Les espaces ruraux : multifonctionnalité ou fragmentation?
Questions : 1) Montrez que les espaces ruraux toscans sont variés et présentent de nombreux atouts. 2) Quelles évolutions connaissent les espaces agricoles toscans ? 3) Quels sont les autres activités des espaces ruraux toscans ? Comment ces activités se renouvellent-elles ? 4) Identifiez les différentes étapes de l'émergence de l'agritourisme en Toscane. Quelles mutations les paysages connaissent-ils alors. 5) Quel lien peut-on établir entre exploitations agritouristiques et villes en Toscane ? Comment peut-on l'expliquer ? 6) Quelles sont les différentes conséquences de l'exploitation du marbre de Carrare ? 7) En quoi la multifonctionnalité des espaces ruraux toscans est-elle source de conflits ?

Une diversité des paysages

Définir le paysage toscan revient à évoquer les clichés qui le caractérisent : des douces collines qui ondulent à perte de vue, des vignobles et des oliviers cultivés en terrasses, des cyprès aligné droits comme des « i ». La Toscane donne en effet l'image d'une campagne très sophistiquée, une région façonnée par des hommes artistes, aux mains expertes. L'organisation de l'espace se caractérise par l'utilisation de 3 espèces emblématiques : le cyprès, l'olivier et la vigne. Le rôle du cyprès est bien défini : couper le vent sur les lignes de crête, souligner les bordures des grands axes de circulation, définir des limites de propriété. L'olivier s'épanouit pleinement sur les collines de l'arrière-pays, entre 300 et 500 mètres d'altitude. Sur les presque 250 espèces d'oliviers recensés dans le monde, une cinquantaine sont cultivées en Toscane. Quant à la vigne, elle a toujours été omniprésente en Toscane.

Mais, au-delà de ces éléments caractéristiques du centre de la région, la Toscane présente un paysage plutôt diversifié. La Maremme, par exemple, contrée de terres plates peu à peu conquises sur les marécages s'est ouverte au tourisme depuis quelques années. Dans le quart nord-ouest de la Toscane, le massif des Alpes apuanes, inséré entre une frange littorale et la longue vallée de la Garfagnana, offre un paysage essentiellement montagneux et forestier.

Jean-François Breuuiller et Melani Le Bris, Toscane - Ombrie, Géoguide, 2 018

La diversité des espaces ruraux toscans
 
Paysage emblématique des collines toscanes
Vallée de l'Orcia, près de Sienne
 
Les mutations de l'agriculture en Toscane
 

La Toscane, espace rural multifonctionnel

Traditionnellement, les campagnes toscanes entretenaient des
liens étroits avec les villes, au premier rang desquelles Florence, et comportaient un réseau dense de bourgs avec une forte tradition artisanale (travail de la laine et de la soie).

Après 1960, et alors que l'agriculture locale se recomposait douloureusement, un « système productif industriel » est apparu
autour de nombreuses PME innovantes et d'une main d'œuvre bon marché, habile et attachée au pays. Malgré la concurrence internationale, les entrepreneurs s'adaptent en permanence en visant la qualité des produits. Parallèlement, les campagnes ont bénéficié très tôt des effets de la périurbanisation et de l'accueil touristique valorisant un bâti rural de qualité, sans que le territoire ne perde ses paysages et son identité.

Une agriculture en circuit court tente désormais de répondre à la demande alimentaire de nouveaux résidents en produits frais, notamment biologiques… Sur les collines, comme celle du Chianti, l’agritourisme de luxe se développe avec de nouveaux dispositifs comme des routes du vin et de l'huile d'olive. Les reliefs boisés sont aussi devenus des espaces de loisirs ou protégés (parc national Foreste Casentinesi).

