Michel-Ange vu par Giorgio Vasari
Le peintre et architecte Giorgio Vasari 1511-1574 set le premier à rédiger des biographies d'artistes en 1550. Contemporain de Michel-Ange, il assiste à la transformation du statut de l'artisan celui d'artiste.
Le Maître des cieux se décida à envoyer sur la Terre un génie qui fut universel dans tous les arts et dans tous les métiers et qui montrât par lui seul quelle chose est la perfection de l'art du dessin, tant pour esquisser, faire les contours, les ombres et les lumières, donner du relief aux choses de la peinture, introduire un jugement droit dans les procédés de la sculpture, enfin, en architecture rendre les habitations commodes et sûres, agréables, bien proportionnées et riches dans les ornements variés. Il tint à,lui donner pour patrie Florence, comme la plus digne des cités (…). Son mérite a été reconnu pendant sa vie, et non après sa mort, comme il arrive à bien d'autres ; puisque Jules II, Léon X, Clément VII, Paul III, Jules III, Paul IV et Pie V, souverains pontifes [papes], ont toujours voulu l'avoir auprès d'eux ; comme on sait Soliman, empereur des Turcs ; François de Valois, roi de France ; Charles Quint, empereur, et la Seigneurie de Venise et finalement le duc Cosme de Médicis l’ont recherché et lui ont fait des offres avantageuses, rien que pour se prévaloir de son grand talent, ce qui n'arrive qu’aux hommes de haute valeur comme lui.
Giorgio Vasari, Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, 1550. Réédition 1568, trad. I. Leclanché et C. Weiss, « Les cahiers rouges », Grasset, 2 007
Une commande stimulée par la jalousie des artistes
Giorgio Vasari, Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, 1550
1. Architecte (1444-1514) au service de Milan puis du pape à partir de 1504Un sonnet de Michel-Ange
Dans ce sonnet, Michel-Ange évoque la peinture du plafond vers 1510
A travailler tordu, j'ai attrapé un goitre
Comme l'eau en provoque aux chats de Lombardie
( à moins que ce ne soit de quelques autres pays)
Et j'ai le ventre, à force, collé au menton
La barbe pointe vers le ciel, je sens ma nuque
Sur mon dos, j’ai une poitrine de harpie
Et la peinture qui dégouline sans cesse
Sur mon visage en fait un riche pavement
Mes lombes (1) sont allées se fourrer dans ma panse
Faisant par contrepoids de mon cul une croupe
Chevaline et je déambule à l'aveuglette (…)
Extrait d'un sonnet de Michel-Ange, cité dans Poèmes, éditions NRF poésie, Gallimard
(1) Lombaires
Une critique du Jugement dernier au nom de la bienséance
Lors de ma dernière vision générale de votre Jugement, j'ai retrouvé l’illustre grâce de Raphaël dans la beauté de l'invention. Cependant, comme baptisé, j'ai honte de la licence, si illicite à l'esprit, que vous avez prise dans l'expression des aspirations de notre vraie foi (…). Vous, traitant d'un sujet si élevé, vous montrez les anges et les saints, ceux-ci dépourvus de toute honnêteté terrestre et ceux-là privés de tout ornement céleste. Voyez les païens : sans parler de Diane, qu’ils sculptent habillée, lorsqu'ils modèlent Vénus nue ils lui font couvrir de sa main les parties à ne pas découvrir ; alors que vous, qui pourtant être chrétien, attachant plus de prix à votre art qu’à votre foi, vous tenez pour conforme à la vérité du spectacle (…) le geste du damné saisi par les organes génitaux, chose qui, pour ne pas la voir, ferait fermer les yeux au bordel lui-même. Votre travail aurait eu sa place parmi les délices d'un établissement de bains, non dans un cadre sublime. Aussi serait-ce un moindre vice que vous n'ayez pas la foi, plutôt que d'entamer la foi d'autrui en exprimant la vôtre de la sorte.
Pietro Aretino dit l’Arétin, Lettre de Venise, novembre 1545, trad. A.C. Fiorato