corps d’officiers (1), mêlant étroitement les attributions judiciaires et administratives et organisés en hiérarchies. Les membres de ces corps, pourvus de leurs charges par lettres royales, sont inamovibles (2). Ils ont donc la sûreté de leur emploi et jouissent d’une réelle indépendance par rapport au pouvoir (…). Le souverain multiplie ces charges (il est vrai qu’il les vend, ce qui gonfle ses ressources), accepte peu à peu l’hérédité des offices (3). Assurant à moindres frais l’administration, les corps d’officiers montrent rapidement leurs inconvénients. Agissant collégialement et lentement, ils échappent au contrôle du pouvoir, retardent ou déforment l’exécution des ordres royaux et sont sensibles aux pressions locales. »

B. Benassar, J. Jacquart, Le XVIème siècle, Armand Colin, 1990


1. Nom donné aux titulaires des offices royaux, à savoir les fonctionnaires
2. Ne peuvent pas être renvoyés
3. Transmission d’un office au sein d’une même famille
L'affirmation de l'autorité du roi
Je ne souffrirai pas qu'il se forme dans mon royaume une association qui ferait dégénérer en une association de résistance le lien naturel des mêmes devoirs et des obligations communes (…). Comme s'il était permis d'oublier que c'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine (…) ; que c'est de moi seul que mes cours tiennent leur existence et leur autorité ; (…) ; que c'est à moi seul qu'appartient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage ; que c'est par ma seule autorité que les officiers de mes cours procèdent, non à la formation, mais à l'enregistrement ,à la publication et à l'exécution de la loi, et qu’il leur est permis de me remontrer (1) ce qui est du devoir de bons et fidèles conseillers

Louis XV, Discours de la flagellation. Procès-verbal du lit de justice (2) du 3 mars 1766

1. Droit de remontrance : possibilité de faire des objections à une loi qui ne paraît pas conforme aux lois fondamentales par exemple, ou contraire à l'intérêt de l'Etat
2. Lit de justice : séance solennelle du Parlement par laquelle le roi ordonne à cette assemblée d'enregistrer les édits et ordonnances qu'elle contestait

Le parlement et le roi : le lit de justice
Louis-Michel Dumesnil, Lit de justice tenu par Louis XV dans la Grande Chambre du Parlement de Paris pour casser le testament de Louis XIV (1715), début XVIIIème siècle, Musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles

Le Conseil de 1661

Le lendemain 10 (mars 1661), à septe heure précise du matin, j’entrais chez le Roi d'après ses ordres (…). Le Roi se découvrit et puis remit son chapeau, et se tenant debout devant sa chaise, adressa la parole à M. le Chancelier (1) : « Monsieur, je vous ai fait assembler avec mes ministres et secrétaires d'Etat, pour vous dire que jusqu'à présent, j'ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le Cardinal (2) ; il est temps que je les gouverne moi-même. Vous m'aiderez de vos conseils quand je vous le demanderai (…). Je vous prie et vous ordonne, M. le Chancelier, de ne rien sceller en commandement que par mes ordres, et sans m'en avoir parlé, à moins qu'un secrétaire d'État ne vous les porte de ma part (…) ». Ensuite, le Roi se tourna vers nous et nous dit : « Et vous, mes secrétaires d'État, je vous ordonne de rien signer, pas même une sauvegarde ni un passeport sans mon commandement ; de me rendre compte chaque jour à moi-même, et de ne favoriser personne dans vos rôles du mois. Et vous, M. le surintendant (3) je vous ai expliqué mes volontés ; je vous prie de vous servir de Colbert que feu M. le Cardinal m'a recommandé (…) ».
Puis le Roi ajouta : « La face du théâtre change. Dans le gouvernement de mon Etat, dans la régie de mes finances et dans les négociations au-dehors j'aurai d'autres principes que ceux de M. le Cardinal. Vous savez mes volontés ; c'est à vous maintenant, messieurs, à les exécuter. » Plus n’en dit, et le Conseil se sépara.

Louis-Henri de Loménie de Brienne, Mémoires, publiés en 1720 édité par François barrière en 1828

(1) Pierre Séguier, chancelier ((en charge des affaires judiciaires du royaume)

(2) Le Cardinal Mazarin
(3) Fouquet, surintendant des finances (en charge des affaires financières du royaume)

Le rôle des intendants

« Nous vous avons commis intendant de justice, polices et finances en notre dit pays de Provence, pour, en cette qualité, entrer et prendre séance dans les parlements, assister à toutes les assemblées d'Etats1 ou de communautés ; procéder au règlement et à la réforme de la justice selon nos ordonnances ; reconnaître si nos officiers font leurs devoirs dans l'exercice des fonctions de leurs charges ; écouter les plaintes de nos sujets ; présider aux assemblées des villes ; informer de tous désordres et menées secrètes contre les villes ; nous renseigner de la façon de vivre des gens de guerre dans les villes du pays ; avoir l'œil et direction générale sur les impôts, leur perception ; et plus généralement faire, pour l'observation de nos ordonnances touchant la justice, police, finances, tout ce qui pourra dépendre de votre charge d'intendant. »

LouisXIV, commission à l'attente Le Bret, envoyé en Provence en 1687

1. Etats provinciaux représentant les 3 ordres, présents dans certaines provinces
L'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539)
En aout 1539, François 1er promulgue à Villers-Cotterêts une longue ordonnance comprenant 192 articles. Elle est destinée à réformer en profondeur l'Etat, et notamment l'administration de la justice.

François, par la grâce de Dieu, roi de France, faisons savoir, à tous présents et à venir, que pour pouvoir au bien de notre justice, raccourcir les procès et soulager nos sujets, nous avons, par un édit perpétuel et irrévocable, statué et ordonné (...) les choses qui s'ensuivent :
Art. 50 : Les sépultures doivent être enregistrées par les prêtres qui doivent mentionner la date du décès
Art. 51 : Aussi sera fait un registre, en forme de preuve, des baptêmes et par l'extrait dudit registre, on pourra prouver le temps de majorité ou de minorité.
Art. 52 : Et enfin qu'il n'y ait aucune faute auxdits registres, il est ordonné qu'ils seront signés par un notaire.
Art. 53 : Et les prêtres seront tenus de mettre les registres pour chaque année par-devant le greffe le plus proche du bailli ou du sénéchal(1) pour y être fidèlement conservés.
Art. 110 : Afin qu'il n'y ait aucun doute sur le sens des arrêts de nos cours souveraines (2), nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si clairement qu'il n'y ait aucune incertitude ni besoin de demander leur interprétation.
Art. 111 : Nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines et autres cours inférieures, soit de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres actes de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés en langage maternel français et non autrement.
D'après l'ordonnance de Villers-Cotterêts (aout 1539)

(1) Officier royal qui rend la justice
(2) Juridictions statuant en dernier ressort comme le Parlement