Le modèle britannique et son influence
THEME 3
L'Etat à l'époque moderne : France et Angleterre
Les voyages des grands philosophes au XVIIIème siècle
Voltaire et Rousseau se réfugient en Angleterre quand ils sont menacés d'arrestation en France. D'autres philosophes se rendent en Grande-Bretagnepar curiosité comme Buffon ou Montesquieu
 

Les droits naturels et la théorie du contrat selon Locke

Les hommes sont tous par nature, libres, égaux et indépendants (…) et nul ne peut être dépossédé de ses biens, ou soumis au pouvoir politique d'un autre, s'il n'y a lui-même consenti. Le seul procédé qui permette à qui que ce soit de se dévêtir de sa liberté naturelle et d'endosser les liens de la société civile, c'est de passer, avec d'autres hommes, une convention au terme de laquelle les parties doivent s'assembler et s'unir en communauté, de manière à vivre ensemble dans le confort, la sécurité et la paix, jouissant en sûreté de leurs biens et mieux protégés contre toute personne qui n'est pas des leurs (…).
Si une longue suite d'abus, de prévarications (1) et de fraudes révèle une unité de dessein qui ne saurait échapper au peuple, celui-ci prend conscience du poids qui l'opprime et voit ce qui l'attend ; on ne doit pas s'étonner, alors, qu'il se soulève et s’efforce de porter au pouvoir des hommes capables de lui garantir la réalisation des fins mêmes en vue desquelles le gouvernement a été institué à l'origine.

John Locke, Deux traités du gouvernement civil, 1690

(1) Manquement d’un fonctionnaire aux devoirs de sa charge

Les droits naturels selon Diderot

Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel (…). Le prince tient de ses sujets mêmes l'autorité qu'il a sur eux ; et cette autorité est bornée par les lois de la nature et de l'Etat (…). Il ne peut jamais employer cette autorité pour casser l'acte ou le contrat par lequel elle lui a été déférée : (…) son autorité ne peut subsister que par le titre qui l'a établie. Qui annule l'un détruit l’autre (…). Si la nature a établi quelque autorité, c'est la puissance paternelle (…). Toute autre autorité vient d'une origine autre que la nature. Qu’on examine bien et on la fera toujours remonter à l'une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s'en est emparé, ou le consentement de ceux qui s'y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux, et celui à qui ils ont déféré l'autorité (…). Le gouvernement, quoique héréditaire dans une famille et mis entre les mains d'un seul, n'est pas un bien particulier, mais un bien public qui par conséquent ne peut jamais être enlevé au peuple, à qui seul il appartient essentiellement et en pleine propriété.
Denis Diderot, article « Autorité politique », Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, tome 1, 1751

Montesquieu et les 3 pouvoirs

Montesquieu s'est intéressé au régime politique anglais et en tire des réflexions générales dans de l'Esprit des lois.
Il y a dans chaque Etat trois sortes de pouvoir : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit à des gens (1) et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil (2).
Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger, et l'autre simplement la puissance exécutrice de l'Etat (…).
Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même Sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement (…).
Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers (…). Chez les Turcs, où les trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme.

Montesquieu, De l'esprit des lois, XI, La Constitution d'Angleterre, 1748

(1) Pouvoir exécutif

(2) Pouvoir judiciaire
Voltaire et l'exil en Angleterre

Louis-François Charon, Voltaire à la Bastille composant la Henriade, 1822, estampe, 48,2 x 34,7 cm, musée Carnavalet, Paris.

En 1726, Voltaire, alors célèbre dramaturge et poète, se querelle avec un noble, le marquis de Rohan, qui le fait battre par ses domestiques. Voltaire est ensuite arrêté, emprisonné, puis exilé. Il se rend alors en Angleterre, où il séjourne pendant trois ans
 

Extraits des Lettres philosophiques ou Lettres anglaises de Voltaire 1634

Texte A :
« M. Newton était honoré de son vivant, et il l’a été après sa mort comme il devait l'être (…). Entrez à Westminster. Ce ne sont point les tombeaux des rois qu'on y admire, ce sont les monuments que la reconnaissance de la nation a érigé aux plus grands hommes qui ont contribué à sa gloire, vous y voyez leur statut comme on voyait dans Athènes celles des Sophocle et des Platon, et je suis persuadé que la seule vue de ces glorieux monuments a excité plus d'un esprit et a formé plus d'un grand homme. »

Lettres philosophiques, Lettres XXIII sur la considération que l'on doit aux gens de lettres.

