L'importance des villes petites et moyennes en France
Outre les métropoles, il existe une multiplicité de villes petites et moyennes qui forment l'essentiel de l'armature urbaine du territoire national.
Les villes moyennes polarisent un espace régional plus restreint que les métropoles, mais elles ont un rôle essentiel dans la vie quotidienne des habitants car elles concentrent les services administratifs, sanitaires et commerciaux essentiels aux populations. Elles possèdent en effet les services intermédiaires auxquels la population d'un bassin de vie a recours de manière régulière quoique non quotidienne, comme les administrations, les hôpitaux, les universités…
Elles jouent un rôle d'intermédiaire entre les métropoles et le reste du territoire. Toutefois, ces villes moyennes sont de plus en plus menacées dans leurs fonctions par le retrait de certains services de l'État et par le choix de la concentration de certains services dans des pôles plus grands (…).
Le réseau des petites villes est quant à lui très diversifié. Ces villes, relais locaux, ont des fonctions de proximité essentielles, notamment en ce qui concerne les commerces et les services du quotidien. Elles peuvent par ailleurs avoir des fonctions spécialisées qui dépendent de la nature de leur interaction avec le reste du réseau urbain.
Éloïse Libourel, géographe au laboratoire et mobilité et transport, Géographie de la France, 2017
Les villes moyennes sont volontiers analysées à travers le prisme de leurs dynamiques démographiques. Deux discours se font concurrence : l’un privilégiant la thèse du déclin des villes moyennes, perdant prétendument leurs habitants au profit des métropoles ; l’autre soulignant au contraire le rebond qu’elles sont appelées à connaître, notamment depuis la crise liée au coronavirus, compte tenu de la qualité de vie et des relations sociales plus profondes et apaisées qu’elles sont censées offrir. Ces deux discours ne sont ni vrais, ni faux : ils recouvrent des réalités territoriales très diverses et des réponses qui le sont tout autant.
Revenir aux chiffres : des dynamiques démographiques très diverses
Alors que le discours sur les villes moyennes est de plus en plus polarisé, il est nécessaire de revenir aux chiffres. Quelles sont les dynamiques démographiques des villes moyennes ces dernières années ? Peut-on dessiner un profil type de la ville qui décline et de celle qui croît ?
Une trajectoire démographique des villes moyennes globalement positive
En France, après une période de croissance concernant l’ensemble des strates dans les années 1960, des évolutions plus contrastées s’affirment dès les années 1970. Certaines villes petites et moyennes entament une phase de déclin qui ne va plus s’inverser. Il s’agit des villes liées à une mono-industrie en perte de vitesse, comme dans le Nord et le Pas-de-Calais (Valenciennes, Lens) ou en Lorraine (Epinal, Forbach) et dans les franges du Massif Central (Roanne). À partir des années 1980, le phénomène de déclin s’élargit à d’autres villes industrielles petites et moyennes (celles de la décentralisation industrielle dans le bassin parisien) et commence à faire apparaître une large diagonale du vide, s’étendant du nord et de l’est vers le centre ouest. Des territoires dynamiques constitués de villes petites et moyennes se dessinent autour des plus grandes villes, qui elles-mêmes maintiennent une croissance soutenue sur toute la période (Arcachon, Villefranche-sur-Saône). Les villes littorales profitent également de cette dynamique positive, principalement sur le pourtour méditerranéen (Fréjus Saint-Raphaël, Narbonne, Vannes), tout comme celles qui sont tirées par une activité économique performante ou diversifiée (Orléans, Niort, Besançon) ou par des fonctions de centralité importantes pour la région (Chambéry comme carrefour au cœur du sillon alpin, pôle industriel (énergie solaire, ingénierie de la montagne), et centre universitaire et de recherche notamment).
