Décolonisation et émergence du Tiers-Monde : vers une complexification du monde bipolaire
THEME 2 :
LE MONDE DANS LA GUERRE FROIDE DE 1945 A 19991

Chapitre 6 :
Une bipolarisation du monde remise en cause
L'Urss condamne la colonisation
« L'ère du colonialisme est finie ! », affiche soviétique, 1962. En haut à droite : « Leur oppression, les colonisateurs scélérats menacent de la rétablir par la guerre. Mais cela ne marchera pas ! Partout leurs entreprises sont dorénavant vouées à l'échec. »

Hostile par idéologie à la colonisation, l'URSS s'engage vraiment dans l'aide aux peuples colonisés et aux nouveaux États indépendants à partir du milieu des années 1950, afin d'étendre son influence.
 

L'ONU et la question coloniale :

Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes« Les Etats membres doivent favoriser la réalisation, [dans] les territoires non autonomes, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, compte tenu des principes de la charte des Nations Unies et de la volonté librement exprimée des populations intéressées. […] [Ils doivent] assurer la participation directe des populations autochtones aux organes législatifs et exécutifs de ces territoires et les préparer à l’autonomie complète ou à l’indépendance. »

Résolution de l’ONU sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes 1952

Le temps des décolonisations
 

L’indépendance de l’Afrique noire britannique

Je signalai qu’il y avait 2 manières d’acquérir l’autonomie, l’une par la révolution armée et l’autre par des méthodes non violentes constitutionnelles et légitimes. Je citai comme exemples la force armée britannique qui repoussa deux tentatives allemandes d’invasion et la victoire remportée aux Indes sur l’impérialisme britanniques au moyen de la pression morale. Nous préconisions la seconde méthode. La liberté, on ne l’avait pas cependant jamais accordée à aucun pays colonial sur un plateau d’argent ; on ne l’avait gagnée qu’après d’amères et vigoureuses luttes. A cause du retard des colonies en matière d’instruction, la majorité des gens était illettrée et il y avait une seule chose qu’ils puissent comprendre, à savoir l’action. Je décrivis l’action positive comme l’adoption de tous les moyens légitimes et constitutionnels par lesquels nous pouvions attaquer les forces de l’impérialisme dans le pays. Les armes étaient l’agitation politique, des campagnes de presse et d’enseignement et, comme dernière ressource, l’application constitutionnelles de grèves, de boycottages et de non-coopération basés sur le principe de la non-violence absolue, tel que Gandhi en a usé en Inde.

Kwame Nkrumah, 1er président du Ghana (1909-1972), « La naissance de mon parti et son programme d’action positive » in Présence africaine, revue culturelle du monde noir, n°12, février-mars 1957.

De l'Indochine française aux indépendances (1945-1954)
 
L'indépendance du Congo
Patrice Lumumba (1925-1961), chef du MNC (Mouvement national congolais), devient en 1960 Premier ministre de l'ancien Congo belge (devenu le Zaïre, puis la République démocratique du Congo). Il est assassiné en 1961 alors qu'il demandait le soutien de l'Urss dans la guerre civile qui s'était déclenchée juste après l'indépendance.
Congolais et Congolaises, Combattants de la liberté aujourd'hui victorieux, e vous salue au nom du gouvernement congolais. A vous tous, nos amis qui avaient lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants. Cette indépendance du Congo, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c'est par la lutte qu'elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle, nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable, pour mettre fin à l'humiliant esclavage qui nous avait été imposé par la force (...).
La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail. Nous allons montrer au monde ce que peut faire l'homme noir lorsqu'il travaille dans la liberté, et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l'Afrique toute entière. Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir toutes les lois d'autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles.
Discours de Patrice Lumumba prononcé le 30 juin 1960 lors de la cérémonie d'indépendance du Congo
Les États-Unis dénoncent la menace communiste
Le chef de la diplomatie américaine dénonce l'impérialisme de l'URSS en Asie et justifie la politique étrangère des États-Unis.
« Les leaders soviétiques en établissant leur stratégie de conquête mondiale utilisent le nationalisme comme stratagème pour gagner les peuples colonisés. […] Peut-être certains d'entre vous trouvent-ils que notre gouvernement ne pousse pas la politique de liberté aussi vigoureusement qu'il le faudrait. Je peux vous dire que […] là où nous mettons un frein, c'est dans la conviction raisonnée qu'une action précipitée ne conduirait pas en fait à l'indépendance mais à une servitude plus dure encore que la dépendance présente […]. Nous avons de bonnes raisons de souhaiter maintenir l'unité avec nos alliés occidentaux, mais n'avons pas oublié que nous fûmes la première colonie à arracher l'indépendance. Et nous n'avons donné de chèque en blanc à aucune puissance coloniale. »
Discours de John Foster Dulles, secrétaire d'État américain, devant des industriels à Cleveland, 18 novembre 1953.
Ho Chi Minh proclame l'indépendance du Vietnam
« Après la reddition des Japonais, notre peuple tout entier s'est dressé pour reconquérir sa souveraineté nationale et a fondé la République démocratique du Vietnam.
[…] Notre peuple a brisé toutes les chaînes qui ont pesé sur nous durant près d'un siècle, pour faire de notre Vietnam un pays indépendant. Notre peuple a, du même coup, renversé le régime monarchique établi depuis des dizaines de siècles, pour fonder la République démocratique.
Pour ces raisons, nous, membres du Gouvernement provisoire, déclarons, au nom du peuple du Vietnam tout entier, nous affranchir complètement de tout rapport colonial avec la France impérialiste, annuler tous les traités que la France a signés au sujet du Vietnam, abolir tous les privilèges que les Français se sont arrogés sur notre territoire.
Tout le peuple du Vietnam, animé d'une même volonté, est déterminé à lutter jusqu'au bout contre toute tentative d'agression de la part des colonialistes français.
Nous sommes convaincus que les Alliés, qui ont reconnu les principes de l'égalité des peuples aux conférences de Téhéran et de San Francisco ne peuvent pas ne pas reconnaître l'indépendance du Vietnam. »
Ho Chi Minh, dirigeant du Parti communiste indochinois, déclaration d'indépendance de la République démocratique du Vietnam (Vietnam du Nord), 2 septembre 1945.