Entretien avec Laurent Rieutort, Edition Magnard, février 2019

La destination Toscane à la frontière de l'urbain et du rural

Pour visiter les villes d'art de Florence, Sienne, Arezzo ou Volterra, les touristes, notamment les étrangers, s'installent volontiers dans les collines de Toscane centrale, attirés par les paysages, les produits du terroir et un patrimoine bâti ancien de grande valeur. L'agritourisme est un produit phare du tourisme toscan, en augmentation régulière de 10 à 15% par an depuis 1990. Il constitue pour les exploitations situées en périurbain une forme de diversification fréquente et rentable. Il entretient le lien ville-campagne et une agriculture constitutive du patrimoine urbain. Il favorise aussi lesrencontres entre ruraux et citadins, surtout si les activités culturelles, récréatives ou didactiques autres que l'hébergement ou la restauration sont proposées. Il pourrait donc contribuer à un projet de territoire agriurbain.

Coline Perrin, « L’agritourisme périurbain dans lescollines de Toscane centrale », dans Monique Poulot et al. , Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville : vers des projets de territoire, Université Paris Nanterre-ENSP Versailles, 2 010

L'agritourisme : un phénomène en expansion
 
Les succès de l’agritourisme toscan
En 2007 la Toscane a accueilli plus du tiers des nuitées relevant de l’agritourisme en Italie et près de 45 % de celles
concernant des étrangers, et ce sans tenir compte des sous-déclarations des agriculteurs.
À l’origine de l’agritourisme toscan, on trouve, au travers de la construction de chambres d’hôtes, des étrangers – Suisses, Allemands, Britanniques –, ainsi que quelques grandes familles de l’aristocratie terrienne italienne qui se sont retrouvées avec un patrimoine rural à entretenir, dont de nombreuses fermes abandonnées suite à la disparition du système de la mezzadria (système de métayage peu favorable aux métayers) et à un exode rural très important. Dans un premier temps, l’agritourisme toscan a surtout concerné la région de Chianti, entre Florence et Sienne, ainsi que l’île d’Elbe. Mais à partir des années 1970 et 1980 les petits exploitants agricoles de l’ensemble de la Toscane se sont à leur tour lancés dans l’agritourisme, cette formule
étant susceptible de leur apporter de nouvelles activités économiques dans des campagnes en difficulté. […]
Entre 1991 et 2006 pratiquement toutes les communes de Toscane ont vu se développer l’agritourisme, avec une prééminence confirmée pour la région de Chianti, et en particulier celle de Chianti classico favorisée par ses magnifiques paysages de collines plantées de vignes et d’oliviers, ses belles villas campagnardes entourées de cyprès et ses vins AOP réputés. La clientèle étrangère et aisée y est dominante.
Jean-Paul Charvet, Atlas de l’agriculture, Autrement, 2012
Des produits labellisés : un atout pour le tourisme
 
Un exemple de conflit d'usage et d'aménagement
En Toscane, la périurbanisation n’est pas que résidentielle, elle est aussi industrielle. Des districts industriels sont nés dans ces « campagnes urbanisées » […]. À partir de 1995, ce développement industriel se heurte toutefois aux résidents souhaitant préserver les paysages agricoles qui font l’attrait touristique des campagnes florentines. À San Casciano Val di Pesa, par exemple, trois implantations industrielles programmées au sein des espaces agricoles ont déclenché des polémiques publiques : un centre de compostage des déchets en 1997, un incinérateur en 2001 et une usine de construction de camping-cars en 2002. Ces projets suscitent l’opposition des résidents et plusieurs actions judiciaires contre la municipalité.
L’alliance des associations dans un collectif de défense du Chianti entraîne un recadrage des conflits au sein d’un vaste mouvement inter-associatif dénonçant, à l’échelle de la région Toscane, l’impact négatif des projets d’aménagement. Les associations critiquent tant « le saccage du territoire agricole et la bétonisation des sols » que l’opacité du mode de décision de la municipalité de San Casciano qui a adopté une révision ad hoc de son plan d’urbanisme en 2006 pour permettre l’implantation de l’usine de camping-cars sur 15 ha de zone agricole. Elles dénoncent un « marchandage territorial » entre « des puissants privés et de faibles administrations locales, rendant complètement impossible la défense des droits collectifs au paysage, à la beauté et à l’environnement »
Coline Perrin, « Le foncier agricole dans les plans d’urbanisme : le rôle des configurations d’acteurs dans la production locale du droit », Géocarrefour, 201

