Qu'est-ce que l'Europe ? Une figure de la mythologie qui apparaît sur les cartes du royaume hittite avec son double, l'Asie, vers 590 avant J.-C ? Ou un finistère très morcelé à géographie variable ? À chaque époque de l'histoire, on se « figure » l'Europe, au sens propre. En lui donnant une forme dont le centre serait une... banane bleue. Une banane, parce que les logiciels de dessin aiment les formes arquées pour désigner l'agrégation de métropoles le long d'axes légèrement courbes. Ici, de Milan à Londres, le ministre de l'Aménagement du territoire, Jacques Chérèque, est le premier à parler à la fin des années 1980 d'une forme de banane, qu'un dessinateur du Nouvel Obs colorie... en bleu.

Un pitch dont se saisit le géographe Roger Brunet. Avec la puissance des réseaux de foires au Moyen Âge, il donne raison à cette vision d'un chapelet de villes, centré au XIIIe siècle sur la Champagne. Mais à partir du XVIIe siècle, l'État royal, fort gourmand en taxes, en déporte le centre de gravité vers les villes du Rhin et au-delà. Entre les villes italiennes et les provinces du Saint-Empire romain germanique, les franchises de commerce, la banque milanaise et genevoise, l'assurance à Zurich, l'industrie dans le pays de Bade et la Ruhr, la batellerie à Rotterdam fabriquent des relais puissants. Des relais pour la Baltique, Berlin, Vienne, Paris, qui semblent pour certains trop à l'écart. Pour les aménageurs, laissons la banane aux Allemands et regardons l'Europe comme une entité polycentrique !

Est-ce que cette banane bleue, qu'on enseigne à l'école pour évoquer le centre riche, parle aux générations futures ? Car l'Europe dont le président Macron veut ranimer la flamme est devenue, par défaut de la Russie et des États-Unis, un des centres puissants de la géoéconomie mondiale. Mais cette Europe peut-elle se penser encore comme un système centre/périphérie et laisser les pays bordiers comme l'Italie, la Grèce, la Hongrie déjà affaiblis par la crise se débrouiller seuls devant les flux migratoires entrants qui ne cessent de s'amplifier ?