Les sociétés en guerre : des civils acteurs et victimes de la guerre
Thème 4 :
La Première Guerre mondiale : le "suicide de l'Europe" et la fin des Empires européens
Organisation du travail de groupe
1ère étape : S'informer Votre première mission d'équipe consiste à prendre connaissance de votre corpus documentaire et de répondre aux questions qui l'accompagnent
2ème étape : Réaliser une capsule vidéo
Après avoir réalisé l'étape 1, il s'agit maintenant pour vous de construire une capsule vidéo présentant votre sujet en associant un visuel (documents sources, images d'archives, cartes...) et une bande-son (une présentation enregistrée par vos soins en guise de voix off)


Questions
  1. Expliquer le
    rôle de l'Etat dans la mobilisation industrielle ?
  2. Quels bouleversements majeurs touchent la production industrielle pendant la 1ère Guerre mondiale ?
  3. Comment les scientifiques sont-ils mobilisés pour l’effort de guerre ?
  4. Quel rôle joue la guerre en matière de recherche scientifique et technologique ? Pourquoi ?
  5. Relevez les causes du déclenchement des grèves et les principales revendications des grévistes.
  6. Qui sont les grévistes et comment se mobilisent-ils ?
  7. Expliquez la dimension politique que prennent certaines grèves et manifestations.

La production des usines Renault
Fondée à la fin du XIXème siècle, la société Renault devient en 1918 la première firme privée française
 
1917, une année de grève
D'après M. Ferro, La Grande Guerre, 1969, Gallimard, coll. Folio, 1990

 
Le dirigisme économique
Hier, pendant la paix, les industriels multipliaient les reproches à l'égard de l'Etat. Aujourd'hui, ils ont discipliné leurs efforts, ils ont répondu à l'appel de la nation, ils ont permis cette organisation d'ensemble que les plus audacieux d'entre nous n'avaient osé rêver. Il s'est formé dans l'industrie comme une organisation supérieure d'Etat qui a su coordonner toutes les initiatives, sans en étouffer aucune (…). Entre les industriels, hier, c'était la concurrence, au moins l'absence d'union, parfois la lutte (…). Tout cela s'est trouvé réglé par la volonté commune pendant le temps de guerre.
Discours d'Albert Thomas, ministre de l'Armement, devant la direction et les ouvriers des usines du Creusot, avril 1916

L'économie de guerre : les travailleurs dans les industries d'armement en France
Effectifs %
Militaires mobilisés en usine 497 00029%
Femmes 430 00025,2%
Ouvriers civils 425 00024,9%
Enfants (moins de 18 ans) 133 0007,8%
Etrangers108 0006,3%
Coloniaux 61 0003,6%
Prisonniers40 0002,3%
Blessés 13 0000,7%
Total1 707 000100%
Source : P. Fridenson, 14-18 : L'autre front, Paris, Editions Ouvrières, 1977

Produire pour la guerre Usine de fabrication de canon Krupp, Essen, Allemagne, 1917 Les munitionnettes : L'usine de Chilwell est une des plus grandes usines d'armement d'Angleterre, dans le Nottinghamshire Ouvrières à l'usine Chilwell, juin 1917, Imperial War Museum, Londres Ouvriers chinois aux côtés d'ouvrières françaises dans une usine d'armement en France, 1917 ou 1918 Les Alliés recrutent 140 000 ouvriers chinois qui viennent travailler à partir de 1917 en France, pour le compte des Français et des Britanniques

Le travail en usine de guerre
En novembre 1917, Marcelle Capy, journaliste et militante socialiste, s'engage incognito dans une usine de munitions.
Tantôt assise, tantôt debout, (…), j'ai charrié des engins, manié le marteau. L'obus shrapnel rempli passe à la balance puis à la "cloche", appareil destiné à prendre la mesure entre la ceinture et les arcs générateurs de l'ogive. L'ouvrière - toujours debout - saisit l'obus, le porte sur l'appareil dont elle soulève la partie supérieure. L'engin en place, elle abaisse cette partie, vérifie les dimensions (c'est le but de l'opération), relève la cloche, prend l'obus et le dépose à gauche. Chaque obus pèse 7 kilos. En temps de production normale, 2500 obus passent en 11 heures entre ses mains. Comme elle doit soulever deux fois chaque engin, elle soupèse en un jour 35 000 kilogrammes.
(…) Ma compagne toute frêle (…) est à la cloche depuis un an. 900 000 obus sont passés entre ses doigts. Elle a donc soulevé un fardeau de 7 millions de kilos. Arrivée fraiche et forte à l'usine, elle a perdu ses belles couleurs et n'est plus qu'une mince fillette épuisée. Ne dites jamais que les ouvrières d'usine sont des privilégiées (…). Dites-vous comme je me dis à cette heure : il faut avoir faim pour faire ce métier (…).
Marcelle Capy, La Voix des femmes, 2 janvier 1918

