Décolonisation et émergence du Tiers-Monde : vers une complexification du monde bipolaire
THEME 2 :
LE MONDE DANS LA GUERRE FROIDE DE 1945 A 19991

Chapitre 6 :
Une bipolarisation du monde remise en cause
La dépendance des pays en développement au milieu des années 60
 
Autour de la table ce jour-là, enregistrés par Radio UNESCO, il y avait une future première ministre de la République de l'Inde, Indira Gandhi, [...] et l'écrivain Albert Rakoto Ratsimamanga, représentant de la République malgache [...]. Il était question de « l'Afrique face à l'Orient et à l'Occident », Orient et Occident étaient considérés dans un sens géographique, la question posée était : l'Afrique doit-elle se choisir des modèles, des exemples et si oui avec quels pays aurait-elle le plus d'affinités ?
Indira Gandhi : « L'Afrique a surtout besoin des cadres et des programmes d'éducation. Je voudrais dire un mot sur les femmes : je pense que l’éducation de la femme est très importante, nous avons vu en Inde que c’est la femme qui peut changer l’idée de la famille. Et dans ces pays nouveaux et indépendants, on a besoin de créer une atmosphère avec des nouvelles idées, pour accepter ces idées nouvelles c'est par l’éducation dans le sens le plus large. »
Albert Rakoto Ratsimamanga : « Du fait de l'accession à l'indépendance, l'Afrique à l'heure actuelle est en train de se chercher, j'entends par là sa personnalité. [...] Surtout sa personnalité politique, je ne vois pas d'antinomie entre l'Afrique et l'Europe par exemple et entre l'Afrique et l'Orient. Je pense que justement l'Afrique peut servir de pont entre l'Orient et l'Occident. À l’Occident nous devons aller chercher sa technique, sa facilité de vie... mais nous ne devons pas perdre de vue la spiritualité de l'Inde avec, en outre, le fond artistique africain, cela ferait de l'homme africain moderne, une personnalité nouvelle exprimée peut-être par ce que mon ami Senghor appelle la négritude. »
Indira Gandhi, Edgar Faure, Albert Rakoto Ratsimamanga et Mohamed El Fassi, « L'Afrique face à l'Orient et à l'Occident », Radio UNESCO, 1961.
Crises et conflits en Afrique, 1960-1990
 
Quelques lois de l'Apartheid en Afrique du Sud
A partir de 1948; les Afrikaners blancs au pouvoir ont instauré un régime d'apartheid en Afrique du Sud
1949 : Interdiction des mariages mixtes entre Blancs et non-Blancs
1950 : Pénalisation des relations sexuelles entre Blancs et non-Blancs
1950 : Classification de la population en quatre "races'" : Blancs, Noirs, Métis, Asiatiques
1950 : Séparation forcée des Blancs et non-Blancs dans des zones urbaines d'habitations différentes
1952 : Obligation pour les Noirs de plus de 16 ans de posséder un laissez-passer pour circuler dans certains quartiers de Blancs
1953 : Séparation entre Blancs et non-Blancs dans tous les lieux publics : toilettes, bancs, fontaines...
1953 : Retrait du droit de grève pour les travailleurs noirs
1959 : Interdiction pour les Noirs d'étudier dans certaines universités blanches

Le sous-développement défini dans les années 70

Les données moyennes concernant le Tiers-Monde s’appliquent tout particulièrement à l’Afrique subsaharienne

 
Le maréchal-président Mobutu en 1984.
Ancien sous-officier de la Force publique, l’armée coloniale belge, membre du gouvernement de Patrice Lumumba qu’il contribue à éliminer, Mobutu arrive au pouvoir en 1965 à l’issue d’un coup d’État. Il met en place un régime autoritaire, fondé sur un parti unique, et répressif. Il instaure le culte de la personnalité, adoptant les symboles traditionnels du pouvoir (notamment le léopard, ce qui lui vaut le surnom de « léopard de Kinshasa »), tout en prenant le nom de maréchal-président en 1982. La politique de zaïrisation est à la fois un programme de décolonisation culturelle et de nationalisations. En 1971, le pays, le principal fleuve et la monnaie prennent le nom de Zaïre. Des villes sont rebaptisées ; les monuments coloniaux sont démontés ; le costume occidental est banni ; la population doit abandonner les prénoms occidentaux et chrétiens remplacés par des noms africains : Joseph-Désiré Mobutu devient alors Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga (« Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter »). La nationalisation des biens commerciaux et fonciers détenus par des ressortissants et entreprises étrangères est source d’enrichissement pour les hommes au pouvoir ou de clientélisme. Cela n’empêche pas que les richesses naturelles du pays attirent les investisseurs étrangers. Le Zaïre de Mobutu est resté le pays le plus fidèle aux intérêts géopolitiques des États-Unis et des Occidentaux, face au danger que représente l’Angola socialiste.
 
