Une première forme de mondialisation
THEME 2 :
XVème - XVIème siècle : un nouveau rapport au monde, un temps de mutations intellectuelles

Chapitre 3 :
L'ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du "Nouveau Monde"
A l'aide des documents ci-dessous et en fonction du groupe de travail qui vous été attribué :
- Répondez aux différentes questions qui vous sont proposées
- Réalisez un panneau d'exposition
Le circuit des produits de l'Empire espagnol
 
Les Indiens dans les mines de Potosi
Théodore de Bry, America, 1601, gravure (coloriée plus tard), BNF, Paris
 
L'importation d'or et d'argent des Amériques à Séville (Espagne)
 
Le travail forcé des Indiens
Et c'est ainsi qu'ils les éparpillaient en de nombreux lieux, ce qui décomposait leurs villages et leurs voisinages, où ils vivaient selon l'ordre naturel, et sans faire mention ni se soucier que le fils fût avec le père ou la fille avec la mère, ni la femme avec son mari ; bref ni plus ni moins que si c'était des animaux (...). La [loi] ordonnait que les Indiens travaillent 5 mois à extraire de l'or des mines, et qu'après ces 5 mois ils se reposent 40 jours, à condition de travailler la terre (...) pour se nourrir pendant ce temps : cela leur aurait suffi comme travail principal, s'ils n'en avaient pas eu d'autres. Dans les mines, les Indiens tombaient malades (...), ils ne les soignaient pas mais leur donnaient un peu de cassave* et d'igname, et les renvoyaient chez eux pour qu'ils guérissent : ces malheureux marchaient aussi longtemps qu'ils le pouvaient et quand leur mal empirait ou qu'ils n'avaient plus rien à manger ils se jetaient dans un bois ou dans une rivière où ils mouraient : je les ai vus et je dis la vérité
Bartolomé de Las Casas, Histoire des Indes, 1559

* cassave : galette de farine à base de manioc
Le chargement d'une flotte en provenance d'Amérique

Séville, le 1er novembre 1572
Compte et enregistrement de l'or, de l'argent, des réaux (monnaie espagnole), de la teinture et des cuirs que transporte la flotte qui arrive sous le commandement de don Cristobal de Eraso, exprimé en ducats :
- pour Sa Majesté : 653 240 ducats (monnaie espagnole)
- pour les particuliers, or et argent : 2 041 757 ducats
- 6200 arrobes (environ 12 kg) de cochenille (colorant rouge naturel) : 225 818 ducats
- 110 000 cuirs de vache : 165 000 ducats
Total : 3 085 816 ducats.
Il faut y ajouter quantité de perles, de sucre et d'autres marchandises. On l'attend, avec l'aide de Dieu, dans six jours. Dieu la protège.
Lettre de M. Ruiz, marchand de Séville
D'après La péninsule ibérique à l'époque des Habsbourg. Textes et documents, Paris, SEDES, 1993
L'or espagnol, une proie facile pour les corsaires
Richard Drake, corsaire au service de la reine d'Angleterre Elizabeth Ière, est le premier anglais à avoir atteint l'océan Pacifique. Il découvre alors la richesse des colonies espagnoles jusque là protégées sur cette côte.
Comme nous naviguions le long de la côte [du Pérou], à la recherche d'eau fraîche, nous sommes arrivés à un endroit nommé Tarapaca où, en débarquant,nous sommes tombé sur un Espagnol endormi, qui avait à côté de lui 13 barres d'argent, qui pesaient environ 4 000 ducats espagnols (...) nous l'avons libéré de son chargement, qui aurait risqué de le réveiller, et nous l'avons laissé continuer à dormir avec plus de sécurité (...).
Plus tard, nous entendîmes parler d'un riche navire, chargé d'or et d'argent, qui était parti en direction de Panama (...). Le lendemain matin même, nous avons mis les voiles (...). Nous avons trouvé le navire (...) plein de fruits, de conserves, de sucre, de viande et d'autres victuailles, et (ce qui était cause de sa navigation lourde et ralentie) une certaine quantité de joyaux et de pierres précieuses, 13 coffres de [pièces d'argent], pour 80 pounds d'or, [de] l'argent non frappé, deux très beaux bols à boire en argent, et d'autres bagatelles de ce genre, le tout pour une valeur de 360 000 pesos (...). Il a poursuivi sa route plus léger vers Panama, et nous avons repris la route un peu plus lourds (...).
Richard Drake, The World Encompassed, voyage de 1577-158, publié en 1628
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Séville : un grand port atlantique
Alonso Morgado est prêtre dans le quartier de Triana de Séville, situé le long du Guadalquivir.
Si nous avions l'intention de traiter de la grande richesse de Séville, nous ne saurions par où commencer car c'est la grande ville la plus riche, la plus florissante, en affaires et en marchandises, de toute l'Europe, et qui communique avec toutes les parties du monde, particulièrement avec les Indes occidentales. De son port, partent pour les Indes des vaisseaux, protégés par des armadas, chargés de tant de marchandises qu'il est impossible d'en estimer la valeur. Beaucoup de religieux et saints hommes partent aussi de Séville pour administrer la justice et prêcher l'Evangile. Des Indes arrivent à Séville des trésors d'argent et d'or de leurs mines, en telle abondance que leurs prix ont baissé.
C'est une chose admirable que l'on ne voit dans aucun autre port, que les charrettes à quatre bœufs qui transportent l'immense richesse d'or et d'argent en barres depuis le Guadalquivir jusqu'à la Casa de Contracion. C'est merveille que de voir les richesses qui s'accumulent dans beaucoup de rues de Séville, habitées par des marchands de Flandre, de Grèce, de Gênes, de France, d'Italie, d'Angleterre et autres régions septentrionales, ainsi que des Indes portugaises. Les richesses d'or, d'argent, de perle, de pierres précieuses, de soies de toutes sortes, de toiles les plus fines sont si grades (...) que la nuit on ferme les portes à clé.
Alonso Morgado, Histoire de Séville, 1587
L'arrivée de la flotte des Indes à Séville
Alonso Sanchez Coello ou Francisco Pacheco, Vue de Séville, XVIème siècle, musée des Amériques, Madrid

