Moyen-Orient
H6 :
UNE REMISE EN CAUSE DE LA BIPOLARISATION DU MONDE
Le Moyen-Orient, un enjeu pour les Etats-Unis
Le président Roosevelt en compagnie d'Abdelaziz Al Saoud et de William Leahy, amiral de la flotte américaine, sur le Quincy, 14 février 1945

L'Arabie saoudite représente un enjeu stratégique pour les Etats-Unis depuis qu'y ont été découverts dans les années 30 les plus gros gisements de pétrole au monde, dont l'exploitation a été concédé à des sociétés américaines
 
Le Proche et le Moyen-Orient pendant la Guerre froide
 

En Iran, la chute de Mossadegh (1953)

Le lendemain du jour où [Mohammad Mossadegh] avait pris le poste de Premier ministre – le 30 avril 1951 –, il faisait adopter par le Parlement [...] la loi sur la nationalisation du pétrole. [Il est vrai qu'en] 1950 la part des bénéfices pétroliers qui revenait à l'Iran s'élevait à 16 millions de livres – ce qui représentait la moitié du budget national – alors que la part de l'Anglo-Iranian était cinq fois plus forte. [...] L'Iran semblait tout prêt à basculer dans le bloc soviétique […]. Le 1er mai |1953], une énorme manifestation de masse se tenait devant le Parlement iranien. Amplifiées par les hautsparleurs installés partout, des voix lançaient à la foule des slogans comme « Vive le peuple de Corée et celui de la Chine ! Saluons les peuples héroïques de l'URSS qui tiennent le gouvernail du monde démocratique ! Mort aux États‑Unis ! Mort à la Grande-Bretagne ! »
Et c'est là que le plan « Opération Ajax » […] fut mis à exécution. [...] À ma connaissance, « Ajax » [fut] une campagne d'information. Elle a coûté à la CIA […] près de 60 000 dollars. [...] Les forces favorables au Chah trouvèrent une imprimerie qui […] était prête à éditer des dizaines de milliers de tracts et d'affiches [qui] montraient au peuple que c'était Mossadegh qui avait commis un acte de trahison envers la Couronne.
[...] Le peuple iranien se retourna violemment contre lui et il se trouva en grand danger de laisser sa vie aux mains des hordes qui menaçaient de le lyncher. Mon frère demanda à l'un de ses amis fidèles d'abriter Mossadegh le temps que l'ordre fût revenu et que l'ancien Premier ministre pût comparaître devant un tribunal. […] Finalement, Mossadegh fut jugé coupable et condamné à trois années d'emprisonnement.
Princesse Ashraf Pahlavi Visages dans un miroir : la sœur du Chah témoigne, 1980.
Un télégramme diplomatique français sur le rôle de l'Urss
Le 14 décembre 1957, Maurice Dejean, ambassadeur à Moscou, adresse à Christian Pineau, ministre français des Affaires étrangères, un télégramme précisant les modalités de la présence soviétique au Proche- et Moyen-Orient.
M. Dejean, ambassadeur de France à Moscou
À M. Pineau, ministre des Affaires étrangères
Moscou, 14 décembre 1957
L’URSS a fait irruption dans une région longtemps considérée par l’Occident comme une chasse gardée. Elle s’est assurée de solides positions en Égypte et s’est installée plus largement encore en Syrie, merveilleuse base d’action et d’agitation au cœur des pays arabes. […] Désormais la route du pétrole, indispensable à l’Europe occidentale, peut être coupée à chaque instant par des pays plus ou moins associés ou inféodés à l’URSS. Des positions que l’Occident conserve encore à Beyrouth, à Bagdad et en Arabie Saoudite, certaines sont fragiles.
Par sa propagande, par ses méthodes subversives aussi bien que par son action diplomatique, l’URSS cherche à élargir ses avantages.
Dans cette lutte pour le contrôle du monde arabe – qui est en même temps une lutte pour le contrôle de l’Afrique et de l’Asie –, elle dispose d’atouts très puissants. Elle exploite sans scrupule le fanatisme sous toutes ses formes : ressentiment contre les anciens maîtres, nationalisme exacerbé, ambitions démesurées d’individus cherchant à réaliser à leur profit l’unité du monde arabe. […] Elle multiplie les promesses et les exemples d’assistance technique, économique, financière « absolument désintéressées » et [elle] dispose par rapport aux Occidentaux d’un avantage considérable, à savoir sa désinvolture à l’égard d’Israël contre lequel peut se refaire à chaque instant et dans n’importe quelles circonstances l’unanimité des pays arabes et qui est présenté à la fois comme l’ennemi juré des Arabes et le support des impérialismes.
Documents diplomatiques français, 1957, tome II, Imprimerie nationale, 1991
Les Etats-Unis au Moyen-Orient de 1945 à 1973
 