La conférence de Bandung

L’Asie n’est plus passive (…). Il n’y a plus d’Asie soumise, elle est vivante, dynamique (…). Nous sommes résolus à n’être d’aucune façon dominés par aucun pays, par aucun continent (…). Nous sommes des grands pays du monde et voulons vivre libres sans recevoir d’ordres de personnes. Nous attachons de l’importance à l’amitié des grandes puissances, mais (…) à l’avenir nous ne coopérerons avec eux que sur un pied d’égalité. C’est pourquoi nous élevons notre voix contre l’hégémonie et le colonialisme dont beaucoup d’entre nous ont souffert pendant longtemps. Et c’est pourquoi nous devons veiller à ce qu’aucune autre forme de domination ne nous menace (…). Je pense qu’il n’y a rien de plus terrible que l’immense tragédie qu’a vécue l’Afrique depuis quelques siècles (…), depuis l’époque où des millions d’Africains ont été expédiés comme esclaves en Amériques ou ailleurs, la moitié d’entre eux mourant dans les galères (…). Malheureusement, même aujourd’hui, ledrame de l’Afrique est plus grand que celui d’aucun autre continent, tant au point de vue racial que politique. Il appartient à l’Asie d’aider l’Afrique au mieux de ses possibilités, car nous sommes des continents frères (…).

Discours de clôture de la conférence de Bandung prononcé par Jawaharlal Nehru le 24 avril 1955

L'indépendance négociée des colonies françaises d'Afrique
"sur l'ensemble du mouvement de décolonisation qui existe d'un bout à l'autre du monde, (...) je n'ai jamais cessé de suivre la même direction. Considérant que l'émancipation des peuples, car c'est de cela qu'il s'agit, est conforme tout à la fois au génie de notre pays (...), au mouvement irréversible qui s'est déclenché dans le monde (...), j'ai engagé dans cette voie de l'émancipation des peuples, la politique de la France (...).
Ce n'est pas, bien entendu, que je renie en quoi que ce soit l'oeuvre colonisatrice qui a été accompli par l'Occident européen, et en particulier par la France (...). Mais je n'en crois pas moins qu'il faut savoir quant le moment est venu - et il est venu - de reconnaitre à tous le droit de disposer d'eux-mêmes (...).
C'est un fait qui s'est établi entre eux et nous, de leur fait et du nôtre; des liens qu'il serait lamentable de voir briser dans le processus nouveau dans lequel ils sont engagés. Autrement dit, est-ce que les nouvelles souverainetés, les jeunes souverainetés doivent être acquises et exercés contre l'ancien colonisateur, et en le maudissant par surcroît, ou bien au contraire (...) amicalement avec lui, et en usant de son concours ?
La réponse me parait être commandée par le bon sens, et je répète qu'à 14 Républiques africaines et à la République malgache (...) auxquelles ont été reconnus leur libre choix et leur libre disposition d'eux-mêmes, eh bien ! la France a proposé sa coopération."
Conférence de presse de Charles de Gaulle, 5 septembre 1960