Une première forme de mondialisation
THEME 2 :
XVème - XVIème siècle : un nouveau rapport au monde, un temps de mutations intellectuelles

Chapitre 3 :
L'ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du "Nouveau Monde"
A l'aide des documents ci-dessous et en fonction du groupe de travail qui vous été attribué :
- Répondez aux différentes questions qui vous sont proposées
- Réalisez un panneau d'exposition
Traite atlantique et commerce triangulaire
 
La traversée de l'Angola au Brésil
Le navire sur lequel monte Carli est chargé de 680 esclaves.
Les hommes étaient empilés à fond de cale, enchaînés de peur qu'ils ne se soulèvent et tuent les Blancs à bord. Aux femmes, on réservait le second entrepont, celles qui étaient enceintes étaient réunies dans la cabine arrière. Les enfants étaient entassés dans le premier entrepont comme des harengs en baril. S'ils voulaient dormir, ils tombaient les uns sur les autres. Pour satisfaire leurs besoins, il y avait des sentines mais, comme beaucoup craignaient de perdre leur place, ils se soulageaient là où ils se trouvaient, surtout les hommes cruellement accumulés, de sorte que chez eux, chaleur et odeur devenaient intolérables.
Description par le franciscain Carli, début XVIIème siècle, Sevpen, 1960, D.R.
Deux marchands portugais avec des manilles
Plaque en laiton provenant du palais de l'ancien royaume du Bénin (actuelle Nigeria), art du peuple d'Edo, XVIème-XVIIème siècles, Métropolitain Museum of Art, New York

Les manilles sont des bracelets métalliques, principalement en laiton. A partir du XVIème siècle, les Portugais en fabriquent en Europe et les utilisent comme monnaie dans les ports de traite en Afrique pour acheter des esclaves
 
Un point de départ de la traite des esclaves
Frans Hogenberg, Fort d'Elmina, gravure sur bois, 1572
Fondé en 1482, le fort Saint-Georges de la Mine, dans l'actuel Ghana, est un point de départ de la traite des esclaves, achetés à Luanda et envoyés au Brésil à partir de 1550
 
Sur un navire négrier
anonyme, début XIXème siècle
Les esclaves entassés sous l'entrepont sont de temps en temps sortis à l'air libre. On les lave à l'eau de mer et on les fait danser
 
Les Portugais ouvrent la route de la traite atlantique

Si l'Afrique est au cours du xve siècle la zone unique d'implantation portugaise, un tournant imprévu intervient en 1500. Alors que les « Indes occidentales », bientôt appelées « Amériques » (en 1507 pour la première fois), sont attribuées à l'Espagne par le traité de Tordesillas (1494), qui trace une ligne de partage des terres, la « découverte » fortuite de la côte la plus orientale du Brésil par Pedro Álvares Cabral, le 22 avril 1500, fait entrer cette partie de l'Amérique dans le domaine portugais. Dès lors, la traite négrière portugaise, jusque-là tournée vers les petites possessions insulaires africaines, se dirige massivement vers l'immense Brésil, la réduction en servitude des populations indiennes se révélant peu efficace. Le comptoir de Luanda est le principal fournisseur de ce gigantesque marché d'esclaves, qui sera le plus important de toutes les traites européennes.

Ainsi, au fil du xve siècle, le Portugal inaugure un commerce d'êtres humains à grande échelle. L'« engrenage négrier » est donc en place au moment où la découverte des Antilles et du continent américain après 1492 lui impulse une dimension nouvelle : trois continents sont en relation pour la première fois : l'Europe, donneuse d'ordre ; l'Afrique, pourvoyeuse de main-d'œuvre servile ; les Amériques, destinataires des captifs africains. C'est la première mondialisation mettant en circulation des hommes, des marchandises, des techniques et des capitaux.

Marcel Dorigny, « Traites et colonisations : la rupture », La Vie/Le Monde Afrique n° 42 : « L'Atlas des Afriques », Juin/Juillet 2023.
La capture d'esclaves au Sénégal en 1446
Zurara est le chroniqueur officiel du roi du Portugal. Il relate ici l'expédition d'Alavro Fernandez au Sénégal en 1446
Le lendemain, ils allèrent à terre un peu plus loin et ils virent des femmes de Guinéens* qui, semble-t-il, étaient sur le bord d'un petit bras de mer, en train de ramasser des coquillages. Ils en prirent une, qui devait avoir environ 30 ans, avec son fils qui devait en avoir deux, et aussi une jeune fille de 14 ans qui ne manquait pas d'une grande élégance de corps et même, pour une Guinéenne, d'une certaine beauté de visage. Mais la force de la femme avait de quoi surprendre car, des trois qui la saisirent, il n'y en eut aucun qui n'eut pas beaucoup de mal pour l'amener au canot ; et voyant la lenteur avec laquelle ils avançaient, ce qui pouvait permettre à quelques gens du pays de survenir, l'un d'eux eut l'idée de lui prendre son fils et de le porter au canot, et son amour maternel la força à le suivre sans y être beaucoup contrainte par les deux qui l'emmenaient. De là, ils poussèrent plus avant un certain temps, jusqu'à ce qu'ils trouvassent un fleuve dans lequel ils pénétrèrent avec le canot ; et dans des maisons qu'ils trouvèrent là, ils prirent une femme.
Gomes Earnes de Zurara, Chronique de Guinée, 1453