L'évolution de la condition ouvrière
Exploitant l'Union Sacrée, nos dirigeants, durant ces trois années, n'épargnèrent aucune vexation, aucune atteinte à leur pensée et à leur conviction (…). L'Etat, le 17 janvier dernier, arracha aux travailleurs le droit de grève [allusion au décret du ministre de l'Armement Albert Thomas, fixant un montant minimum pour les salaires mais rendant obligatoires des réunions d'entente entre patrons et ouvriers pour éviter les grèves], la seule arme (…) qui leur fournissait un maigre moyen de pression contre les appétits d'exploitations des employeurs (…). Le patronat (…) encouragé par les gouvernants (…) exploite durement les enfants et les femmes (…), grossissant démesurément ses profits (…), se refusant à admettre les tarifs de salaires insuffisants qu'on nous impose (…). Mais, à l'heure où "notre drapeau rouge' flotte sur le palais des tsars de toutes les Russies [référence à la révolution russe de février 1917] et que vos camarades d'Allemagne se soulèvent (…) vous devez affirmer votre solidarité dans leurs efforts de libération avec les peuples révolutionnaires de Russie et d'Allemagne (…). Qu'elle rejoigne surtout la pensée (…) de nos camarades métallurgistes allemands qui, en ce moment, sont en grève à Berlin et réclament : "Que leur gouvernement se déclare en faveur d'une paix immédiate sur la base de la renonciation à toute annexion franche ou déguisée".
Extraits du Manifeste du syndicat de l'Union des métaux à l'occasion du 1er mai 1917, cité dans Cahiers du mouvement ouvrier, CERMTRI, 2015

Grèves et manifestations à travers l'Europe en 1917 Manifestations des ouvrières russes à Petrograd, photographie, février 1917.

Le mouvement social qui conduit à la révolution commence avec les grèves d'ouvrières et les manifestations de femmes de soldats de Petrograd le 23 février, célébrant depuis 1911 la Journée internationales des femmes
Sur les banderoles : "Nourrissez les enfants des défenseurs de la patrie " ; " Augmentez les rations des familles de soldats, des défenseurs de la liberté et de la paix des peuples"

Les grèves à Paris : Défilé des midinettes (surnommées ainsi car leur repas de "midi" se réduit à une "dinette") place Vendôme à Paris, 18 mai 1917 (photographie de Roger-Viollet)

En mai 1917, les ouvrières parisiennes de la couture, mises au chômage partiel, réclament une indemnité de vie chère et un congé rémunéré le samedi après-midi. En juin, les grèves gagnent les usines de guerre.
Une grève de mineurs en Angleterre, le 1er août 1917 ; Hulton Archive
Une critique politique clandestine
Dessin extrait de La Feuille, 1917

Petit journal anarchiste, La Feuille est édité sous forme de feuillets. Il est diffusé de façon clandestine pour échapper à la censure. Frans Masereel est un graveur, peintre et illustrateur belge, pacifiste et antimilitariste


 
Témoignage d'une "gueule cassée" sur la prise en charge médicale
Albert Jugon (1890-1959) est grièvement blessé par un éclat d'obus le 16 septembre 1914 et doit subir plusieurs opérations de reconstruction du visage de 1916 à 1920. Il est l'un des cinq grands mutilés de guerre invités à assister à la signature du traité de Versailles en juin 1919.
Personnellement, mon état n'a pas changé mais va changer incessamment (…). On va me refaire la partie supérieure, lèvre, nez (peut-être) et enfin boucher toute cette cavité, non point que le dentiste ait fini son traitement qui m'inspire de moins en moins, car je crois que si l'on attendait qu'il ait fini, on serait encore plusieurs mois là, mais comme la partie supérieure n'intéresse pas le maxillaire inférieur, on fait un appareil provisoire pour en haut qui permettra l'opération.
Albert Jugon, lettre à son frère Henri, janvier 1916
Archives privées de la famille Tranier-Jugon (cité par S. Delaporte, Visages de guerre. Les gueules cassées de la guerre de Sécession à nos jours, Paris, 2017)

