Comment Angela Ahrendts a révolutionné les Apple Store
Sur le départ, l'entrepreneuse aura bouleversé la stratégie des boutiques Apple en cinq ans seulement. Débauché à prix d'or en 2014 après un passage très remarqué chez la marque de prêt-à-porter haut de gamme Burberry, Angela Ahrendts aura révolutionné les boutiques physiques d'Apple, les implantant durablement au coeur des métropoles du monde entier (…) En une demi-décennie, Angela Ahrendts a maintenu le rythme d'ouverture des Apple Store depuis l'inauguration de la première boutique par Steve Jobs en 2001. Entre 2014 et 2018, le nombre d'Apple Store est passé de 437 à 506.
Mais l'entrepreneuse américaine a surtout misé sur les grandes villes mondiales. Alors que les Etats-Unis concentrent la moitié des Apple Store, plus de deux tiers des boutiques inaugurées pendant sa direction l'ont été dans les quartiers les plus en vue de grandes métropoles d'autres pays, notamment à Bangkok, Bruxelles, Séoul (territoire de son principal rival, Samsung) ou encore Paris,sur les Champs-Elysée.
Durant les deux ou trois dernières décennies, le paysage de la distribution a connu, dans la plupart des pays émergents, d’importantes transformations. On a ainsi assisté à une réelle modernisation du système de distribution (…) Cette modernisation de l’appareil de distribution a été portée, dans les pays émergents, par la classe aisée puis diffusée par la classe moyenne (…)
Les pays émergents connaissent ainsi une implantation massive de nouveaux formats de distribution étrangers qui viennent se greffer à leur paysage commercial, bouleversant au passage les internationaux ont vu en ces nouvelles destinations de véritables opportunités de développement. Il s’agit en effet de marchés où de nombreux besoins restent à satisfaire et où les politiques économiques et fiscales sont encore largement ouvertes (et se traduisent ainsi par une forte attractivité des investissements étrangers).
L’opportunité d’implantation des enseignes de distribution internationales dans les pays émergents tient aussi à la quasi-saturation des marchés domestiques européens ou nord-américains et à leur faible potentiel de développement. À cet état de fait viennent s’ajouter des contraintes légales spécifiques à certains pays développés restreignant les nouvelles ouvertures de magasins, la difficulté d’accès aux autres marchés développés en raison de la présence de concurrents locaux puissants et d’une forte densité commerciale et enfin le potentiel de développement qu’offrent les pays émergents en tant que levier de croissance externe.
Cependant, pour un groupe de distribution, la décision stratégique de s’implanter sur un marché émergent, si elle recèle des opportunités, est aussi empreinte de risques (…). Ainsi, outre la maîtrise de ces risques pays (via la recherche de partenariat avec des opérateurs locaux, la diversification des fournisseurs locaux, la variété des formats de vente à développer...), l’implantation des groupes de distribution internationaux dans une région requiert un pouvoir d’achat local significatif, une forte urbanisation et une perspective de développement suffisamment importante.
Ainsi, que ce soit en Amérique Latine, en Asie, en Europe de l’Est ou en Afrique du nord et Moyen Orient, la stratégie des grands groupes de distribution consiste à privilégier les pays émergents à forte population urbaine, ayant une faible densité du commerce moderne et avec une classe moyenne significativement importante pour implanter leurs concepts de magasins (…). Sur le plan économique et fiscal, ces pays émergents adoptent progressivement des politiques ouvertes encourageant les investissements étrangers (baisse des droits de douane, aide à l’implantation, investissement dans les infrastructures de transport, etc.)
Les géants historiques de la grande distribution alimentaire, en panne de croissance dans leur propre pays, cèdent peu à peu leurs activités aux pays émergents.
« Mieux vaut une petite maison pleine de vivres qu’une grande maison pleine de vent. » Ce proverbe breton, les géants historiques de la grande distribution alimentaire ont été forcés de l’appliquer. Eux qui s’étaient lancés dans une vague d’expansion internationale entre les années 1980 et le tout début des années 2000, incités par la saturation de leurs marchés domestiques. Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) expliquait ce développement géographique, fin 2012, dans une étude, par « l’ouverture et la croissance des marchés mais aussi l’évolution des modes de consommation, en particulier dans les pays émergents où la grande distribution était encore peu présente il y a dix ans ». A cette époque, l’institut notait que « les enseignes françaises sont particulièrement bien positionnées sur ces marchés émergents. Elles représentent 66 % des ventes de la grande distribution au Brésil, 46 % en Chine et 22 % en Russie ».Avec, pour les groupes, le double objectif « de rechercher à l’étranger la croissance extensive que la saturation du marché français ne permettait plus et de créer des synergies et des complémentarités au sein d’un même groupe », écrivait le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans un rapport sur « les circuits de distribution des produits alimentaires », en mai 2016.
Terminée la conquête du monde, l’heure est aujourd’hui au repli sur soi. Premier distributeur britannique, Tesco a annoncé, en décembre 2019, réfléchir à la vente de ses activités en Thaïlande et en Malaisie, après s’être retiré de Corée du Sud en 2015 et de Turquie en 2016. Le français Carrefour a, de son côté, cédé récemment la majeure partie de sa filiale en Chine. Après avoir quitté les Pays-Bas en 2009, la Thaïlande, Taïwan et le Vietnam en 2016, Casino vient de vendre ses activités dans l’océan Indien (La Réunion, Mayotte, l’île Maurice et Madagascar), dans le cadre de son processus de désendettement.
Et les vrais sujets convergent tous sur l’urgence de redresser la barre sur leur marché domestique. Le Royaume-Uni pour Tesco, attaqué par les discounteurs allemands et l’e-commerce, et le marché français pour les Casino, Carrefour et consorts. Mais pour cela, il faut redéployer d’importants moyens financiers. Car à la différence des décennies passées, en France, la consommation ne s’est jamais relevée indemne des années de crise. L’activité continue de décroître dans les grandes surfaces alimentaires, relevait l’Insee pour l’année 2018, rappelant que ces dernières représentent toujours près des trois quarts des ventes des magasins alimentaires. Autrefois reines en leur royaume, les grandes surfaces historiques sont attaquées de tous côtés. Les nouveaux rois des prix bas – les anciens hard-discounteurs Lidl et Aldi ou les géants du discount comme Action – venus chasser sur leurs terres leur font une concurrence exacerbée, contre laquelle elles n’ont d’autre choix que d’accroître leurs investissements promotionnels.
(…) Mais une autre évolution, technologique cette fois, oblige les grands noms de la distribution alimentaire à engager d’importants moyens financiers. Mieux connaître ses clients en emmagasinant ses données comportementales, lui permettre d’encaisser lui-même ses achats, développer la vente à distance sous forme de drive… et tenter de contrer les velléités des géants du numérique, comme Amazon. Mais la remise à niveau et les développements du « magasin de demain » nécessitent des investissements pharaoniques et des sommes qui auraient été, en temps normal par le passé, consacrées à redresser des activités dans les pays en crise comme l’Italie, l’Espagne ou la Russie.
Extrait d’un article de Cécile Pridhomme, paru dans Le Monde, 07 janvier 2020