Les liens au cœur des trajectoires démographiques
La comparaison des dynamiques démographiques selon les strates de villes et sur le temps long balaie toute tentation de céder au déterminisme géographique. Il n’existe pas de destin commun à toutes les villes moyennes : non seulement leurs trajectoires diffèrent entre pays et au sein d’un même pays, mais la trajectoire d’une même ville peut également s’infléchir dans le temps et s’inverser. Trois autres facteurs jouent un rôle déterminant, à commencer par la distance au niveau métropolitain de la hiérarchie urbaine : les cartes révèlent ainsi une tendance forte selon laquelle plus une ville petite et moyenne est proche d’une grande ville, moins elle est touchée par le phénomène de déclin. Cet effet peut être expliqué par le fait que la ville bénéficie alors des effets de débordement de l’expansion métropolitaine, notamment en termes d’économie résidentielle, avec l’attraction de nouveaux ménages et de leurs revenus, et de diffusion des innovations (…). L’exemple de Rouen, marquée par un déclin continu jusqu’à aujourd’hui, montre toutefois que la proximité à une métropole (en l’occurrence, Paris) ne conduit pas systématiquement à un effet de redistribution de la richesse et qu’elle peut même jouer un rôle défavorable dans la trajectoire de la ville.
Il apparaît ainsi que le profil économique de la ville et plus globalement celui de la région dans laquelle elle s’inscrit jouent un rôle déterminant dans la trajectoire des villes. Les villes les plus pénalisées sont celles dont le tissu économique était dominé par une activité, le plus souvent industrielle, en perte de vitesse (mines, sidérurgie, textile, automobile mais aussi activité thermale) ou subissant des relocalisations importantes ou une automatisation permettant de réduire la main-d’œuvre (…)
Un troisième facteur expliquant les trajectoires des villes moyennes est à chercher dans la dynamique de déconcentration qui se fait au profit des périphéries immédiates des villes et au détriment de la ville centre. Les cartes peuvent induire une vision quelque peu biaisée : la maille retenue étant celle de la commune, elles peuvent facilement donner l’impression que certaines villes petites et moyennes sont en déclin, alors même qu’envisagées à l’échelle de l’aire urbaine moyenne, des dynamiques de croissance pourraient apparaître. Ainsi la ville de Chaumont a vu sa population décroître de 15% depuis les années 1970 tandis que certaines de ses communes périurbaines ont vu leur nombre d’habitants doubler. (…). La crise de certaines villes moyennes, incarnée par la très visible vacance commerciale et la multiplication des panneaux « à céder » ou « à vendre », n’est ainsi pas systématiquement due à un phénomène de déclin mais tient parfois simplement à un effet de concurrence entre les centres et leurs villages périurbains, qui attirent les classes moyennes et supérieures et abandonnent le centre aux habitants les plus pauvres.
Source : " Le rebond des villes moyennes, une réalité ? Une perspective européenne sur les trajectoires des villes moyennes", La fabrique de la cité, octobre 2020
Les difficultés des villes moyennes
Désindustrialisation, dévitalisation commerciale, désertification. Les villes moyennes incarnent, dans la diversité de leurs situations, une forme de déclin urbain (...). Se situant entre les métropoles, aujourd'hui célébrées, et le monde rural, les villes moyennes (...) ont peur d'être sacrifiées par rapport à des territoires aujourd'hui plus attractifs (...) Mal desservies par les réseaux de grande vitesse et le grand débit, terreau de votes radicaux, ces communes ont déjà été malmenées par la désindustrialisation, la stagnation, voire la décroissance démographique (...). Les villes moyennes étant souvent des préfectures ou sous-préfectures, elles ont subi de plein fouet la recomposition des moyens de l’État (...). La décentralisation, de son côté, a davantage profité aux métropoles,,ne compensant pas le désinvestissement administratif qu'ont pu connaitre des villes moyennes façonnées historiquement, par la présence de l’État.
Julien Damon, "Quel avenir pour les villes moyennes?", Sciences Humaines, juillet 2017