Les sociétés en guerre : des civils acteurs et victimes de la guerre
Thème 4 :
La Première Guerre mondiale : le "suicide de l'Europe" et la fin des Empires européens
Organisation du travail de groupe
1ère étape : S'informer Votre première mission d'équipe consiste à prendre connaissance de votre corpus documentaire et de répondre aux questions qui l'accompagnent
2ème étape : Réaliser une capsule vidéo
Après avoir réalisé l'étape 1, il s'agit maintenant pour vous de construire une capsule vidéo présentant votre sujet en associant un visuel (documents sources, images d'archives, cartes...) et une bande-son (une présentation enregistrée par vos soins en guise de voix off)


Questions :
  1. Comment pourriez-vous définir le consensus patriotique ?
  2. En quoi le censure permet-elle à l'Etat d'entretenir l'élan patriotique ?
  3. Montrez le rôle de la propagande dans l'effort de guerre.
  4. Quelle image donne-t-on de l'ennemi ? de la Patrie ? Pourquoi ?
  5. Par quels moyens le sentiment patriotique est-il entretenu ? Quels publics vise-t-il ?
  6. Le consensus patriotique est-il admis par tous durant tout le conflit ?

L'Union sacrée
Président de la République de 1913 à 1920, Raymond Poincaré fait lire par le président du Conseil un message aux parlementaires le 4 août 1914
Dans la guerre qui s'engage, la France aura pour elle le droit, dont les peuples, non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaitre l'éternelle puissance morale. Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'union sacrée et qui sont aujourd'hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l'agresseur et dans une même foi patriotique.
Haut les cœurs
Et Vive la France
Raymond Poincaré, Au service de la France, tome 4, éditions Plon, Paris, 1919

Un patriotisme de guerre
Le patriotisme s'est accru parce qu'il connait mieux sa raison d'être, on essaye de l'associer à d'autres sentiments, à des actes ; il n'est pas rare que, dans un sujet de rédaction, les élèves y reviennent sous n'importe quelle forme ; elles apportent d'elles-mêmes des gravures, des photographies, des insignes, des souvenirs, des lectures ; les leçons sont doublées d'intérêt si elles comportent une allusion aux faits actuels ; l'enthousiasme qui peut servir la noble cause se maintient sans effort : il propage hors de l'école les pensées réconfortantes ; il stimule le zèle des actions généreuses.
La haine de l'envahisseur se développe autant que le patriotisme ; on ne saurait le regretter, car cette haine ne nuit pas aux sentiments d'humanité ; l'union des peuples vraiment civilisés, pour combattre le retour à la barbarie ou la suppression de la liberté, est comprise par la majorité des enfants en même temps que les buts de guerre qu'on leur a expliqué ; il n'y a pas à craindre que le patriotisme développé sous cette forme dégénère en un chauvinisme après la guerre.
Rapport d'enquête sur la contribution des enseignants à la défense nationale pour l'école des jeunes filles de la rue Monge à Paris, 1918
La correspondance des soldats et la censure
La censure, tu le sais, est impitoyable ici et certains pauvres Poilus ont appris à leurs dépens qu'ils ne devaient pas avoir la langue trop longue, ni même recevoir des lettres (qui sont d'ailleurs supprimées) sur lesquelles les parents ont souvent aussi la langue un peu longue. C'est révoltant mais c'est ainsi. Il semblerait qu'une lettre est une chose sacrée, il n'en est rien. Sois donc prudente, ma chérie, et si tu veux que je reçoive toutes tes lettres, ne me parle pas de la guerre. Contente-toi de me parler de notre grand amour, cela vaut beaucoup plus que tout. Gros bécot
Lettre d'Henri Bouvard à sa femme, 2 décembre 1917

La loi sur la presse (5 juillet 1914)
Art. 1er. Il est interdit de publier (…) des informations et renseignements autres que ceux qui seraient communiqués par le gouvernement et le commandement sur les points suivants : les mouvements de troupes, les pertes militaires, les effectifs, les renseignements stratégiques, et en général, toute information ou article concernant les opérations militaires ou diplomatiques de nature à favoriser l'ennemi et à exercer une influence fâcheuse sur l'esprit de l'armée et des populations.
Art. 2. Toute infraction aux dispositions de l'article précédent sera punie d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 1000 à 5 000 francs.

La censure de la presse
Une de L'Homme enchainé, 4 janvier 1915

Fondé par Georges Clemenceau en 1913, le quotidien L'Homme libre, devenu L'Homme enchaîné, en septembre 1914 est fréquemment censuré et plusieurs fois saisi jusqu'en novembre 1917