Les sciences sollicitées par l'effort de guerre
"Dans la Grande Guerre, premier conflit total après la révolution industrielle, l'importance des sciences ne se mesure pas seulement à l'aune des innovations techniques. Les scientifiques ont en effet participé "activement à la guerre, chacun à sa façon, chacun selon ses moyens" comme y invitait le sociologue Emile Durkheim, lui-même trop âgé pour combattre: en élaborant des gaz de combat dans des laboratoires, en théorisant [...] les névroses de guerre, en collaborant avec les états-majors. [...]
Il est manifeste que, de 1914 à 1918, des mutations techniques d'importance sont intervenues avec l'emploi massif des chars, des avions, des sous-marins, des gaz ou des explosifs.[...]
La capacité à orchestrer une production de masse et son organisation scientifique, alors que la taylorisation était marginale en 1914 dans l'industrie européenne, devint partout le critère d'efficacité. Dès 1915, la pénurie d'explosifs montra que la victoire reviendrait au camp qui maîtriserait la production industrielle à très grande échelle;"
Anne Rasmussen, L'Histoire, Les Collections n°61, octobre-décembre 2013.
Les "Petites Curies" pendant la guerre

Marie Curie au volant d’une voiture radiologique en 1917 (Paris, Musée Curie)

Au volant d’une des 18 unités radiologiques mobiles ou « Petites Curies » qu’elle a contribué à organiser, Marie Curie qui a obtenu son permis de conduire en 1916 effectue plus de 40 déplacements sur le front en France et en Belgique.

 
Posted by yannmorel
L'engagement de Marie Curie
Ayant voulu, comme tant d'autres, me mettre au service de la Défense nationale (…), je me suis presque aussitôt orientée du côté de la radiologie., m'efforçant de contribuer à l'organisation des services radiologiques notoirement insuffisants au début de la guerre. Le champ d'activité ainsi ouvert a absorbé la plus grande part de mon temps. J'ai eu la bonne fortune de trouver des moyens d'action.
Chargée de la direction technique de l'oeuvre radiologique du Patronage national des blessés, société de secours fondée sous la présidence de M.E. Lavisse, j'ai pu, avec l'aide libérale de cette oeuvre, créer un service de radiologie auxiliaire du service de santé militaire pour les hôpitaux des armées et des territoires. Ce service a pris une grande extension, en raison même des besoins auxquels il s'agissait de faire face.
Il m'a fallu faire de nombreux voyages aux hôpitaux et aux ambulances, pour vivre leur vie et participer à leur travail. Il m'a fallu aussi m'occuper de la formation de personnel pour les besoins du service (…).
Ainsi a été constituée la radiologie de guerre, dont l'extension n'a cessé d'augmenter jusqu'à la fin de celle-ci. Et si l'activité des services de radiologie s'est, naturellement, ralentie avec la cessation des hostilités, l'impulsion dont est sorti leur développement ne s'est point épuisée ; elle reste acquise comme élément d'action organisatrice, pour étendre à toute la population française les bienfaits d'une technique médicale dont l'usage était resté limité avant la guerre. Les circonstances ont fait qu'à cette évolution, encore inachevée, j'ai pris une part active.
Marie Curie, La Radiologie et la Guerre, 1921
La science accusée
Ce n'est pas tout. La brûlante leçon est plus complète encore (…). Je n'en citerai qu'un exemple : les grandes vertus des peuples allemands ont engendré plus de maux que l'oisiveté jamais n'a créé de vices. Nous avons vu, de nos yeux vu, le travail consciencieux, l'instruction la plus solide, la discipline et l'application les plus sérieuses, adaptées à d'épouvantables desseins (…). Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d'hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps ; mais il a fallu non moins de qualités morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ? (…) Une fois née, une fois éprouvée et récompensée par ses applications matérielles, notre science devenue moyen de puissance, moyen de domination concrète (…) - cesse d'être une "fin en soi" et une activité artistique. Le savoir qui était une valeur de consommation devient une valeur d'échange. L'utilité du savoir fait du savoir une denrée, qui est désirable non plus par quelques amateurs très distingués, mais par tout le monde. Cette denrée, donc, se préparera sous des formes de plus en plus maniables ou comestibles ; elle se distribuera à une clientèle de plus en plus nombreuse ; elle deviendra chose du commerce, chose enfin qui s'imite et se produit un peu partout.
Paul Valery, La crise de l'esprit, 1919, Gallimard, Paris 1957