Le choix de la démocratie TITRE 1 – De l’Etat et de la souveraineté ART. 1 – La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances. La langue officielle de la République du Sénégal est le français. Sa devise est : un Peuple, un But, une Foi. (…). Le principe de la République est : Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Art. 2 – La souveraineté nationale appartient au peuple sénégalais qui l’exerce par ses représentants. Le peuple peut, en outre, l’exercer par la voie du référendum. Aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté. Le suffrage peut être direct ou indirect. Il est toujours universel, égal et secret. Tous les nationaux sénégalais, majeurs, des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi.
Constitution du Sénégal adoptée le 25 aout 1960
Le durcissement du régime au Sénégal Depuis l’indépendance jusqu’à la chute de Mamadou Dia (premier 1er ministre du Sénégal de 1960 à 1962), le Sénégal se distingua de la plupart des autres pays africains sur les points suivants : un régime parlementaire, un exécutif bicéphale *partagé par 2 personnes+ et quelques partis d’opposition tolérés par le gouvernement (…). Le président Senghor avait déclaré à diverses reprises qu’il y avait assez de place au Sénégal pour divers partis. L’étude de la période s’étendant de 1963 à 1967 montre cependant que la politique de Senghor visait en réalité à éliminer les partis d’opposition (…). A partir de 1966 (…) il fut impossible au Sénégal de critiquer la politique du gouvernement dans le cadre d’un parti légal d’opposition. Ce rôle fut repris dans les années suivantes par les étudiants, les enseignants et les syndicats. La période s’étendant de 1967 à 1970 allait être placée sous le signe des révoltes et des grèves menées dans la capitale par les enseignants et les ouvriers.
Gerti Hesseling, Histoire politique du Sénégal. Institutions, droit et société, Karthala, 1985
Une cohésion nationale à inventer Il a été affirmé que le système colonial a divisé l’Afrique. C’est vrai sous un certain rapport, mais l’on peut aussi dire que le système colonial a permis à des nations de naître (…). Si nos Nations africaines devaient se définir comme des entités ethniques, parlant la même langue, ayant la même psychologie, eh bien, on ne trouverait aujourd’hui en Afrique aucune véritable Nation. La République du Mali, par exemple, est constituée d’une dizaine de races, qui ont transcendé leurs différenciations ethniques et tribales pour constituer aujourd’hui la République du Mali.
Discours de Modibo Keita, Président du Mali, à la conférence fondatrice de l’OUA à Addis Abeba, le 24 mai 1963
La dénonciation du néocolonialisme
« Tous les leviers de commande de l'économie mondiale sont entre les mains d'une minorité constituée par des pays hautement développés. […] En détenant l'essentiel des marchés de consommation des matières de base ainsi que le quasi-monopole de la fabrication des produits manufacturés […], les pays développés ont pu fixer, à leur guise, tant les prix des matières de base qu'ils prennent aux pays en voie de développement que ceux des biens et services qu'ils fournissent à ces derniers.[…] Tel est le fondement de l'ordre économique mondial que nous vivons aujourd'hui […], un ordre qui est aussi injuste et aussi périmé que l'ordre colonial duquel il tire son origine et sa substance. Parce qu'il s'entretient, se consolide et prospère selon une dynamique qui, sans cesse, appauvrit les pauvres et enrichit les riches, cet ordre économique constitue l'obstacle majeur à toute chance de développement et de progrès pour l'ensemble des pays du tiers-monde.
Ces quelques faits montrent suivant quelles lignes de force on devrait agir […] :
– […] la prise en main par les pays en voie de développement de leurs ressources naturelles […] ;
– […] une industrialisation […] s'appuyant […] sur la transformation sur place des ressources naturelles […] ;
– […] l'aide de la communauté internationale. »
Discours du président algérien Houari Boumédiène à l'Assemblée générale extraordinaire de l'ONU, 9 avril 1974.