Située dans une boucle du Guadalquivir, la ville est dominée par la Giralda, ancien minaret de mosquée devenue cathédrale. Les habitants assistent à l'arrivée de la flotte, saluée par des salves d'artillerie
 
Une plaque tournante du grand commerce
La Casa Lonja de los mercadores ("maison des marchands"), Espagne, Séville
Construite de 1584 à 1598, la Casa Lonja est la bourse de commerce des marchands attirés par les perspectives d'enrichissement offertes par le Nouveau-Monde
 
La hausse des prix en Europe
Il est incroyable et toutefois véritable qu'il est venu du Pérou depuis 1533 où il fut conquis par [Pizarro] plus de 100 millions d'or et deux fois autant d'argent.
En ce temps au Pérou les chausses de draps coûtaient 300 ducats, la cape 1 000 ducats, le bon cheval 4 000 ou 5 000, la bouteille de vin 200 ducats (...).
Or il se trouve que l'Espagnol qui dépend pour de nombreux produits de France , étant contraint par force inévitable de prendre ici le blé, les toiles, les draps, le pastel, [d'autres produits] ainsi que le papier, les livres, voire la menuiserie et tous les ouvrages de main, va nous chercher au bout du monde l'or, l'argent et les épices (...).
Tout est plus cher en Espagne qu'en Italie, et en Italie qu'en France, et même les services et travaux qui nécessitent de la main d’œuvre, car ce qui attire nos [travailleurs] auvergnats et limousins en Espagne, comme j'ai su moi-même, c'est qu'ils gagneraient [là-bas] trois fois plus que ce qu'ils ne gagnent pas en France (...). C'est donc bien l'abondance d'or et d'argent qui cause en partie la cherté des choses.
Jean Bodin, Les Six Livres de la République, extraits du Livre VI, 1576
L'or et l'argent des Amériques dans le port d'Anvers (Pays-Bas espagnols)
L'Espagne nous fournit d'innombrables marchandises, des pierreries et perles que les Espagnols apportent des Indes occidentales et du Pérou […], de grande quantité d'or et d'argent, pur, massif, mis en lingots, que pour la plupart ils tirent de ce Nouveau Monde et heureuse terre nouvellement découverte. […] On nous envoie aussi d'Espagne du safran, des draps de soie, du sel, de l'alun de Mazzeron […] Ils nous fournissent encore du vin et du sucre des Canaries. […] Ceux d'Anvers envoient vers ce pays de l'argent vif, bien que le temps passant, il nous en vient d'Espagne en grande quantité. Nous leur envoyons du cuivre, du bronze, du laiton, de l'étain, du plomb, des draps de plusieurs sortes, principalement des Flandres et quelques-uns d'Angleterre […], du lin, de la cire, de la poix(1), de la garance(2), du soufre et souvent du blé et du seigle, des chairs et poissons salés, jusqu'au beurre et au fromage et toutes espèces de mercerie, métal, de soie pour une somme merveilleuse. […]
En somme, la plus grande partie de l'Espagne prend en ces pays toutes choses qui sont de manufacture ordinaire et qui consistent en l'industrie et le travail des hommes.
Extraits de Lodovico Guicciardini, Description de tous les Pays-Bas, publié de manière posthume en 1610
1. Colle à base de résine ou de goudron de bois
2. Plante cultivée pour sa couleur rouge