Les Lumières et le développement des sciences
aux XVIIème et XVIIIème siècles
THEME 4 :
Dynamiques et ruptures dans les sociétés des XVIIème et XVIIIème siècles

L'étude de la physique

Je me propose dans cet ouvrage que de rassembler sous vos yeux les découvertes éparses dans tant de bons livres latins, italiens et anglais (…). Un des torts de quelques philosophes de ce temps, c'est de vouloir bannir les hypothèses de la physique ; elles y sont aussi nécessaires que les échafauds dans une maison que l'on bâtit ; il est vrai que lorsque le bâtiment est achevé, les échafauds deviennent inutiles, mais on n’aurait pu l'élever sans leur secours. Toute l'astronomie, par exemple, n'est fondée que sur des hypothèses, et si on les avait toujours évitées en physique, il y a apparence qu'on n'aurait pas fait tant de découvertes (…). Souvenez-vous, mon fils, en toutes vos études, que l'expérience est le bâton que la nature a donné à nous autres aveugles pour nous conduire dans nos recherches ; (…) c'est à l'expérience à nous faire connaître les qualités physiques, et c'est à notre raison à en faire usage et à en tirer de nouvelles connaissances et de nouvelles lumières.
Emilie du Châtelet, Institutions de physique, 1740

La marquise du Deffand ont écrit Émilie du Châtelet

Femme de lettres, amie de Voltaire, la marquise du Deffand rédigea un portrait d'Emilie du Châtelet qui fut publié par Grimm en 1777 dans un recueil de lettres.
Née sans talent, sans mémoire, sans imagination, elle s'est faite géomètre pour paraître au-dessus des autres femmes, ne doutant pas que la singularité lui donne la supériorité. Trop d'ardeur pour la représentation (1) lui a cependant un peu nui. Certain fragment donné au public sous son nom et revendiqué par un cuistre (2) a semé quelques soupçons ; on en est venu à dire qu'elle étudiait la géométrie pour parvenir à entendre son livre (…). Belle, magnifique, savante, il ne lui manquait plus que de devenir princesse. Elle l'est devenue non par la grâce de Dieu ni par celle du roi mais par la sienne (…). Quelque célèbre que soit Madame du Châtelet, elle ne serait pas satisfaite, si elle n'était pas célébrée, et c'est encore à quoi elle est parvenue en devenant l'ami déclarée de M de Voltaire ; c'est lui qui donne de l'éclat à sa vie et c'est à lui qu'elle devra l'immortalité.
DansCorrespondance complète de la marquise du Deffand, 1865
(1) Allusion à la vie mondaine d'Emilie du Châtelet qui fréquente les salons et reçoit dans son château de Cirey
(2) Allusion péjorative au mathématicien allemand Samuel König qui a tenté de se faire passer pour l'auteur des Institutions de physique, œuvre d'Emilie du Châtelet
Emilie du Châtelet, muse de Voltaire
Frontispice de l'ouvrage de Voltaire, Eléments de la philosophie de Newton mis à la portée du monde, 1738

En 1738, Voltaire (en bas à gauche) publie ses Eléments de la philosophie de Newton (en haut à gauche) qu"il dédie à Emilie du Châtelet (en haut à droite)
 

Traductrice de Newton

Autant qu'on doit s'étonner qu'une femme ait été capable d'une entreprise qui demandait de si grandes lumières et un travail si obstiné, autant doit-on déplorer sa perte prématurée. Jamais femme ne fut plus savante qu'elle, et jamais personne ne mérita moins qu'on dit d'elle, c'est une femme savante : elle ne parlait jamais de science qu'à ceux avec qui elle croyait pouvoir s'instruire, et jamais n'en parla pour se faire remarquer. Elle a vécu longtemps dans des sociétés où l’on ignorait ce qu'elle était, et elle ne prenait pas garde à cette ignorance. Le mot propre, la précision, la justesse et la force étaient le caractère de son éloquence. Elle savait par cœur les meilleurs vers, et ne pouvait souffrir les médiocres. C'était un avantage qu'elle eut sur Newton, d'unir à la profondeur de la philosophie, le goût le plus vif et le plus délicat pour les belles lettres.
Voltaire, préface des Principes mathématiques de la philosophie naturelle par Isaac Newton, traduit par Émilie du Châtelet, 1759

La place des femmes de sciences dans la société des Lumières

Il est certain que l'amour de l'étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes qu’à celui des femmes. Les hommes ont une infinité de ressources pour être heureux, qui manquent entièrement aux femmes. Ils ont bien d'autres moyens d'arriver à leur gloire, et il est sûr que l'ambition de rendre ses talents utiles à son pays et de servir ses concitoyens, soit par son habileté dans l'art de la guerre, ou par ses talents pour le gouvernement, ou les négociations, est fort au-dessus de celle qu'on peut se proposer pour l'étude ; mais les femmes sont exclues par leur état, de toute espèce de gloire, et quand, par hasard, il s'en trouve quelqu'une qui est née avec une âme assez élevée, il ne lui reste que l'étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état.
Émilie du Châtelet, Discours sur le bonheur, 1746

