Tensions, mutations et crispations de la société
THEME 4 :
Dynamiques et ruptures dans les sociétés des XVIIème et XVIIIème siècles
L'organisation de la société d'ordres
 
Les cadres de vie du paysan et la fiscalité
 
La misère dans les campagnes françaises
Sébastien Bourdon, Les mendiants, 1640, Paris, Musée du Louvre

Dans cette oeuvre contemporaine des événements, l'artiste met en scène la misère grandissante dans les campagnes : un groupe de mendiants fait l'aumone auprès des carosses de passage.
 
La chanson des Va Nus-Pied

En 1639, plusieurs chansons, comme celle-ci, circulent en Normandie

A la Normandie.

Mon cher pays, tu n'en peux plus ;

Que t’a servi d'être fidèle ?

Pour tant de services rendus,

On te veut bailler la gabelle.

Est-ce le loyer attendu

Pour avoir si bien défendu

La Couronne des Rois de France ?

(…)

Jean Nu-pieds (1) est votre suppôt,

Il vengera votre querelle,

Vous affranchissant des impôts,

Il fera lever la gabelle,

Et nous ôtera tous ces gens

Qui s'enrichissent aux dépens

De vos biens et de la patrie.

C'est lui que Dieu a envoyé

Pour mettre en Normandie

Une parfaite liberté.

Relation de la révolte de Basse-Normandie, date inconnue

(1) Surnom d'un chef de la révolte dont la vraie identité est inconnue

Des paysans prennent en embuscades des soldats
Jacques Callot, "La revanche des paysasns" (détail) dans Les Misères et les Malheurs de la guerre, planche 17, 1633

Durant les révoltes, outre la répression et les exactions des soldats, la population doit supporter le logement des troupes ce qui pousse parfois les paysans à leur tendre des embuscades
Des outils agricoles à la fin du XVIIème siècle
Planche extraite de l’Encyclopédie, ouvrage dirigé par Diderot et d’Alembert, 1762.)

Cette gravure montre les améliorations de l’époque dans le domaine de l’outillage. Celles-ci restent limitées et seuls les paysans riches, les laboureurs, avaient les moyens d’acquérir ces instruments
 

L'introduction de nouvelles variétés

Il y a 2 ans, je ne connaissais les pommes de terre que de noms. M. de Fortmanoir, m'ayant fait l'honneur de venir chez nous pour voir une charrue à 5 coutres (1) que j'ai faite faire pour servir à mes défrichements de sainfoin et de luzerne, m'invita à l'aller voir à Fortmanoir : j'ai eu l'honneur d'aller dîner chez lui au mois de mars 1766. Madame me parla des pommes de terre et de l'usage qu'elle en fait tant pour la nourriture de son domestique comme légumes que pour celle des bestiaux de sa ferme. Je la priai, si cela ne la gênait pas, de me faire le plaisir de me donner un peu de pommes de terre pour planter. Elle m'en fit présent d'environ un demi-setier (2), dont une part fut mangée comme légumes.
Lettre d'un propriétaire de Picardie à l'intendant d’Amiens, 1768
(1) Pièce en métal d’une charrue qui découpe la terre
(2) Mesure de capacité de grain ou de liquide, ici 75 litres environ

Les débuts de la révolte des Nu-pieds

Quinze ans après les faits, un magistrat de Rouen, en Normandie, raconte les origines de la révolte pour en conserver le souvenir.
En juillet 1639, le sieur de la Bernardière Poupinel (…) étant allé à Avranches, on crut qu'il venait pour établir la gabelle et abolir l'usage du sel blanc (1), parce qu'il était le beau-frère de Nicole, engagé en ce parti (2). Ce faux bruit passa pour une vérité certaine en l'esprit de ceux qui travaillaient à faire le sel blanc, quoiqu'en effet le sieur de la Bernardière allât pour exécuter une commission dépendant de sa charge (3), (…) et n'était [pas] mêlé aux partis de son beau-frère. Ce néanmoins, les paysans travaillant au sel blanc, capables de tout entreprendre par leur extrême misère (…) l'attaquèrent en son hôtellerie et le tuèrent (…). Ce premier exemple fit soulever plusieurs paysans sous un chef qui se faisait nommer Jean Nupieds et ceux de son parti, les Nu -Pieds. Ils disaient vouloir empêcher la levée de tous [les] impôts établis depuis la mort du roi Henri IV. Ils [faisaient] (…) une exacte recherche de ceux qu'ils croyaient faire des levées [impôts] extraordinaires et ne faisaient nul mal aux autres, ce qui faisait que le peuple (…) leur fournissait secrètement des vivres.
Alexandre Bigot de Monville, Mémoires, rédigées vers 1665
(1) Sel non imposé
(2) Collecte de la gabelle
(3) Une enquête criminelle

Le déroulement de la révolte des Va Nus-Pieds
Les révoltés commettent plusieurs assassinats, mais ils procèdent surtout à des pillages et des destructions de maisons appartenant à des receveurs d'impôts.

