Les espaces ruraux : multifonctionnalité ou fragmentation?
Questions : 1) Quelle est la place des espaces ruraux et de l'agriculture dans la société indienne ? 2) En quoi l'agriculture indienne présente-t-elle un visage très diversifiée ? 3) Décrivez les mutations récentes des activités agricoles en Inde. Quelles en ont été les conséquences sur les populations rurales ? 4) Quelles activités non agricoles se développement dans les espaces ruraux ? Montrez que cette multifonctionnalité reste très inégale selon les territoires ? 5) Montrez que les espaces ruraux sont marquéspar des inégalités en termes de développement. 6) Quelles sont les revendications des paysans ? A qui s'adressent-elles ? 7) Identifiez les différents conflits d'usage (ainsi que leurs acteurs) qui affectent les espaces ruraux indiens.
Des territoires majoritairement ruraux, une population active encore très agricole
L'Inde compte 635 707 villages et 7 948 villes
 
Agriculture et diversification des espaces ruraux
 
VIDÉO - En Inde, dans le fief de la "révolution verte"
Bienvenue dans le district de Jalgaon, au nord de l'Etat du Maharashtra, au cœur de l'Inde agricole. C'est ici que sont cultivés bananes, mangues, oignons... La bonne santé...
Original link
Travail dans une rizière au Karnataka (Sud de l'Inde)
 

L'Inde, une grande puissance agricole

L'Inde est aujourd'hui le premier pays producteur du thé, de lait et de protéagineux. Elle occupe le 2e rang pour la production de riz (dont elle est la première exportatrice), de blé et de canne à sucre (…) et atteint l'autosuffisance alimentaire dès 1977 (…). Pourtant encore 1/5 de la population est encore sous-alimentée et le revenu de la majorité des agriculteurs reste faible (…).

Delhi adopta en 1968 [la révolution verte] reposant à la fois sur la diffusion de variétés à haut rendement, le recours aux engrais chimiques et le développement de l'irrigation (…). Les paysans bénéficiaient d'un prix minimal pour l'achat de leur production (…).

Les variétés cultivées depuis la révolution verte nécessitent intrants et irrigation (…). Mais les ressources en eau souterraines
s'épuisent et les forages sont de plus en plus profonds, créant une inégalité d'accès flagrante entre les agriculteurs qui peuvent investir et ceux qui doivent payer le propriétaire de la pompe pour obtenir de l'eau. Les intrants chimiques et pesticides ont aussi contaminé les sols (…). Les subventions du gouvernement et les prix agricoles ont baissé (…). 13 000 à 16 000 paysans se suicident chaque année, soit un taux supérieur de 30% au taux national.

Lucie Dejouhanet, « De la révolution verte aux OGM : quel bilan ? », Documentation photographique, 2 016

Des paysans endettés par la diffusion des OGM

Shankara s'est suicidé (…). On lui avait promis des récoltes et des rentrées d'argent incroyables, s’il passait de la culture de semences traditionnelles aux OGM. Séduit par ses promesses, il a emprunté l'argent afin d'acheter des semences transgéniques. Mais les récoltes ne furent pas de rendez-vous et il se retrouva dans la spirale de l'endettement et sans revenu.

Village après village, des familles se sont endettées. La différence de prix est vertigineuse : 15€ pour 100 g de semences OGM, par rapport à moins de 15€ pour 100 kilos de semences traditionnelles. Mais les vendeurs ainsi que le représentant du gouvernement avait promis aux paysans qu'il s'agissait de « semences magiques » avec des meilleures plantes, sans
parasites et insectes. La surface indienne plantait en GM a doublé mais les semences ont été infestées par le ver de la capsule, un parasite vorace.

Dans le passé, lorsqu'une récolte était mauvaise, les paysans pouvaient toujours conserver des graines et les replanter l'année suivante. Cela n'est pas possible avec les OGM qui ont été modifiés génétiquement afin que la plante ne puisse plus produire de semences viables.

D’après C. Berdot (trad. d’un article d’Andrew Malone, Daily Mail, 3/11/2008), » Inde : des milliers de cultivateurs se suicident, ruinés par les OGM », amisdelaterre.org


Une population encore majoritairement rurale en 2019
 

Un grand pays rural qui s’urbanise lentement

L’Inde reste majoritairement rurale (on y trouve plus de 600 000 villages dont la taille moyenne dépasse 1200 habitants) (…). Au cours du temps, certains villages tendent à grandir et à développer de nouveaux services et industries, qui attirent de nouveaux habitants. Les villages sont alors intégrés administrativement dans les villes, ce qui compte pour environ 20 à 25% de la croissance urbaine.

D'autre part, l’émigration intérieure reste faible en Inde et concerne majoritairement des migrations de campagne à campagne. Le pays n'a pas connu d’exode rural massif. On estime ainsi que le solde migratoire entre ville et campagne ne participe que pour environ 20% à la croissance urbaine totale. C'est très peu comparé au processus d'urbanisation observé dans le reste du monde au cours du XXème siècle (…).