Éloge funèbre de la marquise dans une revue suisse

La fréquentation des gens d'esprit et de savoir devint sa passion dominante. Messieurs de Maupertuis, de Voltaire et plusieurs autres savants eurent toutes ses inclinations (…). A la compagnie de ces grands hommes, la marquise du Châtelet prit le goût pour les hautes sciences, j'entends celles qui ne sont pas ordinairement à la portée des femmes, telles que sont la géométrie, l'algèbre, l'optique, l'astronomie, la physique et autres sciences de cette espèce, dont les principes, aussi abstraits que difficiles, ne la rebutèrent point. Elle y fit au contraire de si grands progrès, malgré toutes les épines dont elles sont hérissées, que de simples écolières elle devint bientôt maîtresse et fit part de tous ses progrès au public dans plusieurs ouvrages qui parurent peu de temps après. Leur solidité fit dire d'abord et croire à bien des gens qu'elle n'y avait d'autre part que celle d'avoir prêté son nom à quelques savants, qui en étaient les véritables pères et avaient voulu lui en faire honneur ; mais ceux qu'elle composa ensuite et dont personne ne lui a plus contesté la propriété firent connaître aux incrédules et aux médisants, la véritable origine des premiers. C'est par ses ouvrages qui l'ont occupée, nuit et jour, pendant près de 20 ans, qu'elle est parvenue à se faire dans le monde et dans la République des Lettres un nom dont elle doit avoir été contente.

Journal helvétique, Neuchâtel, novembre 1749

Marie-Anne Lavoisier femme de scientifique et épouse de scientifiques

D’une intelligence vive et d'une volonté ferme, Marianne Lavoisier s'était mise immédiatement à l'étude pour pouvoir suivre son mari dans ses travaux. Elle demanda à son frère des leçons de latin et lui écrivait en 1777 [elle avait 19 ans] : « Quand reviens-tu ? Le latin a besoin de toi ici ». Elle apprit l'anglais et le sut assez pour aider son mari en lui traduisant un grand nombre de mémoires de chimie. Outre ses traductions inédites de Priestley, de Gavendish, de Henry, elle fit imprimer une brochure de Richard Kirwan Sur la force des acides, et un ouvrage du même auteur Sur le phlogistique. Arthur Young, qui lui rendit visite au mois d'octobre 1787, écrivit : « Madame Lavoisier, une personne pleine d'animation, de sens et de savoir, nous avait préparé un déjeuner anglais au thé et au café, mais la meilleure partie de son repas, c’était, sans contredit, sa conversation, soit sur l’Essai sur les phlogistiques de Kirwan, qu'elle est en train de traduire, soit sur d'autres sujets qu'une femme de sens travaillant dans le laboratoire de son mari sait si bien rendre intéressant ». Marie-Anne s'initia aussi à la chimie, avec Jean-Baptiste Buquet, qui fut le premier collaborateur de
Lavoisier de 1777 à 1780. Elle dessinait et gravait. C'est elle qui fit les planches du Traité élémentaire de chimie de Lavoisier, publié en 1789.
Jean-Jacques Peumery, « Marie-Anne Pierrette Paulz, épouse et collaboratrice de Lavoisier », in Vesalius, Revue officielle de la Société internationale d’histoire de la médecine, 2000

Marie-Anne Lavoisier et son mari dans leur laboratoire
Jacques-Louis David, Antoine Laurent Lavoisier et Marie-Anne Lavoisier, 1788, Metropolitan Museum of Art, Ne York

L'art de l'accouchement selon Madame du Coudray

La Dame du Coudray, maîtresse sage-femme de Paris, est l'inventrice d'une machine au moyen de laquelle on peut apprendre l'art des accouchements. Cette machine a
été approuvée à l'Académie de chirurgie et elle a mérité à la Dame du Coudray un brevet du Roi pour enseigner l'art des accouchements dans tout le royaume. L'utilité de cette machine est essentielle, on y apprend à prévenir une infinité d'accidents qui arrivent aux mères et à leurs enfants et qui privent l'Etat d'un grand nombre de sujets et augmentent celui des malheureux. Mon intention est de mettre à profit les avantages de cette machine afin de procurer du secours aux femmes de la campagne, presque toujours victimes de l'ignorance des accoucheuses ordinaires ; et à cet effet, je destine une machine à votre ville, elle sera accompagnée d'un livre que la Dame du Coudray a composé au même sujet.
Brouillon d'une lettre de l'intendant d'Auvergne aux délégués de sa généralité, Clermont-Ferrand, 26 janvier 1760, Archives départementales du Puy-de-Dôme

La "machine" de Madame du Coudray
Ce mannequin en toile rembourré représentant la partie inférieure d'un corps féminin permet d'apprendre les manipulations lors d'un accouchement. Il est aujourd'hui conservé au musée Flaubert et d'histoire de la médecine à Rouen