L’amélioration de la condition paysanne dans la Sarthe

François-Yves Besnard décrit le village de Nouans (Sarthe) à son arrivée en 1780, avec émerveillement.
Je vis avec plaisir que toutes les terres arabes étaient cultivées à la charrue – qu’en conséquence les petits fermiers (…) se réunissaient au nombre de 2 pour former un attelage de 2 chevaux (…).
La nourriture des habitants, même les moins aisés, était substantielle et abondante. La soupe au dîner et au souper était suivie d'un plat de viande ou d'œufs ou de légumes (…). Les plats étaient servis entiers sur une table couverte d'une nappe où, chacun, muni d'assiettes, de cuiller et de fourchette,
prenait suivant son idée.
Les vêtements d'hommes et de femmes - quoique composés de tissus de laine ou de coton filés et fabriqués sur les lieux - étaient propres et cossus ; et ce qui me surprit beaucoup les premiers jours de mon arrivée, c'est que ceux des richards et des fermiers ne se distinguaient pas de ceux des simples journaliers (1) et même des pauvres (…)
François-Yves Besnard, Souvenirs d'un nonagénaire, 1880
(1) Ouvriers agricoles payés à la journée

La répression de la révolte des Va Nu-pieds

Le colonel Gassion fut commandé de prendre les meilleures troupes de l'armée de Picardie, et s'avancer pour dissiper ces factions, châtier leurs auteurs et remettre au devoir les villes qui formenteraient la rébellion (…). [A Avranches] quatre de leurs principaux chefs se trouvèrent au nombre des morts, lesquels étaient de 300 et plus, celui des prisonniers un peu moindre, les autres cherchèrent à se sauver par la fuite ; mais étant tombés entre les mains du sieur de Tourville qui était de l'autre côté d'Avranches avec 60 chevaux, il les chargea si vivement qu'après en avoir tué plus de la moitié, il contraignit le reste à se jeter dans l'eau où plusieurs furent noyés (…).Sitôt que le combat donné aux portes d’Avranches fut terminé par la mort ou la prise des principaux auteurs de la sédition, le colonel Gassion désarma les habitants d'Avranches et fit marcher ses troupes vers Rouen comme à la seule ville qu'il fallait avoir pour pouvoir remettre en devoir toutes les autres de la province.

Le Mercure français, tome XXIII, 1639


La repression militaire

Jacques Callot, Les grandes misères de la guerre, planche 11 "La pendaison", gravure, 1633, Paris, Bnf

Jacques Callot illustre une pendaison collective de paysans révoltés par des soldats, pendant la Guerre de Trente ans. Des scènes similaires se déroulent en décembre 1639 en Normandie.

Le tableau économique du Quesnay en 1758

La nation est réduite à 3 classes de citoyens : la classe productive, la classe des propriétaires et la classe stérile. La classe productive est celle qui fait renaître par la culture du territoire les richesses annuelles de la nation (…). La classe propriétaire comprend le souverain, les possesseurs des terres et les décimateurs (1). Cette classe subsiste par le revenu produit net de la culture, qui est payé annuellement par la classe productive après que celle-ci a prélevé, sur la reproduction qu'elle fait renaître annuellement, les richesses nécessaires pour se rembourser de ses avances annuelles et pour entretenir ses richesses d'exploitation. La classe stérile est formée de tous les citoyens occupés à d'autres services et d'autres travaux que ceux de l'agriculture, et dont les dépenses sont payées par la classe productive et par la classe des propriétaires qui eux-mêmes tirent leurs revenus de la classe productive.
François Quesnay, Analyse de la formule arithmétique du tableau économique de la distribution des dépenses annuelles d'une nation agricole, 1766
(1) Ceux qui prélèvent l'impôt de la dime (10% des récoltes agricoles) au profit de l'Eglise

La terre est l'unique source de des richesses

Que le souverain et la nation ne perdent jamais de vue que la terre est l'unique source des richesses et que c'est l'agriculture qui les multiplie. Car l'augmentation des richesses assure celle de la population ; les hommes et les riches font prospérer l'agriculture, étendent le commerce, animent l’industrie, accroissent et perpétuent les richesses. De cette source abondante dépend le succès de toutes les parties de l'administration du royaume (…).
Qu’une nation qui a un grand territoire à cultiver et la facilité d'exercer un grand commerce des denrées du cru (1), n’étende pas trop l'emploi de l'argent et des hommes aux manufactures et au commerce de luxe, au préjudice des travaux et des dépenses de l'agriculture, car préférablement à tout, le royaume doit être bien peuplé de riches cultivateurs (…).
Que les terres employées à la culture des grains soient réunies autant qu'il est possible en grandes fermes exploitées par de riches laboureurs ; car il y a moins de dépenses pour l'entretien et la réparation des bâtiments, et à proportion beaucoup moins de frais et beaucoup plus de produits nets dans les grandes entreprises d’agriculture que dans les petites (…).
Qu’on assure l'entière liberté de commerce ; car la police du commerce intérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l'Etat consiste dans la pleine liberté de la concurrence.
François Quesnay, Maximes générales du gouvernement économique d'un royaume agricole, 1767
(1) Production locale