Texte B :
« En France est marquis qui veut ; et quiconque arrive à Paris au fond d'une province avec de l'argent à dépenser et un nom en ac ou en ille, peut dire « un homme comme moi, un homme de ma qualité », et mépriser souverainement un négociant ; le négociant entend lui-même parler si souvent avec mépris de sa profession, qu'il est assez sot pour en rougir. Je ne sais pourtant lequel est le plus utile à un Etat, ou un seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le Roi se lève, à quelle heure il se couche, et qui se donne des airs de grandeur en jouant le rôle d'esclave dans l'antichambre d'un ministre, ou un négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate et au Caire et contribue au bonheur du monde. »

Lettres philosophiques, Lettres X sur le commerce

Texte C :
« Entrez dans la Bourse de Londres, cette place plus respectable que bien des cours, vous y voyez rassemblés les députés de toutes les nations pour l'utilité des hommes. Là, le juif, le mahométan et le chrétien traitent l'un avec l'autre comme s'ils étaient de la même religion (…). Là, le presbytérien (1) se fie à l’anabaptiste (1) et l’anglican reçoit la promesse du quaker1 (…). S'il n'y avait en Angleterre qu'une religion, le despotisme serait à craindre, s'il y en avait 2, elle se couperait la gorge, mais il y en a 30, et elles vivent en paix et heureuses. »
(1) Sectes protestantes

Lettres philosophiques, Lettres VI sur les presbytériens

Texte D :
« Voici une différence plus essentielle entre Rome et l'Angleterre, qui met tout l'avantage du côté de la dernière : c'est que le fruit des guerres civiles à Rome a été l'esclavage, et celui des troubles d'Angleterre, la liberté. La nation anglaise est la seule de la Terre qui soit parvenue à régler le pouvoir des rois en leur résistant et qui d’efforts en efforts ait enfin établi ce gouvernement sage où le prince, tout-puissant pour faire du bien, a les mains liées pour faire le mal, où les seigneurs sont grands sans insolence et sans vassaux, où le peuple partage le gouvernement sans confusion (…). La Chambre des Pairs (Lords) et celle des Communes sont les arbitres de la nation, le roi et le surarbitre. »

Lettres philosophiques, Lettres VIII sur le Parlement.

Texte E :
« Un homme, parce qu'il est noble ou parce qu'il est prêtre, n’est point ici exempt de payer certaines taxes, tous les impôts sont déterminés par la Chambre des Communes (…). Quand le bill est confirmé par les Lords et approuvé par le roi, alors tout le monde paie. Chacun donne, non selon sa qualité (ce qui est absurde) mais selon son revenu ; il n'y a point de taille ni de capitation arbitraire ; mais une taxe réelle sur les terres. »

Lettres philosophiques, Voltaire, 1634

Contourner la censure
Voltaire, Les Lettres philosophiques, couverture de l'édition originale, 1734, Paris, BNF

La couverture est truffée de fausses informations pour tromper la censure. Cette édition a en réalité été imprimée à Rouen par M. Jore. Dès la parution, le livre est interdit en France et ses exemplaires condamnés à être brulés.
 

Les Lettres anglaises censurées

La cour a arrêté et ordonné que ledit livre sera lacéré et brûlé dans la cour du Palais, au pied du grand escalier, par l'exécuteur de la haute justice, comme scandaleux, contraire à la religion, aux bonnes mœurs et au respect dû aux puissances ; fais très-expresses inhibitions et défenses à tous libraires, imprimeurs, colporteurs, et à tous autres, vendre, débiter, ou autrement distribuer en quelque manière que ce puisse être, sous peine de punition corporelle.

Acte de la cour du Parlement, 10 juin 1734

Voltaire, accusé d'être un mauvais Français

Voltaire et les philosophes des Lumières sont critiqués par des penseurs conservateurs en pleine guerre de Sept ans contre les Anglais. Voltaire est accusé de soutenir l'ennemi.
Mais, son plus grand miracle est la métamorphose surprenante qu'il [Voltaire] a fait des Anglais. Ce peuple que l'on avait toujours connu pour le plus orgueilleux, le plus jaloux du succès de ses voisins, le plus intéressé, le plus ingrat et le plus féroce qui soit au monde, est, selon Monsieur de Voltaire, le peuple le plus généreux, le plus magnanime, le plus fidèle à ses engagements, le plus reconnaissant, le plus humain ; en un mot, le vrai modèle de perfection en tout genre. Le bon sens à son avis n'habite que dans la Grande-Bretagne : c'est le Sanctuaire de la raison ; la Patrie des Sages (…). Si l'on veut (…) en croire [Voltaire ses amis], ils sont le Peuple de la terre le plus libre et le plus heureux (…). Personne ne révoque en doute que la liberté soit de tous les biens humains le plus précieux dont on puisse jouir : mais elle doit avoir ses bornes sans quoi elle dégénère bientôt en licence, et les désordres affreux qui l'accompagne nécessairement sont mille fois plus funestes au bonheur commun, que ne sauraient être les suites du plus odieux esclavage.

Louis-Charles Fouret de Montbron, Préservatif contre l'anglomanie, 1757