 
La propagande dans les journaux français (1914-1915) Les balles allemandes ne sont pas dangereuses : elles traversent les chairs de part en part sans faire aucune déchirure
L'Intransigeant, 17 août 1914
Les Allemands tirent fort mal et fort bas ; quant aux obus, ils n'éclatent pas dans la proportion de 80%.
Le Journal, 19 août 1914
Nos troupes, d'ailleurs, maintenant, se rient de la mitrailleuse (…). On n'y fait plus attention.
Le Petit Parisien, 11 octobre 1914
A part cinq minutes par mois, le danger est très minime, même dans les situations critiques. Je ne sais pas comment je me passerai de cette vie quand la guerre sera finie. Les blessures ou la mort… c'est l'exception.
Le Petit Parisien, 22 mai 1915
Le "bourrage de crâne" vu par un soldat pacifiste
En aout 1914, les premiers prisonniers de guerre allemands arrivent à Narbonne en train
Les esprits en ce moment étaient surexcités au dernier degré par les actes de sauvagerie, vrais ou faux, certainement en cas forts exagérés, que les journaux insuffleurs de haine mettaient au compte des Allemands.
C'était une circonstance atténuante pour cette foule qui se livra à des manifestations scandaleuses pendant tout le temps que le convoi défila. Ce fut une clameur d'imprécations et de malédictions (...) et le train avait disparu que la foule poussait encore des cris à l'adresse des Allemands qui durent avoir une fière idée de la culture française en général et de la courtoisie narbonnaise en particulier.
Mais bientôt cette haine farouche s'atténua quand on eut les preuves qu'on ne massacrait pas tous nos prisonniers et que même, chose inimaginable, ces barbares soignaient ceux qui étaient blessés. On en fut stupéfait : tous les Allemands n'étaient donc pas des malandrins ? des bandits ? les journaux avaient-ils donc menti, ou tout du moins démesurément grossi les choses ?
Les Carnets de guerre de Louis Barthas (tonnelier), 1914-1918, La Découverte Poche, 2003

Une agitation grandissante
Réflexions d'un soldat français en permission
2 juin. En passant à Paris, j'apprends que les grèves ont revêtu un tout autre caractère et se sont un peu généralisées. La couture et la mode ont obtenu satisfaction, mais la grève des munitionnettes, en demandant la paix et le retour des maris, prenait un tout autre aspect (…). Toutes ces femmes, les bras en dehors, faisaient le geste de dire : plus de munitions pour faire tuer les nôtres (...) Les esprits ne sont plus les mêmes depuis ma dernière permission. La fin de la guerre n'est visible pour personne et la dernière offensive n'a apporté aucun signe qui fasse croire que nous sommes dans la bonne voie. Le pain noir (nous sommes-nous assez moqués du pain KK!) et le manque de combustible jouent un certain rôle aussi (…). Beaucoup disent ouvertement qu'ils en ont assez et approuvent les régiments qui ont refusé de marcher (…).
Henri Charbonnier, Une honte pour l'humanité, Journal 'mars 1906-septembre 1917), présenté par R. Cazals, EDHISTO, 2013
Pain KK : surnom donné au pain de rationnement adopté par l'armée allemande. Composé de farine de froment, de seigle, de pommes de terre et parfois de paille hachée, il est peu nutritif

La propagande contre l'ennemi
Couverture de Rire, 1er janvier 1916 d'Abel Faivre : "Maman, achète-moi le Boche… pour le casser"

Affiche américaine de Harry Ryle Hopps, 1917 "Détruisez cette brute enragée. Enrôlez-vous"
"Les civilisateurs de l'Europe", dessin d'Arthur Johnson, Kladderadatsch (journal allemand humoristique et conservateur), Berlin, 23 juillet 1916
Les Allemands jugeaient très sévérement l'emploi de troupes coloniales par la France et l'Angleterre
"La guerre des enfants"
Léon Gimpel, Une batterie mobilisée contre un avion allemand, Paris, 19 septembre 1915, autochrome, Société française de photographie, Paris

 
La guerre dessinée par les enfants A l'initiative de leur instituteur, des écoliers parisiens ont dessiné pendant toute la guerre leur quotidien. Dessin de l'élève Pérès, La nuit des zeppelins, 29 janvier 1916 Le rationnement vu par les enfants, 1917, Société d'histoire et d'archéologie Le vieux Montmartre, Paris
Des enfants conditionnés
J'avais tout de suite fait preuve d'un patriotisme exemplaire en piétinant un poupon de celluloïd "made in Germany" qui d'ailleurs appartenait à ma sœur. On eut beaucoup de peine à m'empêcher de jeter par la fenêtre des porte-couteaux en argent, marqués du même signe infamant. Je plantai des drapeaux alliés dans tous les vases (…). J'écrivis avec des crayons de couleurs "Vive la France". Les adultes récompensèrent ma servilité. "Simone est terriblement chauvine" - disait-on avec une fierté amusée (…). Il n'en faut pas beaucoup pour qu'un enfant se change en singe.
Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, Editions Gallimard, 1958

Diffuser une culture de guerre
Les lycées, collèges et écoles vont s'ouvrir à la jeunesse française partout où le devoir supérieur d'hospitaliser nos glorieux blessés n'aura pas fait obstacle à la reprise des études. Je désire que, le jour de la rentrée, dans chaque classe la première leçon honore la lutte sacrée où nos armes sont engagées. Dans tout le pays, à la même heure, les fils de France, vénéreront le génie de leur nation et salueront l'héroïsme de ceux qui versent leur sang pour la liberté, la justice, et le droit humain. La leçon du maître devra convenir à l'âge de ses auditeurs. Chacune de nos écoles a envoyé sur la ligne de feu des combattants, professeurs ou élèves, et chacune, je le sais, porte déjà la douleur fière de ses deuils. La parole du maître évoquera, d'abord, le noble souvenir de ces morts pour exalter leur exemple, en graver la trace dans la mémoire des enfants. Elle dira les causes de la guerre, l'agression sans excuse qui l'a déchainée, et comment devant l'univers civilisé, la lutte acharnée qui nous conduit à la victoire ajoute chaque jour à la gloire de nos soldats mille traits d'héroïsme où le maître d'école puisera le meilleur.
D'après la circulaire du ministre de l'Instruction publique, Albert Sarraut, 30 septembre 1914
La littérature pour enfants
Joseph Pinchon, Bécassine mobilisée, 1918, Lithographie couleur, Bnf, Paris