* Le terme "Guinée" désigne d'une manière générique pour les Européens l'Afrique noire atlantique
La mise en place d'un commerce avec les seigneurs locaux
Ca'Da Mosto est un marchand vénitien au service des Portugais. La scène se passe au Sénégal en 1455.
Je dépassai le fleuve Sénégal avec ma caravelle et parvins au pays de Budomel, lequel pays se trouve à environ 80 milles du fleuve, sur la côte qui, depuis ce fleuve jusqu'à Budomel n'est pas un nom propre, mais le titre du seigneur, comme l'on dirait de tel seigneur ou de tel comte.
Je mouillai avec ma caravelle à cet endroit, voulant prendre langue avec ce seigneur, car des Portugais qui avaient eu affaire à lui m'avaient dit que c'était un homme de bien, auquel on pouvait se fier et qui payait raisonnablement ce qu'il achetait. Puisque j'avais apporté avec moi certains chevaux d'Espagne et d'autres choses fort recherchées aux pays des Noirs et beaucoup d'autres marchandises comme des draps de laine ou des étoffes de soie mauresque, je résolus de tenter ma chance (...). On me fit toutes sortes de civilités et après maints pourparlers, je lui donnai mes chevaux et tout ce qu'il voulut, tant il m'inspirait confiance. Il m'invita chez lui, dans l'intérieur des terres, à environ 25 milles de la côte. Là, on allait me payer tout ce que l'on me devait, pourvu que j'attende quelques jours. Il m'avait en effet promis cent esclaves pour mes chevaux et mes marchandises (...). Avant de partir, il me fit présent d'une fille âgée de 12 à 13 ans, noire et fort belle. Il me dit qu'il me la donnait comme chambrière, je l'acceptai et l'envoyai sur ma caravelle.
Alvise Ca'Da Mosto, Voyages en Afrique noire, 1455, trad. F. Verrier, Chandeigne, 2003
La route des esclaves aux XVIème et XVIIème siècles
Depuis la bulle pontificale et le traité de Tordesillas (partage du monde) de 1494 entre Portugais et Espagnols, confirmé par le pape en 1533, ce sont les Espagnols, les premiers arrivés, qui occupaient les zones les plus riches, conquises sur les Empires aztèque et inca. Mais, ils sont dès le départ dépendants des Portugais pour obtenir les esclaves africains dont ces derniers vont avoir le monopole pendant un siècle et demi environ. Les Espagnols n'ont pas seulement besoin d'esclaves pour les plantations, mais aussi pour les mines et toute une série de travaux de force. Très vite, aux XVIème et XVIIème siècles, les esclaves se trouvent au cœur de la production sucrière brésilienne avant que celle-ci ne soit supplantée à partir du XVIIIème siècle par les îles Britanniques, la Barbade et la Jamaïque et bientôt par Saint-Domingue. Car le monopole portugais s'érode, d'abord en raison de la concurrence des Hollandais, qui vont s'emparer momentanément des places fortes portugaises en Afrique occidentale et dans l'île du Mozambique, réussissant à contrôler le trafic d'esclaves dans la région ; ils occupent aussi une partie de l'Angola et, en 1624, la région de Bahia au Brésil
C. Coquery-Vidrovitch, Les routes de l'esclavage, Albin Michel - ARTE éditions, 2018
Les destinations de la traite atlantique
 
L'arrivée des esclaves à Carthagène
Alonso de Sandoval était présent à l'arrivée des navires portugais dans le port de Carthagène (Colombie actuelle)
S'ils sont tant serrés, tellement sales et si malheureux, selon le témoignage même de ceux qui les amènent ici, c'est qu'on les attache par des colliers de fer dont les anneaux sont passés à leurs pieds de telle sorte qu'ils sont pris par le cou et les jambes, sous le pont, enfermés de l'extérieur sans voir le soleil ni la lune. La puanteur, l'entassement et la misère de cet endroit sont tels qu'aucun Espagnol n'ose passer la tête par l'écoutille sans en avoir des nausées ni ne peut rester une heure à l'intérieur sans risquer d'attraper quelque grave maladie. Le réconfort et la consolation de ces malheureux se résument à ne manger toutes les 24 heures qu'une écuelle pas très grande de farine de maïs ou de mil cru, qui ressemble au riz chez nous, et à boire à peine une petite cruche d'eau et à n'avoir rien d'autre si ce n'est force coups de bâton ou de fouet et des insultes. Voilà ce qui se passe communément avec les hommes, même si je pense que depuis quelques temps, certains armateurs les traitent un peu moins durement.
Alfonso de Sandoval (prêtre jésuite espagnole 1576-1652), De instauranda salute, 1527