L’extraction du marbre de Carrare, une activité au cœur de conflits d’environnement
C’est une montagne magique. Un géant de pierre, dont les membres s’étendent là, comme sur un crucifix. Cloué entre la chaîne des Apennins et la Méditerranée, au Nord-Ouest de la Toscane. […] Toute la vallée est rivée à l’or blanc qui coule de ses veines – ce marbre d’une finesse extraordinaire, dont la couleur est aussi lunaire que le prix. Les Anciens, déjà, vénéraient cette divinité minérale. […] Aujourd’hui, contre quelques euros, les touristes visitent dévotement les carrières abandonnées, reconverties en musées à ciel ouvert. Plus sûres et moins bruyantes que celles, non loin, encore en activité. […] Longtemps, les habitants sont restés pareils au dieu qui les surplombe : de marbre. Mais voilà qu’eux aussi sortent du bois. C’est que, des arbres, il n’en reste plus beaucoup. Franca Leverotti pointe les sommets qu’on distingue depuis sa maison : « Avant, c’était vert. Aujourd’hui, on ne voit plus que du blanc. » […] L’exploitation de près de quatre millions de tonnes de marbre, chaque année, saccage la biodiversité. « Les Alpes apuanes sont un territoire unique, où subsistent des vestiges de l’ère glaciaire : une dizaine de plantes endémiques et des espèces protégées, comme le triton alpestre apuan. L’excavation les menace directement ! », enrage cette ancienne historienne. […] Franca Leverotti ne compte plus le nombre de plaintes qu’elle a déposées à l’encontre des carriers, qu’elle accuse d’excaver en dehors des zones réglementées. […] Alberto Grossi, lui, gronde. « L’eau est tellement polluée que la rendre potable coûte à la communauté 300 000 euros par an ! », s’insurge le militant écologiste, fils et petit-fils de marbrier. […] Le trentenaire donne rendez‑vous en bord de mer sur la plage de Carrare. Il désigne la rivière qui s’y jette, non loin. Sur toute l’embouchure, l’eau est d’un blanc laiteux : la faute aux résidus marmoréens
Aureliano Tonet et Margherita Nasi, « Le marbre de Carrare broie du noir », Le Monde, 30 novembre 2018
Les carrières de marbre de Carrare
Au nord-ouest de la Toscane, plus de 4 millions de tonnes de marbre de Carrare sont extraites chaque année, représentant 13% di PIB et occupant 10% de la population active de Toscane. Elle suscite de plus en plus de conflits en raison de son impact sur l'environnement : dégradation du paysage, déforestation, surexploitation de l'eau, déversement des rebuts dans les cours d'eau qui favorise les inondations.
 

Conflits d'usage autour du Parc régional (voir carte)

Entre 1976 et 1999, la charte du Parc était assez stricte et créé de nombreux conflits avec les agriculteurs. Par exemple, l'interdiction de la chasse a permis aux oiseaux de se multiplier, mais ceux-ci ont causé de nombreux dégâts aux agriculteurs. Pour pallier cette charte rigide, le Parc à établi en 1999 un plan pour gérer les différentes problématiques de la zone (…). Les zones de plage connaissent une forte pression liée au tourisme. Les stations balnéaires de la côte attirent de nombreux touristes et notamment des jeunes.Plusieurs discothèques voisines du Parc, génèrent une pollution lumineuse et sonore qui perturbent la faune. Sur ce sujet, le Parc est en conflit avec les communes qui ne veulent pas entendre ces arguments naturalistes. Elles leurs opposent des arguments économiques liés au tourisme qui participe au développement de la région

D'après « Les démarches territoriales en Toscane : le patrimoine, terreau d'innovation de l'espace rural. Fiches expérience, www.parcs-naturels-régionaux.fr, janvier 2012