On peut penser qu’à ce rythme, le taux d'urbanisation n'aura pas passé les 50% au milieu du siècle.

Joël Querci et Sébastien Oliveau, « Le système urbain indien : une construction ancienne en changement rapide », Géoconfluences, 2 015

Le développement du tourisme dans certains espaces ruraux
Le Kerala est un des États où le tourisme rural, en particulier l’éco‑tourisme, est le plus développé.
En 2015, le nombre de touristes indiens au Kerala s’élevait à près de 12,5 millions, avec une augmentation de 6,6 % par rapport à 2014 […]. Dans ce contexte d’augmentation des mobilités internes dans un but de récréation, les montagnes, et en particulier leurs parcs naturels, attirent de plus en plus de visiteurs. […]
Le paysage de Wayanad se transforme pour satisfaire cette nouvelle activité économique qu’est l’accueil des touristes. Les touristes qui s’y rendent [sont] issus de la nouvelle bourgeoisie urbaine […]. Les rizières et plantations commerciales, désormais plus rentables, sont progressivement abandonnées, soit pour construire des résidences de tourisme, soit, pendant un temps, au profit d’une agriculture spéculative (gingembre). La forêt et sa faune, autrefois obstacles au développement, sont devenues
commercialisables grâce au tourisme […]. En saison, des embouteillages se forment désormais dans le bourg principal, où les hôtels se sont multipliés et une dizaine de Jeep promènent les touristes. Certains estates, dotés de sites internet proposant de multiples activités, attirent désormais une clientèle internationale dont le nombre ne cesse d’augmenter.
Lucie Dejouhanet, Revue de géographie alpine, 2017
D’importants dispositifs de développement agricole et rural
Depuis l’indépendance en 1947, la ligne directrice de la politique agricole indienne est la recherche de l’autosuffisance
alimentaire. Les actions menées dès les années 1960 (révolution verte avec introduction d’engrais et de semences à haut rendement, plans d’irrigation et révolution blanche dans l’industrie laitière) ont permis d’augmenter fortement la production (triplement de la production céréalière depuis 1950) […].
Le gouvernement joue un rôle prépondérant dans le fonctionnement, le soutien et la régulation du secteur. Il intervient par des subventions, […] par la fixation des prix […] et par l’achat public de céréales pour la constitution de stocks de sécurité alimentaire. La mise en oeuvre de cette politique se double d’un contrôle des exportations et des importations d’un certain nombre de produits agricoles.
Les droits de douane sont le principal instrument utilisé.
Le budget de la recherche agronomique […] connaît une progression régulière. […]
Enfin, l’Inde met en place une politique de développement rural très ambitieuse destinée à renforcer les infrastructures et à consolider l’emploi dans les territoires ruraux. En effet, pour faire face au creusement des inégalités entre monde rural et monde urbain et au sous‑emploi des travailleurs agricoles comme des petits agriculteurs, le gouvernement a lancé un programme national de garantie d’emploi en milieu rural […], qui a pour objectif de fournir 100 jours d’emploi par an à toute famille rurale.
Site internet du ministère français de l’Agriculture et de l’Alimentation, 201
Le grignotage des terres agricoles par l'étalement urbain à Calcutta
 
une conflictualité accrue autour des espaces ruraux
Image du haut : Village de Nindar, Rajasthan (octobre 2017). Des paysannes se sont enterrées sur leurs terres pour protester contre leur acquisition forcée par l’Autorité de développement de Jaipur, qui veut y construire des logements.
Image du bas : New Delhi (novembre 2017). Des centaines de paysans manifestent pour demander l’effacement de leurs dettes et des prix agricoles justes.
 

Les conflits d'usage entre agriculteurs et autres usagers de l'eau

Autour du fleuve Cauvery, les conflits d'usage se multiplient avec les agriculteurs qui dépendent de ce fleuve pour leurs cultures,
particulièrement dans les villages éloignés qu'aucun système d'irrigation ne dessert. Après une grande sécheresse entre 2015 et 2017, n'ayant rien récolté, la majorité de leurs paysans ont dû s'exiler. Mais qui se soucie de l'approvisionnement en eau de ces villages éloignés ? Le développement des grandes cultures commerciales a aggravé ce phénomène. Depuis 10 ans, les agriculteurs se sont davantage tournés vers le riz mais aussi le maïs, la canne à sucre et le coton, dont les prix de vente ont fortement augmenté. Or, ces cultures requièrent énormément d'eau. Face à des conflits que le changement climatique va aggraver, la coopération entre acteurs – villes, industries, agriculteurs - pour partager l'eau ne suffira pas. Modérer la consommation d'eau va s'avérer indispensable, surtout dans l'agriculture, qui représente 90% des prélèvements. Qu'il s'agisse des eaux de surface et, encore plus, des nappes phréatiques, il sera crucial de diffuser des méthodes d'irrigation plus économes que les systèmes actuels.

Alternatives économiques, 3 juillet 2018

La difficile conciliation entre protection de la nature et agriculture