Nasser annonce la nationalisation du canal de Suez
Depuis son inauguration en 1869, le canal de Suez est exploité par une société franco-britannique.
«La pauvreté n’est pas une honte, mais c’est l’exploitation des peuples qui l’est. Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres et ce canal est la propriété de l’Égypte. La Compagnie est une société anonyme égyptienne, et le canal a été creusé par 120000 Égyptiens qui ont trouvé la mort durant l’exécution des travaux. La société du Canal de Suez, dont le siège est à Paris, est une société de spoliateurs […]. Nous construirons le Haut-barrage 1 […]. Les 35 millions de livres que la compagnie encaisse 2, nous les prendrons, nous, pour l’intérêt de l’Égypte. Nous construirons une Égypte forte et c’est pourquoi je décide aujourd’hui la nationalisation de la Compagnie du Canal […]. Nous réalisons ainsi une partie de nos aspirations et nous commençons la construction d’un pays sain et fort.»
Discours de Gamal Abdel Nasser, président de la République d’Égypte, prononcé à Alexandrie le 26 juillet 1956.
1. Barrage sur le Nil prévu à Assouan.
2. Taxes de passage annuelles par le canal.
Carte de la crise de Suez (1956)
 
La position des Etats-Unis dans la crise de Suez
Les Etats-Unis, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont travaillé sans cesse pour apporter paix et stabilité à cette région. Nous avons considéré que la base de notre politique consistait à soutenir le nouvel Etat d'Israël et - dans le même temps - de renforcer nos liens à la fois avec Israël et les pays arabes. Mais, malheureusement, durant ces années, les passions dans cette région ont menacé de l'emporter sur les perspectives de paix, et les combats ont été presque incessants sous une forme ou sous une autre.
La situation a été récemment aggravée par les décisions de l'Egypte, notamment son réarmement avec des armes communistes. Nous avons considéré cela comme une erreur du gouvernement égyptien. L'Etat d'Israël a dès lors ressenti une anxiété plus forte pour sa propre sécurité (...).
Ces affaires ont débouché sur une crise le 26 juillet dernier, quand le gouvernement égyptien s'est emparé de la Compagnie universelle du canal de Suez (...).
Les relations directes entre l'Egypte d'un côté, Israël et la France de l'autre se sont dégradées au point où Israël, puis la France et la Grande-Bretagne ont considéré que leurs intérêts vitaux ne pouvaient être défendus sans recours à la force (...).
Les Etats-Unis n'ont été aucune consultés sur ces actions militaires (...). Nous considérons que ces actions résultent d'une erreur. Car nous n'acceptons pas l'usage de la force comme instrument sage ou justifié de règlement des litiges.
Discours du Président américain Eisenhower, 31 octobre 1956
L'échec des anciennes puissances coloniales lors de la crise de Suez
"De retour d'Egypte. L'intervention militaire anglo-française en Egypte s'est soldée par un fiasco total. En conséquence, le prestige et la position politique de la France et du Royaume-Uni ont été affaiblis", carte postale soviétique de Koukrynksy, 1958

Sous la pression de l'Urss et des Etats-Unis, les combats cessent le 6 novembre et les troupes franco-britanniques évacuent la zone du canal, tandis que les troupes israéliennes se retirent en mars 1957 du Sinaï, où sont déployés des Casques bleus.
 
La doctrine Eisenhower
A l'issue de la crise de Suez, qui a vu les Etats-Unis et l'Urss s'opposer à l'action de la France et du Royaume-Uni, le président américain Eisenhower obtient du Sénat l'autorisation de mener une politique plus active au Proche-Orient.
" Si cette région devait tomber sous l'emprise du communisme international, ce serait un désastre politique et économique pour les peuples du Proche-Orient mais aussi nombre d'autres pays libres (...). Les Etats-Unis doivent tout mettre en oeuvre pour aider les nations du Proche-Orient à maintenir leur indépendance (...).
Le problème du canal de Suez est venu aggraver des difficultés déjà considérables (...). La nouvelle doctrine du Président a pour but de [l']autoriser à aider les Etats de la région dans le développement économique (...), à mettre en place des programmes d'assistance militaire (...), à employer la force armée des Etats-Unis pour assurer et défendre l'intégrité territoriale des pays qui demanderaient une telle aide contre une agression ouverte d'une nation dominée par le communisme international."
Foster Dulles, secrétaire d'Etat américain, Déclaration écrite au Sénat des Etats-Unis, le 7 janvier 1957